Exclusif. Les éclaircissements du PDG de CMT sur le litige avec l'Office des changes

| Le 16/11/2023 à 11:06
Luc Gérard Nyafé, PDG de la Compagnie minière de Touissit (CMT), revient avec Médias24 sur l'amende de 376 MDH qui plane sur le groupe. Il livre les origines des griefs portés contre la minière et indique comment une sanction impacterait le groupe dans son développement et sa politique de rémunération. Il livre également les ambitions de CMT, la diversification de son portefeuille métaux et le rôle clé que joue le Maroc dans son approvisionnement.

Depuis le début de la semaine, la Compagnie minière de Touissit (CMT) est dans la tourmente boursière. Sous le joug d’une amende de 376 MDH requise par l’Administration des douanes à la suite d'un contrôle de l’Office des changes (OC), le groupe a subi une saisie à titre conservatoire de 2,3 MMDH (six fois le montant de l'amende) sur son fonds de commerce.

Une négociation est en cours entre les parties. Le montant définitif à payer n’a pas été arrêté pour le moment, créant un attentisme et une tension sur le titre. En deux séances, CMT a perdu près de 20% de sa valeur en bourse, soit une fonte de sa capitalisation boursière d’un peu plus d’un demi-milliard de DH.

La cause de cette potentielle sanction pécuniaire concerne des opérations dont la plupart ont été réalisées il y a une dizaine d’années par l'ancien management. Depuis, ce dernier ainsi que la gouvernance ont été modifiés. Plus récemment, un investissement réalisé en 2022, en Afrique, a attiré l’œil de l’OC.

Mais que sait-on concrètement des reproches envers la Compagnie minière de Touissit par l’OC ? Où en est le groupe dans ses négociations ? Pourquoi ce montant exorbitant de 2,3 MMDH a-t-il été saisi à titre conservatoire ? Comment l’entreprise compte-t-elle remonter la pente ?

En exclusivité, Médias24 a pu s’entretenir avec Luc Gérard Nyafé, actuel président-directeur général du groupe. Ce dernier est revenu sur les chefs d’accusation portant sur CMT, et leurs conséquences éventuelles sur le plan de développement du groupe et sur sa politique de rémunération actionnariale.

Il est également revenu sur la stratégie de développement du groupe minier, notamment au Maroc, et sur la diversification de son portefeuille vers des métaux plus stratégiques. Entretien.

 

Médias24 : Quelle est la nature des faits qui vous sont reprochés ? On parle d'investissements à l'étranger ; y a-t-il autre chose ?

Luc Gérard Nyafé : L’inspection de l’Office des changes a couvert la période de 2012 à 2022. Les transactions qui s’étalent sur cette période en particulier sont remises en question. Toutes avaient fait l’objet en leur temps d’une communication formelle avec l’OC et à travers des communiqués de presse. L’OC est donc revenu sur toutes les transactions d’investissements étrangers des douze dernières années, bien que le management actuel n’a pris la gestion de CMT qu’en août 2022 et que nous avons fourni les explications demandées et tous les justificatifs à l’OC.

- Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les investissements à l’origine de l’amende qui vous a été adressée ?

- Deux opérations représentent 90% des griefs en valeur.

La première est une opération de cession d’actifs, du 30 avril 2015, qui a été annulée conformément aux termes du contrat, mais l’OC estime que la modalité de vente à tempérament, bien qu'annulée, est une infraction à la réglementation des changes.

La seconde opération s’inscrit dans le cadre du plan d’internationalisation de CMT, qui a effectué un virement en vue d’un investissement en Afrique. L’ordre de virement a été exécuté sans difficulté par la banque en sa qualité d’intermédiaire agréé. Ainsi, du point de vue de la banque comme du point de vue de CMT, ce virement ne nécessitait pas l’autorisation préalable de l’OC, mais cette dernière a considéré que l’autorisation préalable devait être sollicitée.

- Les reproches concernent des investissements effectués par CMT à l’étranger durant la période 2012-2022, principalement sous l’ancien management du groupe. De votre côté, envisagez-vous d'agir devant la justice?

- Nous défendons les intérêts de CMT et ne pensons pas, selon nos conseillers juridiques, qu’il y a eu infraction à la réglementation.

Dans le cas où le tribunal, par une décision définitive, conclut à l’existence d'une infraction, cela aura nécessairement des implications sérieuses pour les dirigeants qui étaient en poste à ce moment-là. Leur responsabilité pourrait être engagée, ce qui signifie qu'ils pourraient être tenus personnellement responsables des actions qui ont mené à l'infraction.

- Comment expliquez-vous le fait que CMT n’ait pas effectué les demandes nécessaires pour les investissements en question ?

- Selon l’historique que nous avons pu retracer des différents mouvements, les autorisations n’étaient pas nécessaires, en conformité avec la réglementation applicable et/ou l’OC avait reçu les communications préalables, avec les accusés de réception faisant foi.

- La somme saisie à titre conservatoire est de 2,3 MMDH, alors que l’amende en elle-même est de 376 MDH. Comment expliquer que la saisie soit six fois supérieure à l’amende ?

- La réglementation marocaine prévoit que les saisies conservatoires peuvent aller jusqu’à six fois les sommes requises. La Douane applique la mesure maximale.

- Vous êtes actuellement en négociation avec l’Administration des douanes. Êtes-vous parvenus à un accord ? Si oui, sur quelle somme ?

- Nous sommes en attente d’un retour de l’administration après notre proposition.

Une telle sanction, si elle était confirmée, nous pousserait à reconsidérer notre plan de croissance   

- Factuellement, même la somme de 376 MDH est colossale pour une entreprise dont les fonds propres sont de 663 MDH. Est-ce que cela aura un impact sur la stratégie de développement du groupe, et comment comptez-vous remonter la pente ?

- C’est en effet une somme énorme et inédite pour une entreprise de notre taille. CMT va bien, et même très bien, avec un chiffre d’affaires en croissance. 2023 devrait être un record historique pour l’entreprise. Des investissements en cours devraient nous permettre de doubler de taille dans les deux prochaines années. Néanmoins, une telle sanction punitive nous obligerait à mettre en place une politique d’austérité et à reconsidérer notre plan de croissance.

- CMT est connue pour être l’une des valeurs servant le rendement le plus alléchant de la cote, avec en moyenne un yield supérieur à 5,5%. Qu’en sera-t-il du dividende au titre de l'année 2023 ?

- CMT reste une valeur sûre. Nous avons communiqué au marché, ainsi qu'aux actionnaires réunis au cours de l’assemblée générale des comptes 2022, un plan de réduction des dividendes sur deux ou trois ans, afin d’investir dans l'outil de production et dans l’expansion de CMT au niveau national et international. Ce plan a obtenu le soutien de l'ensemble des actionnaires. Nous avons exécuté une bonne partie de ces investissements qui visent à augmenter la productivité, mais aussi la sécurité du travail et la visibilité en termes de réserves, et nous espérons commencer à en récolter les fruits en 2024 et les années suivantes.

Pour le dividende 2023, seule une décision adverse sur le contentieux avec l'OC pourrait affecter notre politique en la matière.

- Dans votre stratégie, vous comptez faire du Maroc une plateforme logistique globale pour l’exportation des métaux vers le Moyen-Orient et l’Europe. Comment comptez-vous vous y prendre, et pourquoi ce choix ?

- Nous sommes dans l’ère de la transition énergétique et de la migration vers le tout électrique, que ce soit pour le transport ou pour les sources d’énergie. La demande en métaux va exploser dans les dix prochaines années.

Notre groupe a, au cours des cinq dernières années, accumulé des titres miniers avec des métaux stratégiques intéressants tels que le cuivre, l’or, le zinc, etc. Il faut cependant prendre en compte les tendances géopolitiques internationales, en particulier celle du découplage du monde occidental avec la Chine, et celle moins évidente de la désindustrialisation progressive mais inéluctable de l’Europe.

En ce sens, le Maroc est idéalement placé, car le pays suit une ligne géopolitique très efficace d’ouverture vers le monde, et en particulier vers l’Afrique subsaharienne, où se trouve la grande majorité des réserves des métaux qui nous intéressent.

La politique énergétique poursuivie permet également de répondre aux besoins d’une industrie de transformation des métaux stratégiques. Enfin la plateforme logistique des ports et les projets d’infrastructures font du Maroc une place idéale pour centraliser les opérations de notre groupe.

- Au Maroc vous exploitez actuellement le plomb, l’argent et le zinc. Avec la transition écologique qui se profile et le besoin croissant en métaux pour alimenter notamment l’industrie automobile, comptez-vous diversifier vos recherches et capter d'autres types de métaux ?

- Oui nous avons lancé la construction d’une unité de production de cuivre dans la région de Tabaroucht. Selon nos plans, nous devrions générer 50% de notre chiffre d’affaires dans le cuivre ; les acquisitions en RDC devraient nous permettre aussi de prendre une place significative dans l’or, le lithium et les 3 T (l'étain, le tungstène et tantale, ndlr), de telle sorte que la majorité de notre chiffre d’affaires se fera sur les métaux stratégiques.

- Ces trois métaux exploités n'ont pas un rôle prépondérant dans la conception de batteries automobiles...

- Non, effectivement, d’où l’importance, pour la pérennité à long terme de l’entreprise, de se positionner sur des métaux à plus haute valeur ajoutée et avec de meilleures perspectives.

Aujourd’hui, CMT produit un des meilleurs minerais de plomb argentifère au monde dans sa teneur et sa concentration, et a devant elle plusieurs décennies de réserves. Il faut donc continuer à exploiter nos gisements avec le plus d’efficacité possible, mais il faut également se positionner stratégiquement sur des métaux dont l’avenir est plus facile à prévoir.

- Comment comptez-vous financer les investissements importants qui devront être réalisés pour répondre à la demande croissante en métaux ?

- Par une combinaison de fonds propres, de dettes bancaires et d’émissions d’obligataires.

En conclusion, la plainte déposée par l'OC, et transmise par ce dernier à la Douane, est désormais sous l'égide de la justice. Nous sommes convaincus de la justesse de notre position et avons pleine confiance dans le système judiciaire pour évaluer équitablement les faits. L'issue de cette affaire est attendue avec sérénité, forts de notre conviction que toutes nos actions ont été effectuées en conformité avec la règlementation.

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