Un entretien avec Nizar Baraka : ce qu’il faut savoir sur la problématique de l’eau au Maroc

DOCUMENT. Combien le Maroc reçoit-il d’apports en eau ? Quels sont précisément ses besoins ? D’où provient l’eau potable et combien en consomme-t-on ? Quelles sont les communes et les villes qui risquent les plus fortes restrictions d’eau ? Où en est le programme de dessalement et quels seront les coûts de production de l’eau dessalée à l’avenir ? Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’eau, répond à toutes ces questions dans cet entretien-document.

Nizar Baraka, ministre de l'Equipement et de l'Eau. Photo MEDIAS24

Un entretien avec Nizar Baraka : ce qu’il faut savoir sur la problématique de l’eau au Maroc

Le 18 janvier 2024 à 18h19

Modifié 19 janvier 2024 à 9h22

DOCUMENT. Combien le Maroc reçoit-il d’apports en eau ? Quels sont précisément ses besoins ? D’où provient l’eau potable et combien en consomme-t-on ? Quelles sont les communes et les villes qui risquent les plus fortes restrictions d’eau ? Où en est le programme de dessalement et quels seront les coûts de production de l’eau dessalée à l’avenir ? Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’eau, répond à toutes ces questions dans cet entretien-document.

Au cours d’une réunion consacrée à la situation hydrique en présence des différents responsables concernés, le Roi Mohammed VI a recommandé, d’une part, la priorité à l’eau potable, et d’autre part, une communication transparente et régulière.

Ci-après, Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’Eau, nous fournit les explications didactiques sur ce sujet.

Le Maroc reçoit depuis les dernières années de sécheresse seulement 5 milliards de mètres cubes d’eau pour des besoins estimés à 16 milliards si l’on tient compte de l’agriculture.

Le tiers de cet apport va à l’eau potable. Le reste va d’abord à l’agriculture, sachant que ce qu’elle reçoit est très faible par rapport à ses besoins.

Nizar Baraka livre également d’intéressantes informations dans tous les domaines ; par exemple, les nappes profondes, aussi appelées nappes fossiles, vont faire l’objet d’une reconnaissance. Situées à 500 ou 1.000 mètres de profondeur, elles sont supposées être abondantes et d’une grande pureté. Y effectuer des prélèvements n’est pas exclu.

Le Maroc reçoit actuellement 5 milliards de m3 d’eau par an, pour des besoins estimés à 16 milliards

Médias24 : Commençons par le cycle de l’eau. A combien s’élèvent les besoins annuels actuels ?

Nizar Baraka : Les besoins annuels en matière d’eau s’élèvent à plus de 16 milliards de mètres cubes, dont 1,7 milliard de mètres cubes pour l’eau potable.

Le secteur agricole représente environ 87% de la demande en eau totale, soit plus de 14 milliards de m3 par an dont 10 milliards de m3/an pour l’irrigation des périmètres de la grande hydraulique et de la petite et moyenne hydrauliques, et plus de 4 milliards de m3 pour l’irrigation privée.

A tout cela s’ajoutent les besoins en eau des espaces verts, de la voirie, qui peuvent utiliser les eaux non conventionnelles.

- A combien peut-on estimer les besoins industriels ? Ils ne sont pas très élevés apparemment…

- Par le passé, les besoins en eau industriels d’OCP représentaient l’essentiel des besoins du secteur de l’industrie, estimés à environ 260 à 300 Mm3. Aujourd’hui, grâce à son programme "Eau" et particulièrement le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées, l’OCP est devenu complètement autonome et couvre ses besoins en eau pour ses activités tout en assurant l’alimentation en eau potable des villes de Safi et d’El Jadida.

- Donc OCP est devenu autonome, alimente d’autres villes et va accroître sa contribution en matière d’eau potable…

- OCP apporte en fait une véritable contribution, très utile, notamment en ces périodes de sécheresse. La forte mobilisation de ce groupe a permis de répondre aux besoins en eau potable des villes de Safi et d’El Jadida en un délai de huit mois grâce au dessalement de l’eau de mer. Aujourd’hui, 80 millions de mètres cubes de capacité annuelle sont mobilisés pour ses besoins en eau propre et les besoins en eau de ces deux villes, permettant ainsi d’assurer leurs besoins en eau potable à 100%, et ce depuis le début de l’année 2024. D’autres interventions sont programmées par OCP pour assurer l’approvisionnement en eau potable d’autres villes telles que Marrakech, Youssoufia et Rhamna.

- Voici donc les chiffres relatifs aux besoins en eau, notamment potable et agricole. Mais on reçoit combien d’eau par an ? Il y a tellement de chiffres anciens et dépassés qui circulent…

- En fait, les apports en eau changent constamment depuis quelques années. Ce qui est important et pour faciliter la compréhension, c’est de raisonner en termes d’apport net moyen annuel en eau.

Si on calcule une moyenne annuelle entre 1945 et jusqu’à une date récente, le Maroc a reçu un apport net de 11,5 milliards de mètres cubes par an. Au cours des dix dernières années, cet apport a connu une baisse significative et se situe en moyenne à 7 milliards de m3/an.

1,5 million de mètres cubes s’évaporent par jour, le tiers des besoins en eau potable

Durant les cinq dernières années, le Maroc a subi une sécheresse sévère, impliquant une nouvelle baisse des apports en eau qui avoisinent désormais les 5 milliards de mètres cubes. Trois phénomènes expliquent cette baisse :

→ La baisse des précipitations ;

→ La baisse de l’enneigement, qui est aussi un élément important en termes d’apport en eau ;

→ L’augmentation des températures : de +1°C en 2021-2022 et +1,8 °C en 2022-2023 par rapport à la période 1981-2010 (30 années de référence).

Ce réchauffement fait perdre au Maroc 1,5 million de mètres cubes d’eau par jour, sous l’effet de l’évaporation.

Un projet-pilote dans le Nord pour lutter contre l’évaporation de l’eau des barrages

- C’est le tiers des besoins en eau potable du Maroc qui part en fumée ! N’y a-t-il rien à faire contre cela ?

- Nous venons de lancer cette année une première expérience dans la région de Tanger avec le barrage Tanger Méditerranée, où nous allons mettre en place des plaques solaires flottantes pour pouvoir d’une part produire de l’électricité pour les besoins du port, et d’autre part, limiter l’évaporation de l’eau.

L’idée étant de tirer les enseignements de cette expérience-pilote en vue de son application au cas du barrage Al Wahda, le plus grand du Maroc, qui contient actuellement une réserve de 1,4 milliard de mètres cubes d’eau.

- Est-ce que ce dispositif coûte cher ?

- Pour cette expérience-pilote, la retenue du barrage n’est pas très grande et par conséquent le coût n’est pas élevé. Dans le cas du barrage Al Wahda, nous allons mener l’évaluation finale à l’issue de cette première expérience.

L’eau potable est la priorité absolue. Ensuite, vient l’agriculture puis l’hydroélectricité

- Pour en revenir au cycle de l’eau : donc, le Maroc reçoit depuis quatre ou cinq ans seulement 5 milliards de mètres cubes d’eau. Il y cinq à dix ans, il en recevait 7 milliards. Et auparavant, il en recevait 11 milliards. Sur ce total que nous recevons et qui varie tous les ans à cause du changement climatique, nous fournissons en priorité 1,7 milliard de mètres cubes d’eau potable, qui est la priorité absolue. Ce qui reste va à l’agriculture. C’est bien ça ?

- Exactement. Nous avons trois priorités. D’abord, évidemment, satisfaire les besoins en eau potable. Ensuite, fournir l’eau pour l’irrigation, et troisièmement, l’eau pour la production de l’énergie électrique, l’hydroélectricité. Ce sont nos priorités, dans cet ordre-là.

- Toujours pour l’eau potable : sur les 1,7 milliard de mètres cubes de besoins annuels, quelle est la part des barrages ?

- Environ 1 milliard de mètres cubes de l’eau potable proviennent des barrages. Le reste, 700 millions de m3, provient des nappes souterraines avec, comme on le constate, une part croissante de l’eau dessalée, comme par exemple à Agadir, Safi et El Jadida.

- Donc, on prélève 1 milliard de mètres cubes sur les réserves des barrages pour l’eau potable, et le reste va à l’agriculture, sachant que la demande en eau annuelle d’irrigation dépasse 14 milliards de m3.

- Oui mais au cours des dernières années, la dotation en eau pour l’irrigation a été réduite à 3 milliards de m3 puis à 1 milliard de m3 seulement, soit la même quantité que l’on livre à l’eau potable.

Depuis septembre dernier, le Maroc a reçu 606 millions de mètres cubes d’apports en eau dans les barrages, dont près de 350 millions de m3 sont fournis à l’irrigation, sachant que l’année n’est pas finie.

En conclusion, on peut dire que nous sommes passés de 80% des apports d’eau dans les barrages qui allaient vers l’agriculture, à l’équivalent de 52-53% par an.

Le choix des cultures et des zones à irriguer se fait par le ministère de l’Agriculture. Les cultures vivrières et le cheptel font partie des priorités

- En valeur absolue, on prend la part de l’eau potable, actuellement 1,7 milliard de m3 par an à partir des barrages, des nappes ou du dessalement, et on donne ce qui reste à l’agriculture. L’agriculture reçoit actuellement 1 milliard par an. Comment cette quantité, qui est faible, est-elle utilisée ? Va-t-elle vers un type d’agriculture plutôt que vers un autre ? Un type de producteur plutôt qu’un autre ? Quelle est la part des grandes exploitations et celles des petites ? Quelle est la part du paysan qui fait de l’agriculture vivrière ? Comment se font les arbitrages ?

- Les arbitrages se font par bassin hydraulique.

Ce que nous sommes censés faire, c’est garantir l’eau potable de cette année et de l’année suivante. Cependant, vu l’urgence de la situation actuelle, nous raisonnons uniquement sur l’année en cours.

Nous donnons la priorité à l’eau potable pour l’année et le reste on le fournit pour l’irrigation, et ce au niveau de chaque bassin. Par exemple, le bassin de la Moulouya a reçu l’année dernière plus de 100 millions de mètres cubes d’eau pour l’irrigation et pour cette année, nous avons prévu l’équivalent de seulement 45 millions de mètres cubes vu la situation des barrages. Ce chiffre pourra augmenter si la situation s’améliore d’ici là. Pour le Sebou, nous avons programmé 500 millions de m3.

- Donc, le premier arbitrage se fait par la force des choses, sur la quantité accordée à chaque bassin. Il y a ensuite un deuxième arbitrage à faire, à savoir quel type de culture, n’est-ce pas ?

- Cette question et toutes celles qui s’y rattachent sont traitées par le ministère de l’Agriculture et les ORMVAs, les Offices régionaux de mise en valeur agricole.

Pour en revenir aux bassins hydrauliques, il ne s’agit pas d’avoir une dotation agricole à répartir sur l’année, mais de fournir les besoins d’eau à une période bien précise en fonction des cultures.

- Récemment, devant les Conseillers, vous avez expliqué qu’en 2030, les villes côtières seront alimentées par le dessalement et que 100.000 hectares proches de la mer seront réservés à l’agriculture irriguée par l’eau dessalée.

- Dans le cadre de la programmation du ministère de l’Agriculture, il est prévu de mobiliser à l’horizon 2030 l’équivalent de près de 500 millions de mètres cubes d’eau de mer dessalée, pour l’irrigation de 100.000 hectares à créer ou existants.

A titre d’exemple, la station de dessalement de Nador produira 250 millions de mètres cubes dont 110 millions vont aller à l’agriculture. C’est le cas également de Dakhla, où 5.000 ha seront irrigués par la nouvelle station de dessalement en cours de construction.

Par ailleurs, il est essentiel de maintenir et d’aider l’agriculture vivrière et l’élevage.

Dans le cadre de ces équilibres, qu’il faut absolument préserver, la partie vivrière est fondamentale. Pour ce faire, nous avons relancé le programme des barrages collinaires, dont la construction était limitée durant les dix années précédentes.

- Quels sont les chiffres de ce programme de barrages collinaires que vous relancez ?

- Le Maroc dispose actuellement de 141 barrages collinaires. Nous avons lancé la construction de 40 petits barrages supplémentaires et d’autres sont à l’étude. Un nouveau programme dédié aux barrages collinaires sera mis en place pour 2025-2027.

Des communes et des villes sont menacées par les restrictions

- Revenons à l’eau potable et à l’alerte que vous avez lancée concernant les prochains mois si jamais il n’y a pas de pluies significatives. Quelles sont les régions, les villes et les communes les plus menacées par la pénurie d’eau ?

- Plusieurs dizaines de petites communes rurales et de centres urbains sont concernés, même dans des bassins comme le Loukkos, l’Oum Er Rbia, le Souss ou le Sebou.

Les villes de Guercif, Settat, Berrechid, Had Soualem, Dar Bouazza, Bouskoura et Taza pourraient être affectées. C’est la raison pour laquelle un plan d’urgence a été mis en place pour y faire face conformément aux Orientations Royales. C’est ainsi que concernant Casablanca Sud et sa région, l’ONEE est en train de finaliser une nouvelle canalisation entre Casa Nord et Casa Sud, qui aura un débit de 4 m3 par seconde. Sachant bien sûr que Casablanca Nord et une partie de Casablanca Sud sont reliées au Bouregreg et reçoivent les eaux transférées du Sebou, permettant ainsi de garantir l’eau potable à la population concernée.

Malgré l’interconnexion entre le Nord et le Sud de Casablanca qui sera prête en février, la quantité d’eau disponible sera insuffisante pour satisfaire tous les besoins en raison de questions de capacités de transit limitées entre Rabat et Casablanca et de traitement d’eau de la station d’Oum Azza, de telle sorte qu’il y aura un léger déficit au niveau de la zone sud.

C’est pourquoi l’ONEE va procéder à la construction d’une canalisation supplémentaire et que de nouvelles canalisations seront construites pour transférer de l’eau dessalée de Jorf Lasfar – El Jadida vers la région de Casablanca pour combler ce déficit.

En attendant cette mise en place, il y aura quelques restrictions C’est ainsi que, depuis le 10 janvier, en accord avec les autorités locales, la dotation du site de traitement d’eau de Daourat a été réduite de 7 à 5 millions de m3 d’eau potable tous les dix jours, à partir du barrage Al Massira, qui est quasiment à sec.

L’objectif est de faire durer les stocks actuels le plus longtemps possible, en attendant soit des précipitations, soit les augmentations de capacité déjà en cours. C’est la raison pour laquelle nous avons été amenés à tirer la sonnette d’alarme pour appeler les citoyens à un effort de leur part et supporter demain les restrictions si nécessaire. Les restrictions sont établies par les commissions régionales de vigilance présidées par les walis.

Il n’y a pas de risque de voir des communes ou des villes privées d’eau pendant plusieurs jours

- Y a-t-il un risque de voir des communes ou des villes privées d’eau pendant plusieurs jours…

- Non. Nous voulons simplement passer le message selon lequel la menace est forte. Cela veut dire qu’il y aura une baisse de la pression de l’eau, des restrictions d’eau, peut-être à certaines heures, des mesures d’urgence d’économie d’eau. Et nous effectuons en parallèle un travail pour mobiliser l’eau à partir de nouveaux forages.

Parmi les nouveautés, je signale aussi l’acquisition de petites stations monobloc de dessalement par le ministère de l’Intérieur. Elles seront utilisées par exemple dans le Nord d’Agadir, notamment la zone de Taghazout.

Ce sont de petites stations de faible volume et prêtes à l’emploi, des stations mobiles en fait, dont la capacité varie d’un modèle à l’autre, jusqu’à 100 litres/ seconde. Elles peuvent fonctionner à l’énergie solaire.

- On peut aussi procéder à la récupération des eaux pluviales comme le faisaient nos ancêtres mais les volumes pouvant être récupérés restent faibles…

- Dans cette perspective, nous avons lancé un programme pour la récupération des eaux pluviales et avons aussi introduit un autre programme, financé par la Banque mondiale, pour généraliser la mise en place de seuils au niveau des oasis.

- Expliquez-nous ce que sont les seuils…

- Dans certaines oasis, des palmeraies ont été très affectées par 8 à 10 années consécutives de sécheresse, comme à Zagora ou Tinghir.

Dans ces oasis, nous mettons en place des seuils et/ou des barrages souterrains qui permettent de réalimenter les nappes souterraines grâce aux crues et aux pluies diluviennes qu’il peut y avoir à un moment déterminé. Les seuils sont des petits ouvrages hydrauliques, une sorte de murets qu’on aménage au niveau des cours d’eau.

Nous prévoyons de généraliser cette technique qui sert à réalimenter les nappes en cas d’orages, de fortes pluies et d’inondations, à l’ensemble des oasis.

- Vous avez lancé aussi des contrats de nappes dans des zones oasiennes. Comment cela se passe ? Est-ce que les engagements sont bien respectés ?

- Ce qui est important déjà, c’est de parvenir à mettre d’accord tout le monde : on définit en fait quelle est la capacité d’eau que nous pouvons mobiliser et quelle est la part que va prélever chaque secteur au niveau des nappes.

Ce contrat se traduit aussi par l’obligation d’avoir des compteurs intelligents qui nous permettent véritablement de connaître heure par heure la quantité d’eau consommée par chaque parcelle et périmètre agricole.

Le besoin d’assurer cette gestion collective de l’eau, c’est un peu ce qui se faisait à l’époque à l’aide des khattaras.

A Zagora, nous avons réduit les superficies dédiées aux pastèques de 75%

Actuellement, six contrats de nappes sont en cours de finalisation et certains ont été signés, dont celui de Boudnib Meski dans la région d’Errachidia, qui a permis de réduire de moitié les superficies projetées pour les futures fermes de palmiers dattiers. Le contrat de la nappe de Berrechid, qui subit une surexploitation avec une baisse du niveau d’eau de 3 à 4 m par an, sera mis en place prochainement.

Dans la région de Zagora, la baisse du niveau de la nappe a atteint 6 m en 2022, c’est pourquoi nous avons réduit les superficies de culture de la pastèque de 75%.

Le Maroc dispose de 32 nappes profondes pour lesquelles des travaux de reconnaissance ont été lancés

- On ne parle jamais des nappes profondes ou nappes fossiles qui existent au Maroc. Elles sont certes très profondes, mais l’eau y est abondante, dit-on. Va-t-on les garder comme stock stratégique ?

- Dans le Royaume, 130 nappes sont répertoriées, dont 32 sont des nappes profondes.

Sur cet ensemble, nous avons une bonne connaissance d’un certain nombre de nappes profondes mais la plupart ne sont pas bien connues.

Au vu de ce constat, nous venons de lancer un programme de reconnaissance et d’évaluation des capacités des nappes profondes par la réalisation d’une part des forages profonds de plus de 500 m et d’autre part, l’analyse de la qualité de cette eau, nappe par nappe. Ceci permettra de déterminer la quantité d’eau qui peut être prélevée et renouvelée sans compromettre la durabilité de la nappe.

Avec l’ANFCC, une sorte de cadastre basé sur l’eau et les puits sera réalisé sur le territoire national

- Le travail de répertoriage des nappes s’arrête-t-il à ces forages de reconnaissance ?

- Non, une campagne de reconnaissance par satellite est menée en collaboration avec l’Agence de la conservation foncière et de la cartographie. La première zone prospectée est celle de Benguerir.

Il s’agit d’une sorte de cadastre multiservice qui va être basé sur l’eau c’est-à-dire que pour chaque zone identifiée, on saura quels sont les puits et forages qui existent, quelles sont les profondeurs de ces puits et forages, les niveaux d’eau et les quantités d’eau prélevées. Cette cartographie concernera l’ensemble du territoire national.

- Revenons aux nappes profondes : si j’ai bien compris, vous n’excluez donc pas de puiser demain dans ces aquifères en cas de besoin.

- Exactement. Tout dépendra en fait des capacités et des possibilités de renouvellement. Aujourd’hui, ce sont des réserves stratégiques pour le futur ; par conséquent, il faut essayer de les préserver au maximum pour les périodes de sécheresse comme celles que nous vivons. L’une des pistes consiste à introduire une sorte de coût de remplacement, c’est-à-dire que l’on puisse payer plus cher cette eau pour demain la remplacer et payer avec ce surcoût, des infrastructures de réalimentation des nappes.

- Les eaux pluviales dont nous venons de parler, on pourrait en récupérer quelle quantité ?

- La quantité de récupération des eaux pluviales, à l’échelle des individus, des ménages, mais aussi des petites communes rurales et surtout des écoles, reste faible.

Nous menons d’ailleurs un travail commun avec le ministère de l’Education nationale pour que chaque école puisse avoir accès à l’eau en recourant à cette technique, sachant que ce n’est pas le cas de la plupart des écoles aujourd’hui.

- Pour ce qui concerne le recyclage des eaux usées, vous espérez atteindre 100 millions de m3 à l’horizon 2027…

- Un programme a été lancé cette année par le ministère de l’Intérieur. Il vise la réutilisation des eaux usées pour un certain nombre de villes telles que Fès, Casablanca et d’autres. Notre objectif consiste à passer de 40 millions de mètres cubes à 100 millions de mètres cubes par an. Ceci sans compter le programme d’OCP qui a son propre programme de STEP et de réutilisation des eaux usées avec une prévision de production de 30 millions de mètres cubes.

Notre objectif, c’est aussi que cette réutilisation des eaux usées aille vers l’arboriculture.

Voici pourquoi il faut continuer à construire des barrages malgré la faiblesse des précipitations

- La sécheresse implique une grosse baisse des apports d’eau et des précipitations. On peut donc se demander s’il est toujours intéressant de faire des barrages ?

- Au contraire, et je vais vous dire pourquoi. D’ailleurs, 18 barrages sont en cours de construction, qui vont nous permettre d’avoir une réserve supplémentaire de 5,7 milliards m3.

Nous avons même accéléré la construction de ces barrages, ce qui permettra de gagner jusqu’à 18 mois sur le délai de construction.

Donc pourquoi les barrages sont-ils essentiels ? Ils le sont parce que comme vous le savez, avec le réchauffement et le changement climatiques, nous sommes entrés dans la logique des phénomènes extrêmes avec des sécheresses sévères ou de fortes inondations. En cas de fortes inondations, ces barrages vont nous permettre de stocker l’eau. A titre d’exemple, les récentes inondations de Zagora ont garanti à cette zone l’équivalent de trois années d’eau potable.

Le programme de dessalement en eau

- Nous avons parlé des principales sources d’apports d’eau au Maroc. Et de ses principaux usages. Parlons du dessalement. Dites-nous en davantage sur le programme de dessalement d’eau…

- Nous avons actuellement l’équivalent de 15 stations de dessalement de l’eau de mer de petites et grandes tailles pour une production de 192 millions de m3 par an. En plus, nous avons les trois stations OCP, celles de Jorf Lasfar, de Safi et de Laâyoune Boukraâ.

A cela s’ajoutent les stations en cours de réalisation ou de lancement comme celle de Sidi Ifni ou celles, lancées en PPP, de Dakhla et Casablanca.

Enfin, je cite la station de Nador qui, avec une capacité de 250 millions de m3, va être la plus grande station après celle de Casablanca et dont les travaux de construction seront lancés cette année.

La capacité de la station d’Agadir sera également augmentée après l’extension qui est programmée.

- Comment se fera le financement ? Tout cela est très coûteux…

- Le financement de ce programme se fera soit directement par le budget de l’Etat, soit dans le cadre du partenariat public privé ; soit enfin comme vous l’avez suivi, dans le cadre du nouveau partenariat stratégique renouvelé avec les Émirats arabes unis. Le dessalement fait partie des possibilités d’investissement incluses dans les mémorandums signés devant Sa Majesté le Roi le 4 décembre 2023, dans le cadre du nouveau partenariat d’exception entre notre pays et les Emirats.

- En 2030, l’eau potable de toutes les zones côtières proviendra du dessalement. Une planification a-t-elle été arrêtée ?

- Le programme de dessalement a été arrêté conjointement par la commission nationale chargée du suivi de l’état d’approvisionnement en eau et le ministère de l’Équipement et de l’Eau en collaboration avec les partenaires concernés. Ce programme repose sur une planification minutieuse tenant compte des besoins en eau et des ressources en eau disponibles dans les zones côtières, tout en considérant l’impact du changement climatique.

L’objectif principal est de préserver au maximum les ressources en eaux souterraines et de réaffecter les eaux stockées par les barrages aux besoins en eau des villes et centres intérieurs, des zones rurales et des périmètres d’irrigation déjà aménagés.

Pour l’alimentation en eau potable des villes et centres de la zone côtière, huit nouveaux projets de dessalement de l’eau de mer sont en cours ou projetés à partir de 2024 et utiliseront l’énergie renouvelable. Il s’agit des stations suivantes : Casablanca, Dakhla, Nador, Tan-Tan, Guelmim, Tiznit, Tanger, Essaouira.

- Comment amener l’énergie renouvelable partout où elle sera nécessaire aux unités de dessalement ?

- Le transport de cette énergie renouvelable pourra se faire notamment à travers le mégaprojet porté par l’ONEE, qui consiste en la mise en place d’un réseau électrique qui connectera le centre du Maroc aux provinces du Sud. Cette liaison électrique très haute tension sur environ 1.400 km sera réalisée à partir d’Oued Lekraâ (entre Boujdour et Dakhla) jusqu’à Mediouna (région de Casablanca).

Ceci sans parler du fait que certaines unités de dessalement comme celle de Dakhla auront leur propre station de production d’énergie éolienne ou solaire.

- Cette ligne développée par le privé à la demande de l’ONEE n’a-t-elle pas un coût caché pour la station de dessalement de Casablanca ?

- Moi je dirais que c’est une opportunité pour toutes les stations de dessalement futures au niveau de ces zones. Les énergies renouvelables permettent en effet de faire baisser le coût de production de l’eau dessalée.

Cette ligne va servir pour le dessalement de l’eau de mer ainsi que pour les industries. L’idée majeure derrière cela, c’est de profiter des capacités énormes d’énergies renouvelables pour produire moins cher.

Toutes les zones côtières seront alimentées par de l’eau dessalée. Celle-ci utilisera les énergies renouvelables.

Le coût de production de l’eau dessalée utilisant l’énergie renouvelable baisse à 5 DH/m3

- Quel sera le coût de production de cette eau ?

- Le coût de production de l’eau dessalée est tributaire des éléments suivants :

→ Coût de l’investissement (CAPEX) : le montant des investissements est éminemment variable d’une usine à l’autre, car il dépend de nombreux paramètres techniques en relation avec la salinité de l’eau de mer et ses caractéristiques physiques, du procédé du dessalement de l’eau de mer (la distillation, l’osmose inverse…), de la disponibilité de l’énergie électrique sur le site (conventionnelle ou renouvelable), de la conception de l’usine de dessalement et des conduites d’amenée de cette eau. En général, on adopte ce coût à la sortie de la station de dessalement de l’eau de mer ;

→ Coût d’exploitation (OPEX) : les frais d’exploitation et de maintenance sont également variables. Ils dépendent avant tout des investissements et des taux d’intérêts et d’amortissements appliqués qui conditionnent la part des frais financiers dans le coût de production du m3 d’eau traitée et des frais directs d’exploitation.

Pour les stations de dessalement de l’eau de mer au Maroc, le coût de production est de près de 5 DH pour les usines utilisant l’énergie renouvelable, notamment grâce aux infrastructures de transport d’énergie renouvelable, et de près de 10 DH/m3 pour les usines utilisant l’énergie conventionnelle. Ces coûts varient en fonction de la production de l’eau dessalée (effet d’échelle des stations de dessalement de l’eau de mer). À noter que le couplage du dessalement de l’eau de mer avec des sources d’énergies renouvelables s’avère l’option la plus recommandée actuellement compte tenu de la baisse importante des coûts des énergies éoliennes et solaires.

- Seront-elles produites en PPP ?

- Les modes d’acquisition des stations de dessalement de l’eau de mer sont en EPC pour les stations déjà réalisées, sauf pour la station de dessalement d’Agadir à Chtouka Aït Baha, qui est réalisée en PPP. Pour les stations programmées, les modes qui seront appliqués sont les PPP, sauf pour les extensions telles que Sidi Ifni, elles seront en EPC.

- Parmi les investisseurs, confirmez-vous que les Émirats ont donné leur accord pour investir dans les PPP de l’eau ?

- Parmi les mémorandums d’entente signés entre le Maroc et les Émirats arabes unis lors de la visite de travail effectuée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu le glorifie, début décembre 2023, il y a ceux qui concernent les infrastructures liées à la sécurité hydrique, qui donneront lieu à des investissements relatifs principalement au dessalement de l’eau de mer.

- Comment seront utilisés ces 1.400 millions de m3 produits : 500 millions pour l’irrigation de 100.000 hectares destinés aux cultures essentielles ; et 900 millions de m3 destinés à l’eau potable des villes côtières, soit la moitié de la consommation prévue au Maroc en 2030.

- La capacité de production de l’eau dessalée en 2030 sera de 1.424,5 millions de m3 répartie entre les usages comme suit : 747 millions de m3 pour l’eau potable, 490 millions de m3 pour l’irrigation et 187 millions de m3 pour l’industrie.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

CTM : Avis de convocation à l'AGO du lundi 10 juin 2024

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.

1er séminaire de dialogue sur les élections et la démocratie en Afrique - Séance d'ouverture