Rendement et financement de l’économie : La double crise de l’épargne marocaine

M.M. | Le 15/2/2021 à 16:19

L’épargne des Marocains a pris un sérieux coup depuis le déclenchement de la crise du Covid-19. Les rendements de tous les instruments d’épargne ont baissé à un niveau jamais connu auparavant. Et au lieu de servir à financer l’investissement privé et participer à l’effort de relance, cette épargne reste cantonnée dans des produits de dette sans risque.

Instruments d’épargne les plus populaires, les comptes sur carnets ne rapportent en ce premier semestre 2021 qu’un petit 1,27%. Du jamais vu. En un an, leur taux de rendement, qui était déjà très bas, a chuté de 56 points de base.

Même tendance pour les dépôts à terme (DAT). Le rendement des DAT à six mois est passé de 2,83% à 2,51% entre janvier et décembre 2020. Les comptes à 12 mois ne rapportent aujourd’hui que 2,8% contre 3,12% il y a un an.

A peine de quoi neutraliser l’effet de l’inflation (une moyenne de 1%) et de se garder une (très) petite marge, laquelle est amputée il faut le rappeler d’une taxe de 30%...

Un dommage collatéral de la politique monétaire anti-crise

Cette baisse de la rémunération des comptes d’épargne chez les banques est due à la baisse des taux des bons de Trésor à court terme sur lesquels les rendements des comptes sur carnet sont indexés. Une baisse du rendement des BDT liée elle-même à l'abaissement du taux directeur, qui a connu deux baisses successives en 2020 passant de 2,25% à 1,5%.

Pour les DAT, même si leur rémunération peut être librement fixée par les banques, ces dernières ont indirectement été impactées par la baisse du taux directeur, les banques pouvant se refinancer moins cher auprès de la Banque centrale. 

Une décision de politique monétaire prise pour alléger les taux des crédits et rendre la liquidité plus disponible pour soutenir les entreprises. Mais qui a coûté au passage des points de rendements aux épargnants.

Et cela s’est reflété également sur le rendement des OPCVM, autre instrument où beaucoup d’épargnants marocains placent leur argent, directement ou indirectement, via notamment leurs cotisations dans les caisses de retraites ou dans les contrats d’assurance vie.

Cet effet du taux directeur et de baisse des rendements à court terme des BDT a ainsi affecté le rendement des OPCVM monétaire et obligataire à court (OCT) qui ont affiché selon l’AMMC des indices de performances respectifs de 2,11% et de 2,89%.

Les OPCVM obligataires à moyen et long terme ont pu en revanche afficher un rendement intéressant de 4,06%, grâce à la hausse des besoins du Trésor sur les maturités longues en cette année de gros déficit.

Les OPCVM actions ont quant à eux affiché une performance négative de -4,42%, en ligne directe avec la chute de plus 7% de l’indice boursier, le MASI, sur l’année,

Mélangeant produits de taux et actions, les OPCVM diversifiés ont pu limiter la casse du marché boursier en récoltant un rendement positif de 1,01%. A peine de quoi couvrir l’inflation et les taxes sur les profits financiers…

Tout cela a impacté directement les particuliers qui gèrent directement leur épargne. Mais a eu aussi un impact sur le rendement des portefeuilles des caisses de retraite et des assurances, qui gèrent des centaines de milliards de dirhams de cotisations du grand public.

Les compagnies d’assurance et les caisses de retraite n’ont pas clôturé pour l’instant leurs comptes pour l’année 2020 et n’ont pas encore communiqué à leur clients les rendements affichés… Mais la tendance sera fortement baissière comme le montrent tous les indicateurs de performance des placements bancaires, du marché boursier ainsi que des OPCVM, où le plus gros de l’argent des retraites et des assurances est investi.

Pauvreté du marché en produits risqués et au fort rendement

Cette tendance montre deux choses : la forte dépendance des instruments d’épargne au Maroc de la politique monétaire et budgétaire. Et l’absence d’instruments novateurs, un peu plus risqués, mais capables de produire plus de rendements, même en temps de crise. Ou du moins d’opérations d’investissements passant via la Bourse. Une Bourse qui est censée financer l’investissement via des levées de capitaux directes des entreprises privées, mais qui ne joue plus ce rôle depuis plusieurs années déjà.

A part l’opération d’introduction en Bourse de la foncière Aradei, aucune IPO ou levée sur le marché action n’a eu lieu en 2020, qui est certes une année de crise, mais qui pouvait être l’occasion pour plusieurs entreprises qui ont des programmes d’investissements d’aller chercher des ressources sur le marché des capitaux, au lieu de rester dépendants à 100% du financement bancaire.

Un professionnel du marché regrette ce fait et nous dit que cela ne date pas de 2020, mais que c’est une constante du marché boursier marocain.

« La Bourse ne joue plus son rôle de financement des entreprises. Du coup, cela limite les opportunités de placement de l’épargne ou sa redirection vers des projets créateurs de valeur pour l’économie et de rendement pour l’épargne. Les causes sont structurelles, mais c’est d’abord lié à une culture de l’entreprenariat au Maroc et d’une éducation financière quasi absente, car même quand il y a des IPO, cela n’attire pas la grande épargne publique. Nous sommes dans un marché d’institutionnels, qui ne prennent pas trop de risque non plus, et préfèrent se positionner sur des valeurs sûres. Le marché tourne d’ailleurs autour d’une dizaine de valeurs au maximum, qui ont des fondamentaux solides, qui agissent dans des secteurs sûrs. Le reste des valeurs sont quasi illiquides et n’intéressent personne », explique notre source.

Pour appuyer son raisonnement, notre source nous indique qu’il y a eu des levées en 2020, mais qui sont passées en catimini via des placements privés négociés directement avec les institutionnels. Et on reste toujours sur de la dette, et non sur des prises de participation ou des augmentations de capital, porteuses de risque, mais qui peuvent renforcer le rendement de l’épargne.

A cette faiblesse du marché boursier, s’ajoute aussi l’absence d’instruments cotés qui peuvent à la fois financer des investissements novateurs et bien rémunérés l’épargne.

C’est le cas par exemple des organismes de placement en capital risque (OPCC), niche connue dans le monde pour les gros rendements qu’elle procure et son rôle dans le développement de projets à forte valeur ajoutée.

Des OPCC, il en existe au Maroc. Mais ils sont d’abord très peu nombreux, très maigres en termes d’actif net et ne sont pas ouverts au grand public. L’AMMC en compte sept pour un total géré d’à peine 1,05 milliard de dirhams, dont aucun n’est coté en Bourse.

Absence de la culture du risque à toute les échelles

La faiblesse de cette industrie du capital risque est encore une fois liée à des raisons structurelles : l’absence de culture du risque, aussi bien chez les entrepreneurs que chez les investisseurs. Et la crise du Covid-19 ne peut en aucun cas être un prétexte pour expliquer ce grand retard de l’écosystème de l’investissement en capital.

En Europe, par exemple, cette année de crise a connu des records en termes de levées, comme le montre une étude de EY sur le capital risque en Europe. En France, l’écosystème des start-up, ou de la French Tech, a battu un record en 2020 avec des levées de 5,4 milliards d’euros qui ont permis de financer selon le baromètre EY 620 jeunes pousses. Idem en Allemagne où les entreprises naissantes ont levé auprès de capital risqueurs un montant de 5,24 milliards d’euros, un record. En Grande Bretagne, où cette culture du risque est ancrée dans l’ADN des investisseurs, des entrepreneurs jusqu’au petit épargnant, c’est plus du double de ces montants qui sont affichés : 12,71 milliards d’euros !

Et ce « miracle » s’explique tout simplement par l’effet de la crise. Car c’est dans les moments difficiles que les économies ont besoin d’investissements pour se relever. Et c’est dans ces moments difficiles où le financement des entreprises, innovantes, portées par des jeunes, permet aux économies de créer de la valeur, des emplois et limiter les effets de la dépression.

Au Maroc, les décideurs ont bien compris cette nécessité. Mais il a fallu attendre une initiative publique pour donner forme à tout cela, avec la création du Fonds Mohammed VI pour l’investissement stratégique. Un fond qui servira à financer des projets d’investissements dans plusieurs domaines, et qui encouragera, par un effet de levier, les investisseurs privés et institutionnels à mettre 30 milliards de dirhams dans cet instrument, aux côtés des 15 milliards mobilisés par l’Etat.

Des OPCI prometteurs mais fermés au grand public

Autre instrument fort rentable, peu risqué, et qui peut mobiliser l’épargne publique pour structurer l’immobilier locatif, un secteur essentiel au Maroc : les OPCI. A peine lancés, ces instruments, au nombre de 7 selon l’AMMC, gèrent déjà un total d’actif de plus de 6 milliards de dirhams, soit six fois l’actif net des fonds de capital-risque. Et promettent des rendements quasi-sûrs allant de 5 à 6% au bas mot. Leur périmètre d’intervention, la pierre si chère aux Marocains, ainsi que leur perspectives de rendement peuvent en faire des leviers d’épargne populaire par excellence.

Mais aucun d’eux n’est encore coté en Bourse ou ouvert au grand public, faute d’une réglementation claire sur le sujet, comme nous l’expliquait Ghizlane Mamouni, experte juridique en montage d’OPCI.

« Ce sujet fait partie des défis qui restent à relever sur le plan réglementaire. La loi pose le principe de la possibilité de coter un OPCI, mais se contente simplement d’énoncer le principe. On n’a pas le modus operandi, on ne sait pas sur quel marché ni quel compartiment cela doit se faire et aucune procédure n’est décrite… », nous expliquait-elle dans une récente interview.

En attendant, les Marocains doivent se contenter de ce qui existe déjà : des dépôts bancaires aux taux dérisoires et d’OPCVM à la gestion très prudente… En se disant qu’au moins, leur épargne est bien sécurisée. Ce qui est déjà pas mal en ces temps de crise où d’autres pays pratiquent des taux négatifs sur l’épargne… 

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