Hubert Vedrine à Médias24 : “Les grandes tragédies peuvent faire bouger les lignes de façon inattendue”
Onze jours après l'opération du Hamas, l’ancien ministre des Affaires étrangères français accepte de répondre à des questions de Médias24 sur la position européenne et sur les perspectives dans la région du Proche-Orient.
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Samir El Ouardighi
Le 18 octobre 2023 à 16h38
Modifié le 18 octobre 2023 à 17h07Onze jours après l'opération du Hamas, l’ancien ministre des Affaires étrangères français accepte de répondre à des questions de Médias24 sur la position européenne et sur les perspectives dans la région du Proche-Orient.
Médias24 : Pourquoi l'Europe est vent debout pour Israël, d'une manière extrêmement volontariste que l'on a rarement vue par le passé ?
Hubert Védrine : La réaction européenne est proportionnée à ce qu'a fait le Hamas, qui est sans précédent.
- Pourquoi condamne-t-on le Hamas alors qu'il ne représente pas tous les Palestiniens, ces derniers étant des victimes ?
- Précisément, le Hamas est condamné pour ses massacres de population civile par au moins tout l'Occident qui sait très bien qu'il ne représente pas tous les Palestiniens, ni même tous les habitants de Gaza que le Hamas tient en otage. La plupart des déclarations faites en Occident, même sous le coup d'une émotion énorme, distinguent bien entre le Hamas et les Palestiniens.
- On a l'impression que l'Europe, et plus largement l'Occident, font deux poids deux mesures...
- C'est parce que l'Europe invoque souvent le droit international que beaucoup de pays, notamment du Sud, lui rétorquent qu'elle pratique le deux poids deux mesures.
En réalité, cela n'a rien d'original. Les pays ne réagissent jamais de la même façon envers les tragédies humaines, cela dépend de leur histoire, de leur culture, de leur religion, de leur proximité avec les victimes, etc.
D'ailleurs, dans les réactions humaines, il n'y a pas deux poids deux mesures, mais dix poids dix mesures. On sait que l'Occident est globalement et en général pro-israélien, et les pays arabes ou musulmans, globalement ou en général pro-palestiniens.
Ce n'est pas nouveau. Je vous rappelle quand même que c'étaient des Européens qui s'étaient engagés le plus dans un processus de paix qui devait conduire à un Etat palestinien s'il n'avait pas été méthodiquement saboté par les extrémistes des deux bords : le président Giscard d'Estaing qui avait inspiré la déclaration de Venise en 1980 ; le président Mitterrand par son discours à la Knesset en mars 1982 ; les Norvégiens qui avaient préparé et abrité le processus d'Oslo. Après, il y a une longue liste d'occasions tragiquement manquées.
- Voyez-vous la main de l'Iran derrière les opérations récentes du Hamas ?
- Sans avoir d'informations particulières, cela me paraît évident que l'Iran a utilisé le Hamas, ou a encouragé le Hamas pour faire cette opération, dans le but de bloquer le processus de rapprochement entre l'Arabie saoudite et Israël, négocié dans le cadre des Accords d'Abraham.
- Quelle issue pour la situation actuelle à court et à long terme ?
- Les massacres commis par le Hamas ont rendu inéluctable et inarrêtable une réaction d'ampleur de la part d'Israël, même si on ne sait pas quelle forme elle va prendre.
Il y aura en tout cas unanimité en Israël pour éradiquer la branche militaire du Hamas. Après, je n'exclus pas que différentes voix s'expriment en Israël même, mais aussi en Égypte, en Jordanie et en Arabie saoudite pour appeler à la réinvention d'un processus politique afin de donner une perspective d'avenir aux Palestiniens.
Bien sûr, cela ne peut pas avoir lieu tout de suite, car la bataille de Gaza va commencer par aggraver une polarisation haineuse entre les deux camps.
Mais j'ai noté, il y a deux jours déjà, avant de quitter Washington, que le président Biden a employé le mot "État palestinien". Cela paraît moins possible que jamais. La colonisation à outrance en Cisjordanie semble avoir rendu cette perspective totalement irréaliste.
Et si un processus redémarrait, il serait combattu avec la même virulence par les maximalistes des deux bords. Mais sait-on jamais... Les grandes tragédies peuvent faire bouger les lignes de façon inattendue.
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Samir El Ouardighi
Le 18 octobre 2023 à 16h38
Modifié 18 octobre 2023 à 17h07
