Othmane Benmoussa

Enseignant-chercheur en Systems Thinking et directeur de l’Euromed Polytechnic School -Université Euromed de Fès

Emploi, carrière ou objectif ?

Le 30 mars 2023 à 11h56

Modifié 30 mars 2023 à 15h22

Le but de chaque employé varie, tout comme l’approche déployée par les leaders pour gérer leurs collaborateurs.

L’importance de l’objectif poursuivi par tout un chacun au sein d’une organisation est un permanent refrain que l’on retrouve communément dans tout milieu professionnel. Les dirigeants d’entreprises œuvrent de façon quasi-obstinée pour donner du sens au travail de chacun de leurs employés.

Toutefois, l’épisode de la "Great Resignation" a mis à nu le fait que de nombreux salariés ne se soucient pas de l’objectif supérieur (superordinate goal) de leur entreprise, mais veulent simplement une carrière stable ou, parfois, juste un emploi.

Pis encore, certains de ces employés ne se soucieront jamais du but imprimé par leur employeur.

Cet état de fait, souvent passé sous silence dans la littérature relative à la motivation, devrait faire réfléchir les dirigeants.

Les conseils de gestion souvent cités comme "si la motivation d’un employé fait défaut, essayez de l’aider à comprendre comment son travail contribue à l’objectif de l’organisation" doivent être remis en question si l’employé s’en moque et est enclin à ne jamais se soucier du but de la structure dans laquelle il évolue.

Nous croyons que les espaces d’emploi comprennent trois catégories de collaborateurs : les employés orientés autour de la préservation de leur emploi, ceux fixés sur leur carrière et une troisième catégorie épousant et essayant d’atteindre les objectifs de leur organisation.

Tout aussi primordial que le fait de reconnaître que tout le monde n’est pas orienté vers l’objectif dessiné, il est essentiel de savoir et d’accepter qu’il est concevable pour les employés de ne pas partager l’objectif de l’organisation, mais qu’ils peuvent encore apporter des contributions importantes.

Cette approche nécessite un changement radical dans notre perception de l’importance du "superordinate goal" car, s’il vaut toujours la peine d’essayer d’aider les gens à adhérer à l’objectif d’une organisation, il est également important de comprendre quand ils veulent juste un emploi ou ne recherchent qu’une carrière.

  1. Un coaching ambivalent

Une tendance constante au cours de la dernière décennie a été de pousser et de former les managers à devenir de meilleurs coachs ; le coaching améliorant le développement et la performance des employés, et les organisations partant du principe que les managers possèdent rarement les compétences nécessaires pour coacher efficacement leurs subordonnés.

Il conviendrait ici de considérer plutôt que les gestionnaires sont bien en mesure d’encadrer efficacement leurs subordonnés, alors que les organisations leur demandent de faire épouser à ces collaborateurs des objectifs qui ne résonnent pas forcément avec les leur.

L’aspect le plus difficile du coaching n’est donc peut-être pas son exécution, mais davantage le travail de fond que les dirigeants doivent effectuer pour essayer de comprendre leurs employés.

L’objectif d’un individu demeure le "pourquoi" derrière ce qui le motive et c’est ce qui doit être considéré en priorité lors du coaching d’une personne. Toutefois, dans une société où le travail est l’activité dominante de notre existence, les motivations universelles d’une personne sont comprises comme exclusivement liées au travail. Cette conception découle probablement du fait que le travail ou, plus précisément notre carrière, serait l’espace unique dans lequel nous aspirerions à trouver un sens personnel à notre destinée.

Avec l’avènement de la responsabilité sociale des entreprises, les organisations ont saisi une nouvelle occasion d’aligner les objectifs de l’organisation et ceux des employés comme une stratégie efficace pour maximiser la productivité, le bonheur et la rétention de leurs salariés. Cela a conduit les organisations à adopter des objectifs que leurs employés appréciaient déjà et auxquels ils s’identifiaient personnellement : protection de l’environnement, justice sociale, travail des mineurs, égalité des genres...

En ce sens, pour les employés qui ont trouvé un environnement de travail qui concorde avec leur propre objectif, un nouveau niveau de potentiel a été débloqué. Cet alignement fortuit a permis aux organisations de puiser dans l’offre presque illimitée de motivation alignée sur les objectifs de ces employés.

Il n’en demeure pas moins que les ambitions, le but de certains collaborateurs restent beaucoup plus individuels, voire égocentriques…

  1. Tout un chacun a un but, mais ce n’est peut-être pas celui de son organisation

La pandémie de Covid-19 a déclenché une réelle remise en question chez de nombreuses personnes.

Différentes études ont en effet conclu qu’environ 7 employés sur 10 ont réévalué leur objectif suite à la pandémie. La "Great Resignation" a été, en ce sens, un véritable déclencheur des changements de mentalités, dans la mesure où les employés évaluent dorénavant plus fréquemment ce qu’ils font pour le travail et les objectifs qui le sous-tendent, induisant de multiples dynamiques de mutation, sollicitant un accompagnement intelligent des gestionnaires.

Tous les employés ont des besoins de base ; pour de nombreuses personnes, cela signifie de bien vivre en famille et être en mesure d’offrir à ses proches une vie confortable. Certains besoins des employés ont une signification personnelle profonde, à savoir s’autonomiser, aider autrui via des donations, faire du bénévolat ou apprendre à relever des défis intellectuels entre autres. Ce sont tous des objectifs valables, qu’ils soient ou non alignés sur le macro-objectif de leur institution.

Heureusement, l’alignement avec les objectifs de l’entreprise n’est pas nécessaire pour que les employés performent. Il est certes vrai que certaines personnes puissent être coachées pour s’investir dans la "raison d’être" de leur organisation, mais il s’agit davantage d’un équilibre délicat à observer et qui demeure très axé autour du coach. Ce dernier peut pousser les personnes qui ont une carrière ou une orientation professionnelle spécifique à partager l’objectif de l’organisation, mais, de façon similaire, il peut orienter les gens dans l’autre sens, loin de l’objectif.

Forcer l’engagement autour de l’objectif dessiné peut être contre-producteur. Les dirigeants qui essaient constamment d’instiller un sens de l’objectif chez les personnes qui veulent simplement un emploi ou embrasser une carrière peuvent épuiser rapidement ces employés et provoquer une démotivation, voire un comportement de parfait "quiet quitter". En revanche, les dirigeants qui comprennent les motivations individuelles de chacun de leurs employés tireront le meilleur parti de chaque personne en établissant des relations solides basées sur la compréhension mutuelle.

La prise de conscience que tous les employés peuvent ne pas partager l’objectif faîtier de leur entreprise a plusieurs implications importantes en termes de leadership et de management des employés.

  1. Leader ceux qui veulent simplement un emploi

Une absence d’objectif n’est pas synonyme d’un manque de performance. Les employés dont le but est simplement d’avoir un emploi peuvent ajouter de la valeur à leur institution, ce qui reste une bonne nouvelle dans la mesure où nous estimons qu’ils représentent en moyenne 50% de l’effectif d’une organisation. Plutôt axés sur des éléments intrinsèques comme le développement d’une expertise individuelle ou des récompenses extrinsèques comme payer ses factures et regagner sa demeure à chaque fin de journée, leur motivation quotidienne ne découle pas de l’organisation ou de sa raison d’être.

Ceux qui veulent juste un emploi ne cherchent pas à construire une utilité future ou à renforcer leurs intérêts au sein de l’organisation. Ces employés résisteront probablement à toute tentative de se faire inculquer un objectif quelconque car ce n’est pas la raison pour laquelle ils font partie de vos effectifs. Une dépendance excessive à l’alignement avec l’objectif majeur de l’entreprise peut démotiver cette catégorie de salariés.

Les dirigeants qui diagnostiquent à tort ces travailleurs comme partageant l’objectif organisationnel sans s’enquérir du fait que ce soit réellement le cas peuvent être amenés à promouvoir les plus performants d’entre eux à des postes qu’ils ne souhaitent pas véritablement. Cela peut conduire à une immense perte de motivation et à leur départ éventuel de l’organisation.

A contrario, les dirigeants devraient se concentrer sur ce qui compte pour cette catégorie d’employés : développer des compétences professionnelles et offrir des récompenses tangibles. Les occasions d’améliorer leurs compétences peuvent présenter un intérêt particulier pour ce groupe. De même, le salaire et les avantages qu’ils reçoivent auront très probablement une incidence directe sur la durée de leur séjour dans l’organisation. Plutôt que de leur demander de se sacrifier pour l’objectif organisationnel, d’une manière ou d’une autre, il convient de faire des efforts certains pour s’assurer que leur rémunération est compétitive car c’est la raison majeure pour qu’ils ne quittent pas l’entreprise.

  1. Savoir diriger ceux qui souhaitent faire carrière

Les "carriéristes" veulent des affectations stables à long terme qui leur permettent de maîtriser leurs rôles avec une possibilité d’avancement. Leur identité n’est probablement pas liée à leur occupation. Bien qu’ils puissent adhérer à certains des objectifs de leur organisation et même en faire du prosélytisme auprès d’autres, leur cœur n’y est pas entièrement.

Il est notoire que les employés engagés sont plus productifs et que les dirigeants doivent donc trouver des moyens d’exploiter et libérer cette énergie. La grande majorité des employés veulent relever des défis et faire quelque chose de significatif. Ils souhaitent développer leurs connaissances et compétences, alors il convient de leur procurer les opportunités et expériences qu’ils recherchent pour les garder motivés et engagés.

Le défi tient donc au fait que rare sont les organisations qui œuvrent pour promouvoir et capturer un tel engagement dès le départ. Une institution peut faire le maximum pour recruter les meilleurs et les plus brillants, mais ces employés enthousiastes sont immédiatement soumis à une présentation PowerPoint pour les nouvelles recrues. On leur montre ensuite où se trouvent les toilettes et la cafétéria, puis on les emmène dans un espace où ils passeront 40 à 50 heures par semaine. L’excitation du nouveau poste peut ainsi rapidement s’estomper dans un tel environnement, et ce, même pour les employés les plus passionnés.

  1. Leader ceux qui sont axés autour de l’objectif organisationnel

Les employés épousant le "superordinate goal" de leur organisation croient en elle, en sa mission et ses valeurs. Ils sont intrinsèquement engagés pour exceller en milieu professionnel.

Au-delà de la simple vision d’un ensemble de tâches à accomplir, ils trouvent un sens à l’objectif organisationnel dans leur quotidien. Certains types d’organisations inspirent naturellement ce sens de l’objectif à l’instar des entités humanitaires, tandis que d’autres peuvent avoir besoin d’élaborer et d’articuler soigneusement leur vision pour engendrer le même niveau de soutien des employés.

Les collaborateurs "orientés objectif" veulent promouvoir le changement pour une situation meilleure, constamment renouvelée, et ont des idées sur la façon de le faire. Dans cette optique, les dirigeants doivent embrasser cet enthousiasme en montrant à cette catégorie d’employés l’impact de leurs efforts quotidiens et en trouvant des moyens, même en dehors de leurs descriptions de poste, d’alimenter leurs passions. Le mentorat, la formation multifonctionnelle et le "storytelling" peuvent grandement contribuer à attirer, engager et retenir les membres de cette classe dynamique de la main-d’œuvre.

Travailler en donnant du sens à l’objectif organisationnel est essentiel pour l’engagement de cette catégorie d’employés. Les bons gestionnaires favoriseront cet enclin vers la poursuite du "superordinate goal" et l’orienteront de manière constructive.

Il faut ainsi faire en sorte que chaque tâche signifie quelque chose en apprenant à cette classe d’employés comment appréhender une situation dans son ensemble, de manière holistique, et mettre en exergue comment leur rôle contribue à donner vie à l’objectif fixé. Offrir l’opportunité de contribuer activement, dès le départ et de manière régulière, à la réalisation de l’objectif faîtier est ce que ce groupe de collaborateurs attend de ses dirigeants.

  • Trois points clés à observer- Accepter que des employés ne partagent pas l’objectif organisationnel. La pression habituellement exercée en vue de la convergence des objectifs peut rendre presque impossible pour les employés de dire : "Je ne partage pas notre objectif." Il faut néanmoins admettre que tout le monde ne veuille pas travailler de la même manière que vous, mais qu’ils puissent toujours faire partie intégrante du succès de votre organisation.- Tout le monde a un objectif - il se peut toutefois qu’il ne soit pas le même que celui de l’organisation pour laquelle on travaille. Il demeure essentiel d’œuvrer plus en profondeur pour comprendre ce qui motive les gens et comment cela peut changer avec le temps. Les gens changent ; les orientations en termes d’objectifs également. Il est donc essentiel de rencontrer et d’écouter activement vos employés là où ils se trouvent afin d’identifier les bonnes opportunités à la fois pour eux et peut-être également pour l’organisation.

    - Essayez de donner du sens à l’objectif organisationnel, mais ne forcez pas vos collaborateurs. Ce papier n’est pas destiné à fournir une excuse aux organisations pour négliger leur propre objectif ; un objectif motivant est un outil incroyablement puissant pour toute organisation et ses dirigeants. Mais si quelqu’un cherche un but au travail, mais ne le trouve pas parce qu’il ne partage pas la mission établie, vous ne lui ferez jamais réaliser son potentiel.

In fine, l’objectif organisationnel est un concept important, mais cela ne devrait aucunement être une exigence affichée ou même induite sur le lieu de travail. Tout le monde, à toutes les échelles, a un rôle dans l’organisation : les professionnels, souhaitant simplement un emploi, constituent l’épine dorsale, les "carriéristes" représentent la continuité et les collaborateurs orientés autour de l’objectif organisationnel alimentent le pipeline des futurs leaders.

Certains peuvent naturellement évoluer tout le long de ce spectre, d’autres seront soigneusement accompagnés par un leader pour changer de "classe", mais la plupart resteront fidèles à leur position. La compréhension et l’acceptation de cette donne par les dirigeants feront toute la différence.

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