Un proche vous offre cet article

Inscrivez-vous gratuitement pour lire cet article, habituellement réservé aux lecteurs abonnés.

Vous êtes déjà inscrit ? Se connecter
Fathallah El-Guernaoui

Juriste internationaliste

Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, lors d dla rencontre de communication autour de la réforme de la Moudawana.

Exclusion des analyses génétiques pour attester un lien de filiation paternelle : plaidoyer pour que le débat continue

Le 8 janvier 2025 à 11h41

Modifié 8 janvier 2025 à 15h38

Dans cette tribune, l'auteur analyse l’avis légal du 23 décembre 2024 sur l’exclusion de l’expertise génétique pour établir la filiation paternelle au Maroc. Une réflexion juridique et sociétale qui questionne l’équilibre entre vérité biologique, légitimité juridique et intérêt supérieur de l’enfant.

Dans cette tribune, à la suite de l’avis légal, rendu public le 23 décembre 2024, à propos du recours à l’expertise génétique pour établir la filiation paternelle, je voudrais examiner et répondre à deux questions :

  • Est-ce que l’exclusion des analyses génétiques pour la reconnaissance de la filiation paternelle est conforme au Code de la famille marocain (CFM) en vigueur depuis le 5 février 2004 ?
  • Est-ce que l’alternative proposée, qui consiste à créer une obligation de subvenir aux besoins de l’enfant, à la charge du père et de la mère, sans établir sa filiation paternelle, est une percée significative dans la détermination du fondement de la filiation ?

Dans le CFM, la filiation paternelle est le lien légitime qui unit le père à son enfant et qui se transmet de père en fils (Article 150-CFM). La filiation paternelle découle :

i) des rapports conjugaux,

ii) de l’aveu du père,

iii) des rapports sexuels par erreur (Article 152-CFM)

Le CFM ne reconnait la filiation paternelle que dans le cadre du mariage ; la filiation paternelle ne peut être que légitime et encadrée par le mariage.

Certes, le recours par les tribunaux au Maroc à l’expertise médicale dans le cadre des actions judiciaires tendant à l’établissement d’un lien de filiation est explicitement autorisé depuis l’entrée en vigueur en 2004 du CFM. Cependant, l’analyse génétique n’est pas prévue par le CFM dans le dessein d’anéantir les autres modes légaux d’établissement de la filiation paternelle.

La raison de la hiérarchisation des modes légaux d’établissement de la filiation est que la filiation paternelle, telle que définie par le CFM, est un lien légitime de droit qui ne se réduit pas au lien biologique.

Entre l’enfant et ceux qui lui ont donné la vie, le CFM n’accepte de reconnaitre une filiation paternelle que sous la condition que l’enfant soit né du mariage de ses parents.

L’exclusion de l’expertise biologique en matière d’établissement de la filiation paternelle paraît donc être en totale conformité avec la conception du droit de la filiation marocain qui tire sa légitimité de l’union conjugale entre les parents. En conséquence, il peut être répondu positivement à la première question de la conformité, au regard du CFM, de l’avis légal de ne pas inférer la filiation paternelle (lien légitime définit par la Loi) des résultats probants d’une analyse génétique qui est la preuve ultime du lien biologique entre un enfant et son père.

Affirmer la conformité de l’avis légal par rapport au CFM est un constat juridique sur l’absence de contrariété ou de contradiction entre cet avis légal et les normes législatives qui en constituent le cadre et dont l’observation s’impose strictement.

Ce constat de conformité juridique n’équivaut pas à escamoter le débat sociétal complexe sur le sort non envié humainement des enfants n’ayant pas un accès légal à la filiation paternelle et il n’empêche pas de rappeler ici le droit de ces enfants de connaître, dans la mesure du possible, leurs parents et d’être élevés par eux, ce qui n’est pas une simple déclaration, mais une norme de droit international instituée par la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, signée et ratifiée par le Maroc le 21 juin 1993.

La pratique judiciaire française

Avant d’examiner la seconde question, je voudrais signaler un autre aspect des règles de la filiation paternelle dans le CFM du point de vue de leur application ou non par la justice civile française aux ressortissants marocains établis en France.

En effet, le CFM s’applique à tous les Marocains, même ceux portant une autre nationalité (Article 2-CFM). La convention entre la République française et le Royaume du Maroc relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire du 10 mai 1981 dispose dans son article 1er que l’état et la capacité des personnes physiques sont régis par la loi de celui des deux Etats dont ces personnes ont la nationalité, ce qui veut dire que les règles de la filiation tirées du CFM sont, de plein droit, applicables aux Marocains résidents en France.

Théoriquement, la justice civile française saisie par une ressortissante de nationalité marocaine, résidente en France, d’une action en recherche de paternité hors mariage devra lui appliquer les règles de la filiation du droit marocain et conclura à l’irrecevabilité d’une telle action en justice qui n’est pas prévue par le CFM.

Dans la pratique judiciaire française, la réalité est toute différente. La Cour de cassation française, chambre civile 1, 16 décembre 2020, pourvoi numéro 19-20-948 a écarté l’application de la loi marocaine qui ne permet pas d’établir la filiation paternelle d’un enfant né hors du mariage.

Selon la Cour de cassation française, la loi marocaine [CFM] qui ne permet pas l’établissement de la filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l’ordre public international lorsqu’elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d’établir sa filiation.

Il ne s’agit nullement ici d’approuver ou de critiquer la jurisprudence de la Cour de cassation française, il s’agit plutôt de montrer comment une loi marocaine [le CFM] qui s’applique à tous les Marocains, même à ceux installés à l’étranger, peut être écartée par une juridiction étrangère pour des motifs tirés de l’ordre public international, créant ainsi une différenciation dans l’application des règles de la filiation.

Une meilleure prise en compte de la vérité biologique

Pour le dire plus nettement, la loi marocaine qui ne reconnait que la filiation paternelle s’applique aux Marocains soumis à la compétence juridictionnelle nationale, à l’exclusion des Marocains pouvant se pourvoir devant une juridiction étrangère qui, à la faveur de l’exception de l’ordre public international, va écarter l’application de la loi marocaine pour appliquer la loi du pays de résidence.

Ce constat atteste, dans l’application des règles de la filiation, d’une distorsion incompatible avec la nature même de la loi sur le statut personnel qui suit la nationalité et ne devra pas varier en fonction du lieu de la juridiction.

Ne serait-ce que pour remédier à la situation où des règles du statut personnel des Marocains à l’étranger sont écartées par la justice du pays d’accueil, mais pas uniquement pour cette raison, qu’il est fortement souhaité de faire évoluer les règles de la filiation dans le sens d’une meilleure prise en compte de la vérité biologique dans la définition de la filiation paternelle, ce qui n’est pas sans lien avec la deuxième question qu’il convient d’examiner maintenant.

Dans son avis légal, l’instance officielle compétente a proposé comme alternative à l’établissement de la filiation paternelle par l’analyse génétique la création d’une obligation de subvenir aux besoins de l’enfant à la charge de son père et de sa mère.

Incontestablement, cette proposition est dans l’intérêt de l’enfant qu’il institue comme créancier d’une obligation d’entretien dont le père et la mère sont les débiteurs indépendamment d’une filiation paternelle.

Il est important de conserver présent à l’esprit que, dans le CFM, le devoir d’entretien ou la pension alimentaire est un devoir des parents mariés envers leurs enfants (article 45-CFM) ; qu’il soit désormais envisagé de maintenir ce devoir d’entretien envers l’enfant même en dehors du mariage n’est autre chose que le signal manifeste d’une évolution vers la reconnaissance juridique de la vérité biologique.

Vu sous cet angle, la proposition constitue une avancée patente dont il ne faudrait pas sous-estimer le potentiel d’évolution jurisprudentielle, pourvu que, dans la mise en œuvre, l’obligation d’entretien de l’enfant dépourvu de filiation paternelle soit interprétée largement, dans un but finaliste, et que l’intérêt de cet enfant soit le primat parmi les considérations à concilier.

Les tribunaux marocains auront la responsabilité de définir au cas par cas le contenu de l’obligation d’entretien de l’enfant dépourvu de filiation paternelle. Ce contenu évoluera nécessairement en fonction des besoins de l’enfant ; ses besoins ne sauraient être limités à subvenir à des nécessités purement matérielles, mais ils devront aussi englober les besoins de santé, de protection et d’intégrité psychologique de l’enfant.

C’est donc grâce à la reconnaissance de l’obligation d’entretien de l’enfant dépourvu de filiation paternelle que sera amorcée l’évolution souhaitée du droit de la filiation dans le CFM.

A la faveur de cette prémonition, je propose à la réflexion des instances en charge de l’élaboration des modifications législatives du CFM de rendre juridiquement opérationnelle l’obligation d’entretien pour y inclure tout ce qui est de nature à renforcer le rattachement de l’enfant à ses parents.

Le rattachement paternel pourrait ainsi devenir le concept juridique qui prenne en compte l’intérêt de l’enfant tout en respectant les modes d’établissement de la filiation paternelle.

Le but assigné à la réflexion autour du concept de rattachement paternel sera d’aboutir à une réforme équilibrée des règles de la filiation qui préserve l’identité marocaine, respecte les normes de la Constitution et donne effet aux engagements internationaux ratifiés par le Maroc.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

A lire aussi


Communication financière

Wafasalaf: COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.