Aboulkacem Chebri (ICOMOS) : “Le Maroc n’est pas le berceau de l'humanité, il est l'origine de l'homme moderne”
L’archéologue et spécialiste de la restauration du patrimoine maroco-portugais, Aboulkacem Chebri, a été élu, la semaine dernière, vice-président de l’Assemblée générale annuelle du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), organe consultatif auprès de l’Unesco. L’occasion de faire, avec le chef du bureau Maroc, un état des lieux de l’archéologie et du chantier des monuments endommagés par le séisme. Interview.

Aboulkacem Chebri (ICOMOS) : “Le Maroc n’est pas le berceau de l'humanité, il est l'origine de l'homme moderne”
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Zaïnab Aboulfaraj
Le 2 décembre 2024 à 15h00
Modifié 2 décembre 2024 à 16h19L’archéologue et spécialiste de la restauration du patrimoine maroco-portugais, Aboulkacem Chebri, a été élu, la semaine dernière, vice-président de l’Assemblée générale annuelle du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), organe consultatif auprès de l’Unesco. L’occasion de faire, avec le chef du bureau Maroc, un état des lieux de l’archéologie et du chantier des monuments endommagés par le séisme. Interview.
Où en est le Maroc sur le plan archéologique ? Quelle place occupe-t-il à l’international ? Qu’en est-il de la restauration des monuments endommagés par le séisme de septembre 2023 ? Autant de questions auxquelles répond le directeur Maroc d'ICOMOS, Aboulkacem Chebri.
Médias24 : Vous avez été élu vice-président de l’Assemblée générale de l’ICOMOS. Quel rôle allez-vous endosser ?
Aboulkacem Chebri : C’est un poste honorifique, et j’en suis fier. Cette nouvelle assemblée va durer jusqu’en 2025, où elle se déroulera au Népal. C'est un honneur pour le Maroc. Et doublement, car le pays occupe plus de place sur la scène internationale. C’est une reconnaissance aussi pour le travail que mène humblement notre bureau. C’est ce qu’on appelle un comité national. D’ailleurs, tous les pays n’ont pas pu créer de comités nationaux. Il y en a 113 au total sur 193 pays membres de l’ONU. Le comité ICOMOS Maroc a été créé en 1997.
- Comment se porte le milieu de l'archéologie au Maroc ? Est-ce qu'on peut dire que l'archéologie est davantage valorisée depuis quelques années ?
- Oui, surtout ces dix, quinze dernières années, les choses vont crescendo. Nous, les archéologues partout dans le monde, on travaille comme des fourmis, parce qu’on ne fait pas de tapage, on fouille, on creuse, et les résultats ne sont pas annoncés immédiatement. Cela prend du temps. Ils sont analysés dans des laboratoires différents, il faut rédiger le rapport scientifique qui doit être jugé par des examinateurs...
Quand on a entendu parler de Tafoghalt, les recherches étaient menées depuis déjà cinq ans, comme pour Jbel Irhoud, ainsi que la découverte récente du plus ancien et vaste complexe agricole. Il y a des choses qu’on annonce immédiatement, avec un petit rapport pour les médias, mais le vrai rapport scientifique qui donne les résultats juridiques peut prendre trois à cinq ans.
Et donc, ces dernières années, on a constaté un intérêt plus marqué de la part des responsables et des citoyens, et des médias bien sûr. On invite parfois des chercheurs, alors qu'on n'avait pas l'habitude de voir des archéologues sur les plateaux télévisés lors des heures de grande écoute.
- Peut-on parler d'un tournant après la découverte de l'Homo sapiens en 2017 ? Le Maroc est-il vraiment le berceau de l'humanité ?
- L’homme de Jbel Irhoud, c'est l'Homo sapiens (en arabe c’est الانسان العاقل الحديث). C'est ce qu'on pourrait appeler l'homme moderne. Mais le Maroc n’est pas le berceau de l'humanité, c'est l'origine de l'homme moderne comme nouvelle découverte.
Jusqu'aux années 1990, on n'avait pas les mêmes moyens qu'aujourd'hui. Désormais, les laboratoires sont partout dans le monde. Ils sont bien développés, avec de nouvelles approches, de nouvelles méthodes d'analyse, et donc beaucoup plus de résultats. Maintenant, les gens savent ce que mangeaient nos ancêtres, à quel âge il sont morts, s'ils étaient carnivores ou herbivores, s'ils mangeaient cru ou cuit, s'il y avait des maladies... Ce n'était pas possible dans les laboratoires des années 1960 ou 1970. Aujourd'hui, c'est devenu possible.
Chez nous, au Maroc, nous avons déjà révélé, dans la carrière Thomas, l'existence de l’outillage lithique, depuis 1 million d'années, avec lequel on n'a pas trouvé des ossements associés, ou des os humains. L’outillage a été façonné par des humains. 1 million d’années, c’est le minimum, cela doit être plus. C’est une évolution avancée de la préhistoire.
Pour réaliser des fouilles au Maroc, ou des campagnes de fouilles archéologiques, il faut avoir des partenaires étrangers puisque c’est coûteux
Pour l’archéologie au Maroc, nous pouvons dire qu’il y a une attention et un intérêt royal envers le patrimoine. C’est un fait. Nous le ressentons fortement, que ce soit dans le patrimoine matériel et immatériel. On doit continuer de travailler. On n'est pas encore au niveau de certains pays où l’archéologie est bien développée.
Pour réaliser des fouilles au Maroc, ou des campagnes de fouilles archéologiques, il faut avoir des partenaires étrangers puisque c’est coûteux. Et pour cela, il faut une nouvelle stratégie au Maroc, avec un peu plus de fonds pour les fouilles archéologiques, sachant qu'on ne connaît pas encore le pays. Je le souligne. Il n'y a pas de justice territoriale en matière de découvertes archéologiques. Dans les vingt dernières années, nous sommes allés dans des coins qui n'ont jamais été fouillés. Mais tout le Maroc reste à fouiller.
- Que voulez-vous dire au juste par justice territoriale ?
- La justice territoriale concerne aussi bien les fouilles archéologiques que la restauration des monuments, par exemple, et en matière de création de l'infrastructure. Nous avons combien de musées au Maroc ? Et où sont ces musées ? C’est du ressort de la Fondation nationale des musées (FNM) et du ministère de la Culture, en charge des centres d'interprétation du patrimoine (CIP). On a besoin de politiques culturelles.
Nous sommes allés dans des coins qui n'ont jamais été fouillés. Mais tout le Maroc reste à fouiller
Malheureusement, c'est un débat récurrent, mais on ne conclut jamais. Donc, chaque ministre fait ce qu'il peut, en fonction des moyens dont il dispose. Mais, là, il faut que les cerveaux travaillent, non pas seulement l'argent. Il faut d'abord donner des résultats.
Chaque ministre fait ce qu’il peut durant son mandat, mais la durée d’un mandat n’est pas suffisante. On ne peut pas développer des politiques culturelles en quatre ans. Il faut un débat national avec toutes les parties prenantes. Nous avons besoin d'élaborer un planning, un plan d’action et non pas des recommandations, pour que tous les acteurs du secteur s’y tiennent. Certains pays font du tourisme culturel une véritable attraction. Ce sont des milliards dont on pourrait profiter également.
Nous, les responsables extérieurs, le gouvernement et les dirigeants, avons besoin d'un plan d'accompagnement, pour ne pas nous contredire, pour ne pas refaire la même chose, pour avoir de la visibilité.
- Depuis quelques années, il y a de plus en plus de découvertes majeures dans le domaine de l'archéologie. Comment le Maroc se positionne-t-il sur l’échiquier international ?
- On peut dire que l'on a fait un tabac avec Tafoghalt et Jbel Irhoud. Le Maroc a désormais un nouveau visage à l’international. On peut même le comparer à ce qu’a fait l’équipe du Maroc lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022. Ce n'est pas la même ampleur. Dans ce domaine, les responsables de banques, les publicitaires, les milieux scientifiques ont un autre regard sur le Maroc.
- Pour ce qui est des monuments endommagés par le séisme, quel est l'état d'avancement de la reconstruction ?
- L’habitat rural est un patrimoine qui n’est pas inscrit comme patrimoine national. De par son architecture, il doit l'être, que ce soit en pisé ou en pierre, et son mode de vie, à commencer par l’implantation des maisons. Il ne faut pas mépriser cette architecture de terre. Il s’agit d’un mode de construction savant. En parlant d’implantation et de choix des matériaux, c’est un savoir. La technique de construction aussi, mais c’est un peu en déperdition. La situation n'est pas satisfaisante, grosso modo. Nous sommes en train de massacrer notre héritage patrimonial en construisant avec du béton aujourd’hui. Ce qui risque de bouleverser le mode de vie rural.
On peut même le comparer [le progrès de l'archéologie nationale, ndlr] à ce qu’a fait l’équipe du Maroc lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022
Si on déplace les douars de leur emplacement initial, cela va être un véritable massacre pour l’architecture et pour le mode social. Quand il gèle, ils vont souffrir du froid. Le pisé retient mieux la chaleur et préserve du froid des montagnes.
Concernant les monuments, on a donné plus d’importance à Marrakech. Cette année, je me suis rendu à Taroudant, j’ai été choqué. Il n’ y a rien pour préserver les monuments. C’est une sorte d’oubli de la part des autorités. Un budget a été alloué au séisme. Pourquoi la ville de Taroudant a-t-elle été oubliée ?
L’effort de l’Etat est là, mais il faut quand même réorienter les ressources. L’habitat rural doit rester rural. Pour les monuments, il faut s’intéresser aux autres villes, pas seulement à Marrakech.
Taroudant n’est pas anodine de par son rôle dans l’histoire du Maroc, que ce soit au niveau politique ou patrimonial. La ville est importante dans le passé du pays. C’est un chef-d’œuvre extraordinaire.
Les autorités ont présenté un projet de restauration, mais quand sera-t-il mis en œuvre ? Taroudant va certainement bénéficier du projet qui va concerner les villes de taille moyenne comme Tiznit, Safi, Azemmour, Moulay Idriss Zerhoun. Ce projet fait suite à celui de la réhabilitation des médinas des grandes villes. Maintenant, c’est au tour des villes de taille moyenne. On n’attend que le feu vert des autorités.
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