Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Entre l’oral et l’écrit, il y a le silence

Le 8 mars 2024 à 13h44

Modifié 8 mars 2024 à 14h04

Oralité ou textualité. Parler ou écrire. Drôle d’aventure lorsque l’on veut écrire comme on parle, tout en écrivant bien alors que l’on parle mal. Chronique digressive et sans morale avec quelques détours entre l’écrit et l’oral.

Ecrire comme on parle. C’est le rêve de tous ceux qui hésitent devant les mots qu’ils estiment être destinés seulement au bavardage quotidien, c’est-à-dire à cette volubilité évanescente qui nourrit souvent d’anodines conversations. Ceux-là sont prisonniers sans doute de leur foi en cet adage stupide qui veut que l’écrit reste alors que les paroles s’envolent. Comme si l’écrit, parce que c’est écrit (mektoub ?), était l’avenir de l’oral, lequel n’est plus qu’un vague écho du passé. L’autorité de la chose écrite est une servitude. Mais les adages et autres proverbes, tous d’ailleurs anonymes et colportés oralement, disent souvent la chose et son contraire. Les moralistes aussi. Telles certaines maximes de Buffon, auteur dont on cite fréquemment et à tout propos son fameux et péremptoire : "Le style c’est l’homme" ; et qui a aussi soutenu que "Ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très bien, écrivent mal".

Pourtant, l’homme, avant d’écrire, a commencé par parler. L’écriture date d’à peine cinq mille ans et a mis du temps avant de progresser, de se diversifier et de se répandre, basée sur des pictogrammes avant l’invention de l’alphabet. L’homme parlait et dessinait, il n’écrivait pas. Et même lorsque l’écriture est devenue plus élaborée, seuls quelques scribes subalternes étaient assignés à cette besogne dédaignée par leurs maîtres et aussi par les penseurs et les philosophes. Ces derniers se contentaient, la plupart du temps, de dicter, donc de parler.

La lecture, au sens où nous la concevons aujourd’hui et, ipso facto, l’écriture, n’ont que quelques siècles puisque la production et la multiplication des livres n’ont pu être réalisées et développées qu’après l’invention de l’imprimerie au XVe siècle. Sachant, selon les historiens, que le premier livre imprimé fut la Bible en 1455, il est sidérant d’imaginer le temps que l’homme a mis depuis sa naissance sur Terre avant d’accéder à ces deux occupations intellectuelles. Ah, comme le regrettait quelqu’un à propos de la Bible, si les prophètes écrivaient au lieu de laisser des scribes s’en charger ! Mais ils préféraient parler et d’ailleurs ne savaient pas écrire. Lire sur tablette d’argile, sur des rouleaux de papyrus et bien plus tard sur des codex puis des livres imprimés. Quelle aventure ! Cependant, se demandait l’écrivain et critique anglais Philip Nicholas Furbank : "Qui sera le maître, l’auteur ou le lecteur ?" Oui, mais qui dira le pouvoir du scribe et qui dira son tort ?

Mais revenons après cette digression − qui n’est pas sans rappeler celles que l’oralité favorise bien plus que la textualité − à ce que Buffon disait à propos de ceux qui parlent bien mais écrivent mal. Il est vrai qu’on est souvent étonné lorsque l’on entend, à la radio ou à la télé, ânonner tel écrivain dont on a admiré auparavant le style flamboyant ou l’écriture bien ciselée de leurs ouvrages. Certes, écrire et parler ne relèvent pas du même statut.

La seconde est considérée comme une forme achevée de l’expression humaine, pendant que la parole ou l’oralité, elles, sont tenues pour des fonctions naturelles, rituelles et simples véhicules d’une culture au sens anthropologique (d’où parfois le biais ethnocentriste des "peuples sans écritures"). Bref, en moins "intello", l’écrit passe pour être réfléchi, pesé, posé et propre sur lui, alors que l’oral est débridé, débraillé et informel. A ce sujet, les conversations et entretiens journalistiques ont souvent été ardus avec tel grand écrivain et essayiste, auteur d’une œuvre au style flamboyant, pas toujours aisé, mais livrée dans une belle langue française ne souffrant aucune faille. En tant que journaliste, pour la presse écrite comme pour la télé, j’ai pu mesurer, toujours à mes dépens, le risque d’un tel exercice lorsque l’on a affaire à un interviewé au verbe atrophié, à un taiseux ou à un marmonnant. Et autant pour la presse écrite on avait le temps et la possibilité de reprendre ou de réécrire le contenu de l’entretien, autant à la télé, ce furent des moments de grande solitude.

Enfin, n’en déplaise à Buffon, il y a ceux, rares, qui parlent comme ils écrivent ou écrivent comme ils parlent, c’est-à-dire très bien. Eloquents, fluides, lisibles et audibles, leur discours s’inscriraient alors dans une espèce de textualité vocale qui pourrait atteindre l’art total de l’élocution promu par Aristote dans sa Poétique. Mais un autre penseur − qui passe pour un philosophe-hurleur alors que dans le privé il cultivait plutôt l’art de se taire −, le Franco-roumain E. M. Cioran, nous assène cet aphorisme décapant : "Point de salut, sinon dans l’imitation du silence. Mais notre loquacité est prénatale. Race de phraseurs, de spermatozoïdes verbeux, nous sommes chimiquement liés au Mot."

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