Pourquoi des femmes meurent-elles par hypocrisie à l’égard de l’avortement?

Le 8 mai 2019 à 13h21

Modifié 11 avril 2021 à 2h42

Sur le plan moral, des arguments de poids pèsent en faveur du respect de la liberté individuelle d’une femme et de son droit de décider ce qu’elle veut faire de son corps, plutôt que de l’obliger à risquer sa vie et sa santé pour accoucher d’un enfant non désiré ou à mener une grossesse à terme mettant sa vie en danger. Malgré tout, lorsque l’on constate à quel point cette question est minée par des faussetés et embrouillée par de vains arguments, la plupart du temps le débat public ne mène nulle part à moins de considérer l’avortement d’abord et avant tout comme un enjeu lié à la santé.

Prenons le cas du Kenya. Même si ce pays s’est doté des lois d’avortement les plus progressives de l’Afrique, et que théoriquement la femme est en droit d’interrompre sa grossesse "lorsqu’elle a besoin d’un traitement d’urgence ou lorsque sa vie est en danger ou lorsqu’elle y est autorisée par toute autre loi écrite", l’opposition tenace à l’avortement en a entravé l’application. Sans compter toutes les femmes qui ne se qualifiaient pas pour un avortement en vertu de ces règles.

L'interdit de l'avortement n'élimine pas la pratique 

Or, il est bien établi que l’interdit de l’avortement n’en élimine pas la pratique. Au lieu de cela, lorsque les autorités arrêtent ceux qui auraient pratiqué des avortements dans des conditions médicales sécuritaires, comme c’est le cas au Kenya, les femmes finissent par recourir à des avorteurs qui ont recours à des moyens extrêmement dangereux. Par exemple, ils perforent l’utérus des femmes enceintes avec des aiguilles, s’assoient sur leur ventre pour éjecter le fœtus et prescrivent des concoctions dangereuses.

Pour éviter ces avorteurs clandestins, les femmes tentent de se faire avorter par elle-même en ingérant des quantités massives d’analgésique ou en s’empoisonnant avec des détergents. Certaines en meurent ; d’autres perdent leur utérus; d’autres encore doivent vivre avec des complications comme les fistules cervico-vaginales.

Après des années de travail en santé génésique, je peux officiellement affirmer que les femmes ne décident pas d’interrompre leur grossesse par caprice. Elles ne paient pas un charlatan pour ponctionner leur utérus parce qu’elles en ont soudainement envie. L’opprobre ne les fera pas changer d’avis; mettre le développement du fœtus au-dessus des besoins, des droits et du bien-être de la mère ne les dissuadera pas plus. Le seul résultat obtenu sera d’augmenter les risques pour leur santé et leur vie lorsqu’elles feront appel à des moyens dangereux d’avorter.

Une éducation sexuelle complète

Si nous voulons réduire la demande de services d’avortement, nous devons admettre qu’elle est souvent l’aboutissement d’une série de lacunes systémiques qui commencent dès l’enfance, au moment où une éducation sexuelle complète serait nécessaire. Ces cours d’éducation sexuelle informent les jeunes de la sexualité et de l’âge approprié pour avoir des relations sexuelles. Ils doivent être adaptés aux sensibilités culturelles, faire preuve de réalisme et ne pas les juger tout en respectant les faits scientifiques. Ils sont susceptibles d’accroître l’utilisation de moyens contraceptifs et de réduire le taux de grossesse chez les adolescentes, particulièrement s’ils sont modulés selon les sexes, en privilégiant l’accès des jeunes filles aux moyens de protection de leur propre santé.

Cette éducation n’est pas un privilège, mais un droit. Au Kenya, l’article 35 de la Constitution garantit que chaque citoyen a "le droit d’accéder à des renseignements détenus par une autre personne et qui est nécessaire pour l’exercice ou la protection d’un droit ou d’une liberté fondamentale". Ceci comprend le droit à la santé génésique, reconnu dans l’article 43.

Malheureusement, comme le droit à l’avortement, le droit à l’éducation sexuelle n’est pas respecté, en raison de la résistance moralisatrice des pouvoirs religieux et des mouvances antiavortement, ainsi que d’autres facteurs, comme la faible diffusion du curriculum et une pénurie d’enseignants formés en ce domaine. En conséquence, les mythes et les idées fausses sont encore très répandus.

Des facteurs culturels 

Cette réalité, ainsi que le manque de financement et la présence de facteurs culturels (comme le peu de participation des hommes aux questions de santé génésique), contribue à la faible prévalence de moyens contraceptifs, avec seulement 58% des femmes au Kenya qui devraient utiliser des moyens contraceptifs modernes qui le font vraiment. Le taux de grossesse des adolescentes par trop élevé n’est donc pas une surprise.

Le moment est venu de s’attaquer aux lacunes systémiques qui conduisent les jeunes filles et les femmes à la mutilation ou à la mort. La moindre mesure de prévention vaut des tonnes de remèdes: comme le sont l’intégration de la contraception aux budgets de la santé, les cours d’éducation sexuelle de qualité et les services de santé reproductive qui s’adressent aux jeunes en respectant leurs besoins.

Mais l’intervention ultime doit aussi faire partie des options. Les règles pénalisant les femmes doivent être remplacées par des lois modernes, s’inscrivant dans les cadres internationaux de protection des droits de la personne, et protégeant la liberté des femmes d’enfanter ou non, notamment en assurant l’accès à des services d’avortement dans des conditions médicales. Il faut également rédiger des lignes directrices visant à faire cesser la persécution envers les prestataires de services d’avortement.

Comment un Etat qui ne parvient pas à assurer des cours d’éducation sexuelle ou à investir suffisamment en planification familiale peut-il pénaliser les femmes pour des grossesses non désirées? Comment une société qui ignore les souffrances des femmes peut-elle culpabiliser les victimes pour sa passivité en ce domaine? Ceux qui ne font rien pour prévenir des grossesses non désirées, et qui font tout pour pénaliser les femmes qui en pâtissent, ne peuvent prétendre à leur supériorité morale.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

© Project Syndicate 1995–2019
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