
Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.
De quoi le prénom est-il le nom ?
Le 3 novembre 2023 à 16h31
Modifié 3 novembre 2023 à 16h47Depuis le 7 octobre dernier, suite aux attaques du Hamas en Israël, aucune parole dans les médias sur la Palestine, en Occident, n’est considérée comme innocente.
Tout musulman, où qu’il soit, quoi qu’il dise, doit d’abord condamner l’acte terroriste du Hamas, le considérer comme tel avant de prendre la parole. Plus encore : tout musulman, pratiquant ou pas, tout arabe, où qu’il soit et d’où qu’il s’exprime, se doit de s’excuser de ce que le Hamas a commis. Ces injonctions, dans le débat public et ailleurs, imposent un lien de causalité directe et évident entre la pratique, l’appartenance à une religion ou une culture arabe, et la défense du Hamas.
Voilà comment ceux qui croient combattre le Hamas et éradiquer le terrorisme lui donnent raison et lui font marquer des points dans l’opinion publique palestinienne et plus généralement arabo-musulmane. Ces mêmes erreurs et égarements ont été commis bien souvent à cause de cette causalité de la peur, et ce depuis des décennies, au Moyen-Orient et ailleurs.
L’image de "l’Arabe avec le couteau entre les dents", violent et violeur et, plus tard, de l’islamiste fanatique qui fait tout exploser, remonte loin dans l’histoire. C’est une rémanence qui remonte, de temps à autre, à la surface quand l’actualité devient brûlante et que la peur s’installe. Les médias s’en saisissent, les politiques s’en emparent et les partis populistes et xénophobes en alimentent leurs programmes et discours et confortent ainsi des idéologies de haine afin d’élargir leur base électorale.
Dans une brillante et lucide tribune libre, publiée récemment dans le journal Le Monde, Aïcha Béchir, écrivaine, professeur de philosophie et autrice d’un premier roman intitulé justement, L’Accusation, dénonce les injonctions faites aux Français musulmans afin de s’excuser de ce dont ils ne sont pas responsables, à savoir les attaques meurtrières commises par Hamas. Et remontant aux années 1980 pour expliquer la manipulation politique et médiatique, faite depuis, de la peur du "Français arabo-musulman" en diverses circonstances, elle rappelle, qu’"avec le temps, les entrepreneurs de fantasmes sécuritaires adossés à l’islam produisent ce qu’ils redoutent (ou désirent) le plus : les Français musulmans, systématiquement montrés du doigt et réduits à leur qualité de "musulman", suspectés et accusés de complicité avec les actes terroristes internationaux, réduits au statut de potentiel ennemi intérieur dans des guerres lointaines, vivent sous le masque tragique du "musulman". Un masque qui finit par leur coller à la peau et qu’ils doivent retirer bruyamment pour rassurer leurs concitoyens".
A propos de "masques à retirer bruyamment", il en est un, et non des moins "audibles" et suspects, qui fait débat à haut débit. C’est le patronyme, considéré par certains comme le signe extérieur d’une islamité équivoque et inquiétante. Durant l’émission d’une radio française animée par Pascal Praud, connu pour ses opinions xénophobes et sévissant aussi sur la non moins sulfureuse chaîne de télé C News, un auditeur français d’origine maghrébine a déclaré qu’il venait de décider de changer le prénom de son fils. Lorsque l’animateur, faussement étonné, lui en demande la raison, l’auditeur avoue sans ambages qu’avec un prénom à consonnance arabe, son fils, future étudiant, n’aura aucune chance de trouver un appartement et encore moins un boulot. Heureusement, la conversation n’a pas glissé vers l’actualité furibarde dont l’animateur fait, en continu, son miel et son fiel : dénonciation du Hamas, les otages, la Palestine et tous les malheurs que vous savez. Une remarque cependant : l’auditeur en question n’a pas précisé si le prénom porté par son fils est à la fois à consonnance arabe et musulmane du type Mohamed, Ali, ou les deux, Larbi ou Ahmed. La double peine en somme, car il en va des "masques tragiques à retirer", cités ci-dessus par Aïcha Béchir, comme des prénoms qui renvoient à une double identité suspectée dûment imprimée et consignée dans le patronyme.
Toujours à propos de patronymes et dans le même ordre d’idée (si on peut encore parler d’ordre dans cette confusion des choses du monde), il y a le cas de cet ami né dans les années 1950 au Maroc, époque qui a connu la floraison des doubles prénoms : Mohamed-Najib, Mohamed ou Ahmed Réda, Mohamed-Karim, etc. Le dit ami s’est installé il y a plus de 40 ans, a étudié, a fait sa vie et enseigné à l’université dans un petit pays prospère et tranquille d’Europe dont il a obtenu la nationalité et où il a fait souche. Pendant tout ce temps, une quarantaine d’années (et même avant dans son pays d’origine), il a été connu socialement et identifié administrativement par le second prénom, parce que l’administration, comme sa famille, avaient omis ou négligé le premier, à savoir Mohamed. Il faut dire aussi que ce dernier était trop courant. "Ils s’appellent tous Mohamed !", se lamentait l’unique instituteur français resté encore à l’école publique post-indépendance. Notre ami, donc, installé et bien intégré dans son deuxième pays, voyageait un peu partout, n’inscrivant qu’un prénom sur les fiches des hôtels et des aéroports lors de ses déplacements au pays comme à l’extérieur. Mais voilà que depuis quelques années, et plus précisément depuis les attentats perpétrés un peu partout dans le monde, on le somme de préciser dans les fiches les deux prénoms et surtout de ressortir le "Mohamed" qu’il avait lui-même oublié. Il l’avait, peut-être sans le vouloir, ou alors cru l’avoir laissé au pays, mais voilà qu’on le lui rappelle manu militari et qu’on le renvoie à son origine, sa culture et sa religion d’origine.
Enfin, quittons le peuple ordinaire et ses galères pour rejoindre le "people" et ses émois, notamment ceux de la journaliste vedette de la radio et de la télévision française, la franco-libanaise Léa Salamé. Elle vient de révéler récemment dans le magazine Le Mensuel que son vrai prénom n’est pas Léa mais plutôt celui que ses parents lui ont donné à sa naissance : Hala. Mais, "en France, a-t-elle expliqué, on prononçait Hala, Allah. Je subissais des méchancetés inouïes parce qu’on liait mon prénom a celui d’Allah". Et c’est ainsi donc qu’à 12 ans déjà elle décida de changer de prénom.
Rappelons pour conclure que le titre de l’émission de télévision, "Quelle époque !", talkshow qu’elle anime chaque semaine non sans talent sous le masque de Léa (ya Hala !), résume à lui seul tout le propos de cette chronique.
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