
Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.
De Bretton Woods à Marrakech
Le 17 septembre 2023 à 11h06
Modifié 17 septembre 2023 à 11h06Les assemblées annuelles de la Banque Mondiale BM et du Fonds International FMI sont programmées du 9 au 15 octobre 2023 à Marrakech. C’est pour la deuxième fois que cet exercice se déroule en Afrique, après l’édition de Nairobi en 1973. Cette réunion vient juste après le sommet des BRICS qui a eu lieu récemment dans un autre africain, l’Afrique du Sud, et dont l’un des objectifs était de dédollariser le commerce international.
Les deux institutions financières, la BM et le FMI, ont été créées lors de la conférence internationale qui s’est tenue en juillet 1944, à Bretton Woods aux États-Unis, en complément du système politique des Nations-Unies. L’objectif principal était de mettre en place un nouvel ordre économique et monétaire international après la fin de la guerre. En ce temps, l’économie internationale était en ruines, et il était impératif de mettre en place un nouveau cadre permettant la stabilité économique et la prévention des crises financières.
Ce sont deux institutions qui ont donc vu le jour, la Banque Internationale pour la reconstruction et le développement, la BIRD, qui deviendra par la suite la Banque mondiale, BM, puis le Fonds Monétaire International, le FMI. Celui-ci a été instauré pour surveiller les taux de change entre les devises nationales et fournir une assistance financière aux pays en difficulté pour stabiliser leurs économies. Il jouera aussi le rôle de promouvoir des politiques saines et prévenir les dévaluations compétitives.
Quant à la BIRD, devenue la Banque mondiale, elle a été créée pour fournir des prêts et une assistance technique aux pays ruinés par la guerre ainsi qu’aux pays en développement, à travers des prêts et une assistance technique pour financer des projets d’infrastructures et de développement économique. Ainsi, les Américains qui avaient initié la Société Des Nations, SDN, après la première guerre mondiale, devenue par la suite les Nations Unies, achèvent la restructuration politique et économique du monde de l’après-guerre.
Les négociations pour la création de ces deux institutions n’ont pas été faciles entre les pays participants. Deux économistes d’envergure internationale ont cependant joué un rôle prépondérant dans les négociations intensives de Bretton Woods, les économistes John M. Keynes le Britannique, et l’Américain Harry Dexter White. Ce sont eux deux qui ont été la cheville ouvrière et les concepteurs du nouveau schéma monétaire international qui allait structurer l’économie mondiale.
Le nouveau système instauré a fait des États-Unis le seul garant de sa permanence, et de leur monnaie nationale, le dollar américain, la principale monnaie de réserve internationale. Le taux de change du dollar par rapport aux autres devises a été fixé tout en permettant des fluctuations limitées. En août 1971, le président américain Richard Nixon suspend unilatéralement la clause des accords qui garantissait que toute banque centrale d’un pays autre que les États-Unis était en droit d’obtenir la conversion en or des dollars qu’elle possède.
En dépit de cette décision unilatérale, les deux institutions financières ont continué à jouer un rôle moteur dans la stabilité économique mondiale de l’après-guerre, ainsi que dans la gestion des questions financières internationales. Cependant, les critiques n’ont jamais cessé quant à leur impact sur les économies et les sociétés des pays en développement.
Ces reproches sont souvent afférents aux conditionnalités imposées aux pays emprunteurs, et particulièrement à ceux en développement. Les politiques imposées sous l’appellation d’ajustement structurel sont critiquées pour leurs impacts négatifs sur les populations défavorisées. Leurs premiers effets sont la réduction des dépenses publiques dans des domaines stratégiques comme l’éducation et la santé. Pour beaucoup, ces impacts aboutissent à la détérioration des conditions de vie des plus vulnérables.
Par ricochet, ce sont les pays en développement qui reprochent à ces deux institutions, dont la bonne gouvernance est l'un de leurs propres leitmotivs, leur manque de transparence dans les décisions prises, sans concertation aucune. Ils estiment que les consultations ne touchent que rarement les populations locales, les premiers à être affectées par ses politiques de restructuration, qui mènent souvent à des troubles sociaux.
C’est surtout l’influence qu’exercent les pays développés et les grands contributeurs dans ces deux institutions financières qui est souvent soulevée par les pays émergents, notamment ceux des BRICS. Ces derniers estiment qu’au sein de ces deux institutions, ce sont les intérêts des pays occidentaux qui prévalent, ce qui d’après eux, compromet leur développement. Ils leur reprochent aussi que leurs aides favorisent leurs grandes entreprises internationales, au détriment des entreprises locales.
Ces conditions imposées aux pays emprunteurs, en échange des prêts octroyés, sont vues comme une atteinte à leurs souverainetés nationales. Mais ces nations à la recherche de prêts ont-elles réellement le choix quand leur premier souhait est d’intégrer l’économie mondiale ? Tous les gouvernements qui ont eu recours à la BM ou au FMI savent le coût économique et politique de leurs démarches, ainsi que les conditions drastiques de l’octroi des prêts. La réduction des dépenses publiques, les coupes dans les programmes sociaux, les dévaluations des monnaies locales, et bien d’autres mesures, sont parmi les panoplies pour bénéficier de l’aide de ces institutions financières internationales.
C’est en raison de ces conditionnalités que les pays en développement leur reprochent de ne pas être suffisamment représentés dans la prise de décision au sein de ces grands pourvoyeurs d’aide. Car ce sont ces pays en développement qui sont les premiers bénéficiaires des aides octroyées. Par ailleurs, l’insuffisance des politiques de préventions des crises financières, comme celle de 2008, qui ont affecté aussi les pays en développement, rendent aux yeux de ces derniers, les deux institutions financières complaisantes envers les excès enregistrés par les pays développés
Face à toutes ces critiques, la BM comme le FMI ont cherché, au fil des ans, à améliorer leurs offres et à apporter les rectificatifs nécessaires à leurs politiques de financement en prenant en considération les conséquences sociales et environnementales de leurs programmes. Cette évolution est due aux défis majeurs qu’affronte l’humanité, mais aussi à la prise de conscience de certains pays émergents d’aller vers l’instauration d’un autre système bancaire concurrent.
C’est le cas des pays des BRICS, et principalement de la Chine et du Brésil, qui souhaiteraient bien se passer du dollar dans leurs relations commerciales avec l’extérieur. Ils ont initié quelques pas dans ce parcours, mais le chemin reste encore long et demandera une politique de longue haleine. En visite à Pékin en avril dernier, le président brésilien Lulla ne déclarait-il pas que chaque nuit, je me pose la question suivante, pourquoi tous les pays du monde sont obligés de commercer en dollar ?
C’est pour répondre a cette question que la dédollarisation des échanges a été l’un des sujets importants évoqués lors de la récente réunion des BRICS en juillet dernier, en Afrique du Sud. L’idée d'une monnaie commune a largement été évoquée avec le Yuan chinois comme possible devise alternative. Cette perspective ne plait pas cependant à tout le monde, notamment le Brésil qui mise sur une monnaie sud-américaine, le SUR, pour faciliter ses échanges avec ses voisins américains.
Les réunions qui auront lieu à Marrakech aborderont certainement tous ces défis dans un monde post covid, en plein bouleversement. Ce sera l’occasion pour ces institutions et les délégations présentes, de prendre acte de l’évolution que connait l’économie marocaine et des perspectives qui s’offrent aux investisseurs internationaux. Elles auront certainement dans la ville ocre, l’occasion de se pencher sereinement sur l’état de l’économie mondiale, de la problématique de la dette, de la lutte contre la pauvreté, et surtout du développement de notre continent africain.