Le paysage protestataire marocain à travers les quatre derniers gouvernements

Mandats "Abbas El Fassi", "Benkirane", "El Otmani" et "Akhannouch" : aucun de ces gouvernements n'a échappé aux vagues de protestation ni aux actions collectives revendicatives, clamées par différents catégories ou secteurs. Quel est le fil des événements ayant cadencé ces mouvements ? Et que retenir de l'évolution et de la gestion du paysage protestataire marocain sur les deux dernières décennies ? Réponses.

Le paysage protestataire marocain à travers les quatre derniers gouvernements

Le 27 mars 2024 à 12h29

Modifié 27 mars 2024 à 12h32

Mandats "Abbas El Fassi", "Benkirane", "El Otmani" et "Akhannouch" : aucun de ces gouvernements n'a échappé aux vagues de protestation ni aux actions collectives revendicatives, clamées par différents catégories ou secteurs. Quel est le fil des événements ayant cadencé ces mouvements ? Et que retenir de l'évolution et de la gestion du paysage protestataire marocain sur les deux dernières décennies ? Réponses.

Nombreuses sont les vagues de protestation qui se sont succédées dans le Royaume ces dernières années. Pour comprendre leur évolution dans le temps, Médias24 a joint, Hicham Berjaoui, professeur de droit public à l'Université Mohammed V de Rabat pour une lecture.

Selon lui, la prolifération des mouvements sociaux est un phénomène universel auquel le Maroc ne fait pas exception.

"Les systèmes représentatifs à travers le monde connaissent une accentuation des mouvements contestataires. Ce constat est valable tant dans les pays développés que dans les pays en développement. Le Maroc n'en excipe pas dans la mesure où les dynamiques contestataires demeurent un des marqueurs de son histoire politique", souligne Berjaoui.

Au milieu du gué de son mandat, le gouvernement actuel fait face, dans la même lignée, à une montée progressive des mouvements sociaux. Or, depuis la crise des enseignants protestant contre le nouveau statut unifié, les grèves se sont multipliées dans le secteur public. Des fonctionnaires des Collectivités territoriales à ceux des ministères de l'Équipement et de l'eau, ou encore du Transport et de la logistique, en passant par le personnel du ministère de la Santé, la revendication est presque unanime : la hausse des salaires.

Même la sphère estudiantine n'a pas échappé à la fièvre de la revendication. C'est le cas des futures blouses blanches qui entament à présent leur troisième mois de boycott ouvert, déclenché en décembre dernier.

Le gouvernement Akhannouch n'est pas le seul à faire face aux mouvements sociaux. Loin s'en faut ! Ses trois prédécesseurs, les gouvernements Abbas El Fassi, Benkirane et El Otmani, avaient également été déstabilisés par des vagues de protestation, dont nous retraçons, ci-dessous, le cours des événements.

Quand les enseignants contractuels défilaient à l'époque d'El Otmani

Le torchon brûlait pareillement, en 2019, entre le gouvernement El Otmani et les enseignants contractuels. Ces derniers avaient défilé dans les rues du Royaume, en protestation contre la contractualisation, réclamant l'abandon du contrat à durée indéterminée et l'intégration pure et simple dans la fonction publique.

D'autres mouvements avaient également surgi durant ce mandat, tels que les grèves des professionnels de la santé, les  protestations des fonctionnaires doctorants ou encore les manifestations des étudiants en médecine ayant abouti à la signature d'un accord écrit avec le gouvernement en 2019.

Le cabinet Benkirane, l'autre figure du PJD, avait vu naître sous ses deux mandats (2011-2013 et 2013-2017) plusieurs actions collectives revendicatives, et non des moindres.

Près de 110 syndicats de transport avaient lancé une grève nationale de 72 heures en 2013, pour protester contre l'indexation des prix du carburant sur les cours internationaux. Abdelilah Benkirane s'était également attiré par le passé les foudres des Marocaines. En 2014, quelque 200 personnes avaient manifesté devant le Parlement pour protester contre ses déclarations sur le rôle des femmes dans la société moderne.

Un bras de fer enseignants stagiaires/Benkirane avait aussi éclaté en octobre 2015. Ces premiers protestaient contre l’annulation des deux décrets régissant la formation et le concours d’accès aux CRMEF.

En 2016, trois grands mouvements avaient émergé à l'époque Benkirane : la protestation contre la tentative de main mise sur les structures de  l'Etat, les contestations sur la réforme des retraites et le mouvement populaire du Rif.

Abbas El Fassi et les diplômés chômeurs ! 

Si la crise des jeunes diplômés chômeurs remonte à la fin des années 1980, elle s'est prolongée jusqu'aux années 2000, notamment durant le gouvernement Abbas El Fassi (2007-2011). Les diplômés chômeurs représentaient alors une catégorie omniprésente du paysage protestataire marocain.

C’est en 1991 qu’a été créée l’Association nationale des diplômés chômeurs du Maroc (ANDCM), première organisation rassemblant des titulaires de diplômes allant du baccalauréat jusqu’au doctorat, en situation de chômage, et poursuivant l’objectif d’intégrer ses adhérents à la fonction publique. Depuis lors, l’espace protestataire des diplômés s’est amplifié en nombre d’acteurs et en dossiers revendicatifs. Les manifestations des diplômés constituaient aussi bien des réponses au chômage qu’à des sujets disparates tels que le renchérissement des transports et des services de première nécessité, le respect des droits de l’Homme ou le détournement de l’argent public.

En novembre 2008, cinq groupes de 3e cycle ont mené des actions publiques de protestation et des négociations avec des représentants de la primature et du ministère de l’Intérieur. En février 2009, une centaine de jeunes diplômés chômeurs appartenant au Groupement marocain des cadres au chômage ont envahi massivement le Salon international du livre de Casablanca, en scandant des slogans contre leur marginalisation sociale et la politique de l’emploi adoptée par le gouvernement.

Le mouvement du 20-Février 

On ne peut évoquer le mandat Abass El Fassi sans l'associer au mouvement du 20-Février.

Le 20 février 2011, des milliers de Marocains avaient manifesté dans la plupart des villes du pays, en réponse à l’appel lancé initialement sur internet par des jeunes appartenant à divers réseaux sociaux créés sur le web 2.0. Ceux-ci réclamaient une série de réformes dans divers domaines : une assemblée constituante, l’application des principes de la bonne gouvernance dans les affaires publiques, la reconnaissance du pluralisme social et identitaire de la société marocaine, l’élargissement de l’accès de la population à la santé, l’éducation et l’emploi...

Les revendications du 20-Février exigeaient la dissolution du gouvernement et du Parlement, ainsi que l’abrogation de la constitution (de 1996) et la création d’un pouvoir constituant émanant du peuple pour l’élaboration d’un projet soumis à référendum. La nomination d’un gouvernement de transition était demandée : il serait chargé de prendre des initiatives urgentes pour atténuer la gravité de la crise sociale, notamment réduire les prix et augmenter les salaires, embaucher tous les diplômés chômeurs sans condition ni restriction, et libérer tous les détenus politiques. Enfin, on demandait l’ouverture de procès pour tous les fonctionnaires impliqués dans des délits contre le peuple marocain. Cette liste de revendications s'est prolongée dans les plateformes successives, en incluant des revendications telles que celles d’un Etat "civil" (dawla madaniyya), la liberté de conscience ainsi que l’instauration d’une monarchie parlementaire.

"De nouvelles formes contestataires ont émergé depuis 2011"

Après avoir rappelé les principales vagues de protestation qu'a connues le Maroc durant les deux dernières décennies, il est temps maintenant de s'attaquer à la question fondamentale : que retenir de l'évolution et de la gestion du paysage protestataire marocain au fil des derniers mandats ?

Jusqu'en 2011, le fait contestataire s'organisait et évoluait sous l'encadrement des institutions classiques de médiation sociale, tels les partis politiques, les syndicats et les associations, explique Hicham Berjaoui.

"Malgré les critiques organisationnelles que suscitent les organismes d'encadrement précités, ils ont pu canaliser et atténuer les mouvements contestataires qui s'étaient constitués avant l'apparition et le déferlement de la cyber-contestation. Depuis 2011, une pluralité de facteurs a significativement contribué à l'émergence de nouvelles formes contestataires qui récusent le rôle, voire l'utilité des institutions partisanes et syndicales".

La contestation se déclenche désormais à l'extérieur du champ institutionnel officiel, note le professeur de droit public à l'Université Mohammed V de Rabat.

"C'est le cas, dans le contexte marocain, des coordinations qui se forment dans l'espace virtuel pour se déverser rapidement et massivement dans la rue. La cyber-contestation serait donc la forme la plus répandue des dynamiques de remise en cause des choix et des arbitrages opérés par les gouvernements".

"Et bien que son lieu natal soit le Web, la cyber-contestation se caractérise par sa capacité à investir le monde réel et à exercer des pressions efficaces sur les processus de définition et de mise en œuvre des politiques publiques. La cyber-contestation fabrique sa légitimité en récusant des partis politiques et des syndicats dans lesquels se propagent des logiques de carrière".

Au cœur des contestations, les problématiques sociales habituelles

"Au demeurant, le contenu de la contestation, ou de la revendication, n'a pas connu une mutation notoire dans la mesure où il se rapporte généralement à des problématiques sociales habituelles : chômage, accès à l'enseignement, accès aux soins, justice territoriale, équipements publics...", souligne notre interlocuteur.

Pour prendre en charge la contestation, les gouvernements adoptent le plus souvent des formules similaires, précise-t-il. Il s'agit, dans les faits, de l'ouverture d'une négociation susceptible de déboucher sur une modification ponctuelle ou un report de l'implémentation des décisions contestées.

"En d'autres termes, les gouvernements mettent en œuvre des traitements symptomatiques ou curatifs en fonction des profils des responsables et de la cohérence de la majorité gouvernementale. De plus, la faiblesse des capacités communicationnelles de certains responsables, le caractère limité des moyens financiers mobilisables et la difficulté d'encadrer des dynamiques contestataires usant avec une remarquable habileté des espaces virtuels, sont autant de facteurs qui poussent les gouvernements à adopter des plans de dépassement instaurant une certaine proportionnalité entre la satisfaction partielle des demandes scandées et le recours aux interventions sécuritaires", conclut Hicham Berjaoui.

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