Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Humain, trop humain

Le 10 novembre 2023 à 14h10

Modifié 10 novembre 2023 à 14h12

Une fois pris dans les rouages de la machine vertigineuse de l’intelligence artificielle qui dicte et édicte tout ce qui nous concerne, aurions-nous encore la capacité ou l’autonomie d’esprit, d’user de notre pauvre intelligence humaine pour trouver l’interrupteur ?

Dans une de ses chroniques sous forme de promenades littéraires et d’autres réflexions sur les choses de la vie intitulées, "Lettres des Antipodes", l’essayiste et sinologue Simon Leys constatait ceci : "Les plus hautes intelligences ne profèrent pas moins de sottises que le commun des mortels ; simplement, elles le font avec plus d’autorité." Ce constat clairvoyant s’applique parfaitement à la dernière déclaration de cette "haute intelligence" qu’est le propriétaire de Space X et Tesla, Elon Musk. "Grâce à l’Intelligence artificielle, travailler ne sera plus nécessaire". Et de prédire en affirmant que l’avenir de l’IA sera une "ère d’abondance avec un revenu universel élevé plutôt qu’un revenu de base universel." Dès lors, exercer un travail, selon lui, serait seulement le choix de ceux qui le voudraient bien, pour "une satisfaction personnelle". Autrement dit, pour le plaisir ou pour le fun comme on dit.

On ne peut pas dire que le DG milliardaire du réseau social, qui a changé logo en forme d’oiseau Twitter par la lettre X, manque d’autorité dans ce monde hyper connecté et vertigineusement disruptif où virevoltent des dizaines de millions de "communs des mortels-twittos." Déjà, décider intempestivement de substituer au petit oiseau bleu, qui gazouillait gentiment au début avant de vociférer, un X majuscule, lettre symbole de l’inconnu et de l’incertain, est la manifestation d’une autorité qui relève certainement de l’hubris. Mais Elon Musk, qui prédit des lendemains qui chantent dans un monde où l’on ne serait pas obligé de se lever tous les matins pour aller au boulot, ne veut pas passer pour un doux rêveur. Dans la même rencontre au Sommet de l’IA où il a fait sa prophétie, il a cependant mis en garde contre la magie de cette intelligence qui réalise tous nos désidératas. Nous devrions, prévient-il, être préoccupés par les robots humanoïdes qui peuvent vous suivre n’importe où, et pourraient, après une mise à jour logicielle, ne plus être "amicaux". La solution, d’après le milliardaire de la technologie c’est de disposer d’un "interrupteur physique". En clair, il faut toujours garder un petit truc de l’ancien monde afin de faire face à la prééminence de la technologie et sa fulgurance disruptive. C’est un peu le principe trivial de précaution qui nous fait mettre de coté une petite bougie au cas où une panne d’électricité viendrait à nous surprendre en pleine nuit. Mais Elon Musk ne nous révèle pas ce qu’est exactement "un interrupteur physique" capable d’’arrêter le robot inamical qui nous suit partout et nous voudrait du mal.

Une fois pris dans les rouages de la machine vertigineuse de l’intelligence artificielle qui dicte et édicte tout ce qui nous concerne, aurions-nous encore la capacité ou l’autonomie d’esprit, d’user de notre pauvre intelligence humaine pour trouver l’interrupteur ? La réponse est dans la question. La solution logique introuvable de cette aporie, comme disent les philosophes, nous rappelle cette boîte de conserve qu’on ne sait comment ouvrir et au dos de laquelle il est indiqué : "Pour ouvrir, lire le mode d’emploi à l’intérieur de la boîte."

C’est parce que la machine omnisciente sait tout de nous, et nous si peu d’elle, qu’elle se révèle plus comme une créature, qu’une invention. Une créature qui pourrait, comme dans un film d’horreur, se retourner contre nous. Et c’est déjà le cas, sur le plan social, après l’avènement des agents conversationnels, tels ChatGPT et autres "chatbots" en œuvre, qui, en quelques mois, ont semé la panique dans certaines professions et fait perdre des emplois. Sur le plan cognitif, les plus pessimistes parmi les experts craignent que "plus l’IA deviendra 'intelligente', plus nous deviendrons stupides". C’est la crainte émise par un docteur en neuroscience, Michel Desmurget, dans un récent ouvrage ("Faites-lire ! Pour en finir avec le crétin digital") où il préconise la lecture pour stimuler le cerveau et comme rempart contre la crétinisation rampante des esprits. Vaste programme !

Mais combien de temps encore l’utilisateur averti ou lambda tiendra-t-il le coup avant de voir disparaitre, à son insu, sa liberté de choix et son libre-arbitre ? Difficile à dire, car nos algorithmes sont partout et notre environnement au quotidien est configuré selon leur volonté. Quoique nous fassions, au moindre clic ils sont là. Ils influencent, orientent et manipulent sous couvert d’apporter "aide à la décision", réponses "adéquates", "propositions ciblées" ou "informations personnalisées". Et nous nous en sommes, semble-t-il, qu’au début de l’inexorable avancée de cette vaste construction algorithmique. La grande figure de l’IA et fervent défenseur--forcément-- de cette technologie, Mustafa Suleyman, reconnait tout en rassurant qu’elle "représente un tremblement de terre ; il y aura d’énormes perturbations, certes, mais aussi des opportunités." Parole du cocréateur de la start-up DeepMind--rachetée par Google--et qui vient d’en créer une autre qui travaille sur le développement d’un agent conversationnel doté… d’empathie. Un chabot sensible, humaniste, qui s’émeut et compatit ?  Humain, alors. Trop humain ?

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