Tensions dans l'enseignement : Voici ce qu'en dit Chakib Benmoussa (Entretien)

Les quatre syndicats les plus représentatifs ont lâché Chakib Benmoussa au moment le plus crucial dans la mise en oeuvre du statut unifié des enseignants, un des fondements majeurs de la réforme de l'éducation portée le gouvernement. Ils présentent des arguments dont certains ne sont pas compréhensibles du point de vue de la tutelle du secteur qui garde tout de même ouverte la porte du dialogue. Entretien avec Chakib Benmoussa.

Tensions dans l'enseignement : Voici ce qu'en dit Chakib Benmoussa (Entretien)

Le 29 octobre 2023 à 18h07

Modifié 30 octobre 2023 à 7h23

Les quatre syndicats les plus représentatifs ont lâché Chakib Benmoussa au moment le plus crucial dans la mise en oeuvre du statut unifié des enseignants, un des fondements majeurs de la réforme de l'éducation portée le gouvernement. Ils présentent des arguments dont certains ne sont pas compréhensibles du point de vue de la tutelle du secteur qui garde tout de même ouverte la porte du dialogue. Entretien avec Chakib Benmoussa.

Les tensions s'exacerbent dans le secteur de l'éducation nationale. Les 24, 25 et 26 octobre ont été marqués par des mouvements de grève ayant mobilisé plus de 96.000 enseignants, soit 30% de l'effectif de l'enseignement public, de l'aveu même du ministre Chakib Benmoussa, le jeudi 26 octobre lors du point de presse qui suivait le Conseil du gouvernement.

Ce même  jour, Médias24 a rencontré le ministre au siège de son département à Rabat pour mieux comprendre ce qui se passe dans le secteur et avoir la version du ministère. Celle des syndicats a été publiée ici et ici.

Depuis sa nomination à la tête du département de l'Education nationale en 2021, Chakib Benmoussa a une mission principale et pas des moindres : faire aboutir la réforme de l'éducation. Une réforme primordiale, vitale, qui accuse des retards considérables, surtout que toutes les tentatives passées n'ont pas donné les résultats escomptés. L'école publique demeure en crise et peu performante malgré les multiples plans successifs. Une réforme de la dernière chance ? Peut-être. Elle est construite autour de trois axes : l'élève, l'enseignant et les établissements scolaires.

Si une partie de la réforme est en cours de déploiement, celle relative aux enseignants, la plus complexe, est confrontée à un vrai test politique. Elle est rejetée par les syndicats. Les premières négociations ont duré plus d'un an pour aboutir le 14 janvier 2023 à la signature d'un accord qualifié d'historique avec les syndicats les plus représentatifs fixant les contours du statut unifié de l'enseignant. Sur la base de cet accord, commença la construction de l'arsenal juridique. Mais à la publication du premier décret de cette nouvelle réglementation, les tensions ont été  ravivées dans le secteur d'abord par les représentations syndicales non signataires de l'accord du 14 janvier, puis rejointe dans le mouvement par les 4 signataires de l'accord (CDT, UMT, UGTM, FDT). Le bras de fer syndicats-ministère n'est qu'à son début.

Sur le papier, la réforme actuelle est la meilleure que le Maroc a mise en place pour améliorer l'école publique. Elle est orientée vers l'apprentissage, centrée sur l'élève et son épanouissement. Mais une bonne réforme est d'abord une réforme que l'on arrive à mettre en œuvre. Et c'est sur cela que Chakib Benmoussa est attendu.

Indépendamment des positions des uns et des autres et de leurs arguments, Médias24 est convaincu que le développement du Maroc ne peut se faire sans une école publique de qualité et permettant de former les générations futures. Et la qualité de l'enseignement dépend de la performance des enseignants et de l'exercice de ce métier dans des conditions qui garantissent leurs droits et définissent leurs obligations toujours dans l'intérêt suprême de l'élève.

Voici l'échange de Médias24 avec Chakib Benmoussa, ministre de l'Education nationale, du préscolaire et des sports. 

Ce sont des fonctionnaires du ministère puisqu'ils relèvent du cadre de la loi sur la fonction publique qui s'applique à ce décret 

Médias24: Notre rencontre intervient dans un moment tendu marqué par de nouvelles grèves d’une partie des enseignants. Expliquez-nous le contexte actuel ?

Chakib Benmoussa: Il y a un contexte de grève qui fait suite à un décret correspondant au statut qui a été adopté par le Conseil de gouvernement. Ce statut lui-même est la traduction opérationnelle d'un accord dont les grands principes ont été arrêtés le 14 janvier 2023.

Le tout s’intègre dans une réforme qui est beaucoup plus large, qui est la réforme de l'éducation. Une réforme qui remet l'élève au centre du secteur. Cette réforme a été déclinée en une feuille de route avec des engagements parmi lesquels la place de l'enseignant.

C’est une place particulière et importante parce que c'est l'acteur qui est en contact avec les élèves. Donc la qualité de l'enseignement est aussi le fruit du travail qui est fait dans l'établissement scolaire et au niveau des classes par cet enseignant. Le ministère de l’éducation a suivi toutes les étapes de négociation et de discussion.

- Le 14 janvier 2023 a été marqué comme vous le soulignez par la signature avec les syndicats d’un accord fondateur qui a été la base du décret sur le statut unifié des enseignants. Les syndicats signataires ont fait, récemment, un rétropédalage avec pour arguments qu’un certain nombre d’articles ont été changés en cours de route sans leur accord. Que répondez-vous à cela ?

- Il est important de situer cet accord comme la résultante de plusieurs mois de travail avec les cinq syndicats les plus représentatifs. Même si la veille, un des syndicats (FNE, ndlr) a refusé pour des raisons qui lui sont propres de signer, il avait participé à toutes les discussions et a été partie prenante aussi de cet accord.

Cet accord met dans son préambule que si on veut se projeter vers une école nouvelle, poser les fondations de cette école de demain, la réforme doit prendre en considération un certain nombre de d'accompagnement de l'enseignant : formation, amélioration de l’acte d’enseigner au niveau des classes,… Nous avons considéré que le statut était un élément de cet ensemble parce qu’il détermine l'attractivité de la fonction d'enseignant et son parcours entre le moment où il est recruté au sein du ministère de l'Éducation nationale jusqu'à sa retraite.

Tout ce qui est dans l’accord du 14 janvier a été repris dans le décret portant statut des enseignants en termes juridiques.

A partir de là, un certain nombre de principes avaient été arrêtés permettant d'une part de s'assurer que ce nouveau statut ne devait toucher à aucun avantage acquis et devait apporter des garanties supplémentaires d'amélioration, mais devait aussi clarifier les droits et les devoirs pour réduire une partie de l'arbitraire que pouvait avoir l'ancien système et dont les enseignants souffraient eux-mêmes.

Tout cela a été traduit dans cet accord du 14 janvier où tous les sujets sont évoqués partant de celui de l’unification du statut pour qu’il soit appliqué à l’ensemble des fonctionnaires de l’Education nationale sans aucune distinction. Qu’ils puissent avoir les mêmes droits, les mêmes devoirs, le même parcours, les mêmes accès, le même salaire,…

- Tous les points de l’accord ont-ils été traités dans le décret ?

- Tout ce qui est dans l’accord du 14 janvier a été repris dans le décret portant statut des enseignants, en termes juridiques. Mais il y a des sujets qui sont traités dans le statut, et d’autres sujets qui seront traités dans d'autres décrets. Ce statut n'est qu'un élément d'un puzzle qui comprend d'autres textes, d'autres décrets réglementaires ainsi que d'autres arrêtés qui ne sont pas encore publiés. Leur publication permettra la mise en application totale de cet accord.

- Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'unification des différents statuts. Les syndicats estiment que l’esprit de l’accord n’a pas été traduit dans le décret, changeant ainsi la donne. Selon eux, la formulation actuelle ne résout plus le problème des cadres des AREF.

- Nous nous sommes engagés sur la mise en place d'un statut unifié. Le même statut pour tous les agents. Aujourd'hui, nous avons un seul statut. Les Arefs n'ont plus la compétence de statuer sur les fonctionnaires qui relèvent d'eux. On leur a enlevé cette compétence. Ce statut s'applique à l'ensemble des fonctionnaires du ministère. Je n’ai entendu personne mettre en cause le fait qu'il donne les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Les postes sont créés par la loi de finances. Ils vont avoir un numéro de somme. Ils seront payés par la TGR. Je voudrais bien comprendre où se trouve le problème !

- Le reproche est que le terme fonctionnaire a été remplacé par le terme ressources humaines…

- Qu'est-ce que ça change ? "Ressources humaines" n'est pas un terme péjoratif. Nous avons défini ce statut, défini des parcours, des droits,… Ce sont les mêmes salaires, la même perspective,…

- Ils dépendent du ministère ou des AREF ?

- Les postes sont créés par la loi de finances. Ils vont avoir un numéro de somme. Ils seront payés par la TGR. Ensuite que le recrutement soit régional … ! Ils ont le droit au mouvement entre le régions avec les mêmes règles que ceux qui s'appliquent à tous les fonctionnaires.

Je voudrais bien comprendre où se trouve le problème, puisque ce sont les mêmes règles qui s'appliquent à tous avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Ce sont les juristes qui ont décidé comment il fallait rédiger le statut parce qu’il était nécessaire de faire référence à beaucoup d'autres textes pour ne pas toucher les droits acquis des uns et des autres et c'est ce qui a été fait.

Mieux que cela, nous avons dit que tous ceux qui jusqu'à présent n'avaient pas encore été titularisés pourront être régularisés avec une procédure simplifiée. Et tous ceux qui sont titularisés pourront profiter d'une promotion. Nous avons mis en application nos engagements et nous ouvrons une perspective positive à près de 140.000 enseignants.

Je vois le débat qu'il y a. Et parfois on a le sentiment que c'est un débat un peu surréaliste! J'invite à aller poser la question : en quoi ce statut différencie entre les catégories ou crée des droits et des devoirs différents d'une catégorie à l'autre ?

J’ai vu un certain nombre de publications sur l’article 1 (du décret, ndrl). Il y a des contraintes juridiques qui font que le texte a été rédigé d'une certaine manière. Ce sont les juristes qui ont décidé de comment il fallait l'écrire parce qu’il était nécessaire de faire référence à beaucoup d'autres textes et décrets pour ne pas toucher les droits acquis des uns et des autres et c'est ce qui a été fait.

- Pour clore le débat sur ce point relatif à la terminologie utilisée, donc vous confirmez que ce sont…

- Ce sont des fonctionnaires du ministère puisqu'ils relèvent du cadre de la fonction publique. C'est la loi sur la fonction publique qui s'applique et que ce décret est pris en application de la loi sur la fonction publique. Bien évidemment, c'est un décret spécifique à l'ensemble des fonctionnaires du ministère de l'Education nationale avec les différentes catégories qui sont listées au niveau de ce même décret.

- Des grèves ont été menées au cours de la semaine, auxquelles ont participé en moyenne 96.000 enseignants, 30% du personnel du ministère. Depuis que les syndicats ont annoncé boycotter la réunion avec le ministère et soutenir ce mouvement, est-ce qu'il y a eu des contacts, des échanges,..  Quelle est la suite à donner à tous ces évènements ?

- Les contacts sont réguliers. J’étais à la Chambre des conseillers et j'ai rencontré les syndicats qui y siègent et chacun a exprimé sa position. Au ministère, nous sommes convaincus que ce statut apporte des nouveautés et que ces nouveautés sont dans l'intérêt de la réforme de l'éducation, dans l'intérêt des enfants.  Notre raison d'être, ministère et enseignants, reste l'intérêt supérieur des enfants. Nous avons, dans ce cadre, considéré qu’il y a encore un travail d'explication sur le contenu de ce statut pour en expliquer chaque point, chaque composante et bien insister sur le fait qu'il n'enlève aucun droit acquis et qui ne crée que des perspectives positives.

Ce n’est qu'un décret, c’est un texte toujours améliorable. Mais faisons le point sur les améliorations, sur ce qu'il y a à intégrer. Les autres sujets peuvent aussi être mis sur la table. C'est la raison d'être d'un dialogue social.

- Pensez-vous que ces explications sont ou seront audibles par les syndicats ?

- Je pense que c'est un exercice qu'il faut faire directement avec les enseignants. J’ai eu l'occasion de m'asseoir avec différents enseignants, et quand on explique en entrant dans les détails, ils comprennent d'abord de quoi il s'agit. Ensuite, à eux d'apprécier si cela répond à leurs attentes ou pas.

Le statut répond aux accords du 14 janvier mais ne répond pas à la totalité des attentes des enseignants. Il y a d'autres attentes qui sont apparues depuis. Et puis les uns et les autres se comparent et considèrent que certains peut-être ont eu plus que d'autres etc…

J’entends des inquiétudes parce que comme je l'ai dit ce statut n'est pas entré dans tous les détails. Certains ont eu le sentiment, même si ça part d'une bonne intention, d’avoir une sorte d'épée de Damoclès au-dessus de la tête et qu'ils ont, donc, besoin de garanties supplémentaires.

Il y a d'autres textes qui doivent être promulgués. Des textes d'application et d'autres décrets à venir peuvent permettre d'apporter des réponses.

Au final, ce n’est qu'un décret, c’est un texte toujours améliorable. Mais faisons le point sur les améliorations, sur ce qu'il y a à intégrer. Les autres sujets peuvent aussi être mis sur la table. C'est la raison d'être d'un dialogue social.

Chacun doit faire sa part de l'exercice si nous voulons réellement atteindre l'objectif fondamental de l'amélioration de la qualité de cette école.

- Vous avez parlé d'inquiétudes parce qu'il y a d'autres textes qui doivent accompagner ce décret pour compléter l'arsenal juridique. Est-ce qu'il y avait urgence à publier ce décret maintenant. Pourquoi n'a-t-on pas attendu qu'il y ait l’ensemble des textes, un arsenal complet afin d’éviter peut-être des situations comme celle-ci ?

- Vous demandez s’il y avait urgence. Nous avons travaillé pendant deux ans. Quand vous travaillez pendant deux années, à un moment donné il faut conclure, sinon ça serait comme si on essayait de gagner du temps et beaucoup nous ont reproché d'ailleurs que le texte ne soit pas sorti avant.

Ce texte est un préalable à d'autres textes. Sa publication nous permet justement d'ouvrir les chantiers des autres textes de la manière la plus constructive possible et de pouvoir prendre en considération même ces questions qui sont aujourd'hui sur la table.

Je précise que ce statut a pour vocation d'accompagner l'enseignant dans son travail au quotidien dans la classe pour qu'il puisse donner le meilleur de lui-même pour aider les enfants.

Il faut bien faire le constat, notre école est en crise. Les résultats de nos enfants ne sont pas au niveau de nos attentes et de notre ambition. J’aurais aimé voir la même mobilisation qu'il y a aujourd'hui, et que je trouve saine et normale, pour les résultats de l'école et la situation réelle de nos élèves. Quand le Conseil Supérieur de l'éducation a publié ses résultats,  j'aurais aimé que toute la société se mobilise et s'interroge sur les raisons …

Le ministère a essayé, modestement, de travailler une feuille de route en ouvrant le débat à partir duquel nous avons pris des engagements en tant que gouvernement en disant voilà comment nous essayons de corriger cette réalité.

Chacun doit faire sa part de l'exercice si nous voulons réellement atteindre l'objectif fondamental de l'amélioration de la qualité de cette école.

- Le ministère se dit toujours ouvert à la discussion et au dialogue. Si en face, on a des représentants syndicaux qui ne sont pas prêts au dialogue, quelle va être la suite ? Est-ce que le ministère maintiendra le statut en l'état ou est-ce que vous êtes prêts à apporter des ajustements au statut publié ? Comment sortir de la crise actuelle ?

-J’ai indiqué un certain nombre de pistes qui toutes maintiennent la main tendue. Il faut expliquer. Il faut travailler sur les dispositions pour donner plus de garanties. Il faut ouvrir de nouveaux dossiers. Ce sont des mains tendues qui permettent aux uns et aux autres de pouvoir travailler ensemble. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il ne suffit pas de réfléchir à une réforme. C’est surtout la capacité à la mettre en œuvre.

Aujourd'hui, cette réforme est déjà en application dans nos écoles. Allez visiter nos écoles pionnières. Regardez le sourire des enfants et regardez l'engagement des enseignants. C’est cela l'école ou le modèle de l'école de demain et c'est cette école qui mérite que l'on se mobilise tous : syndicats, institutions, gouvernement et société pour la défendre et pour faire en sorte que nous recréons autour de l'école une dynamique positive.

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