Hakim Ben Hammouda : des pistes de réforme pour les institutions financières internationales

AA.2023. L'ancien ministre tunisien de l'Économie et des Finances, économiste et ancien cadre international, interpelle les institutions financières sur leur capacité à aider les pays du Sud en ces temps difficiles. Il esquisse également des pistes de réforme.

Hakim Ben Hammouda : des pistes de réforme pour les institutions financières internationales

Le 9 octobre 2023 à 12h56

Modifié 10 octobre 2023 à 7h52

AA.2023. L'ancien ministre tunisien de l'Économie et des Finances, économiste et ancien cadre international, interpelle les institutions financières sur leur capacité à aider les pays du Sud en ces temps difficiles. Il esquisse également des pistes de réforme.

Hakim Ben Hammouda est une grande figure de l'action et de la réflexion économique dans les pays du Sud. Ce Tunisien de naissance connaît bien le fonctionnement de l'économie internationale, ayant assumé des responsabilités dans plusieurs organisations internationales avant d'être ministre tunisien de l'Economie et des Finances puis de créer son propre think tank, le GI4T (Global Institute for Transitions), tourné, comme son nom l'indique, vers la gestion de la transition.

C'est lui qui a partagé avec nous un policy brief qu'il vient de publier dans le cadre du think tank GI4T et qui est consacré aux relations entre les institutions financières internationales et les pays en développement, en partant de l'exemple du cas tunisien.

Voici cette intéressante contribution au débat international, à trois semaines du rendez-vous de Marrakech.

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En tant qu'observateur du développement des institutions financières internationales depuis de nombreuses années, que ce soit du point de vue de la recherche et de l'étude ou du point de vue professionnel en raison de mon expérience dans de grandes institutions internationales, je pense que les difficultés que la Tunisie traverse en ce moment sont partie intégrante d'un problème majeur et d'un défi fondamental qui est l'incapacité de ces institutions financières internationales à se tenir aux côtés des pays en développement et à les soutenir face aux crises majeures que le monde traverse.

La plupart des pays en développement souffrent aujourd'hui de l'augmentation de l'endettement qui menace nombreux d'entre eux de faillite. Cette augmentation de l'endettement est due à la pandémie de Covid-19, au fort recul de l'activité économique, et à la contraction sans précédent qu'ont connue la plupart des pays du monde. L'augmentation des prix des matières premières telles que le pétrole et le gaz, ainsi que les prix des denrées alimentaires et des céréales en raison de la guerre russe en Ukraine ont également contribué à plusieurs problèmes  financiers  auxquels sont confrontés les pays en développement, avec  une augmentation des risques d'endettement.

L'inflation mondiale et la récession mondiale ont aggravé la situation, la plupart des banques centrales ayant augmenté les taux d'intérêt, aggravant ainsi la crise de l'endettement dans la plupart des pays du Sud.

Outre ces crises financières, il est important de mentionner plusieurs autres crises, notamment la crise sanitaire, où la pandémie de Covid-19 a révélé la fragilité de la situation sanitaire, en particulier dans les pays en développement, ce qui nécessite de gros investissements que les gouvernements n'ont pas pu réaliser. Dans le même temps, il convient de mentionner les répercussions du réchauffement climatique et du changement climatique, qui ont connu une accélération importante ces dernières années, entraînant une diminution des précipitations, des sécheresses et des famines, qui ont beaucoup affecté la production agricole et économique en général.

Le monde vit donc dans une situation difficile, où il est important de trouver des solutions pour sortir de ces crises et soutenir les pays en développement afin de réduire l'endettement et de renforcer leur économie et leur capacité à faire face à ces défis majeurs.

De nombreuses personnes ont pensé que les institutions financières mondiales sont capables et qualifiées pour faire cet effort financier et ces investissements majeurs afin de faire face aux grands risques et sortir de ces crises. Cependant, un consensus s'est aujourd'hui établi sur l'incapacité des institutions financières mondiales à relever ces défis et à nous protéger des grands risques qui nous menacent, créant un climat de frustration et de peur pour l'avenir.

Dans ce contexte, des appels ont été lancés ces derniers mois par différentes parties pour entreprendre de grandes réformes dans les institutions financières mondiales afin qu'elles puissent récupérer leur santé et leur efficacité pour faire face à ces grands risques, et soutenir les efforts humanitaires pour faire face au changement climatique et au réchauffement climatique.

La question qui se pose avec force et qui préoccupe tous les intéressés et les observateurs des activités des institutions financières mondiales est de savoir si elles ont la capacité d'apporter des réformes majeures à leurs missions, leurs méthodes de travail et leur gouvernance. La plupart des tentatives de réforme de ces institutions dans le passé, en particulier après la crise financière mondiale de 2008 et 2009, ont connu un succès limité, voire un échec, et le grand défi aujourd'hui concerne la capacité de ces institutions à apporter ces changements, en particulier la disposition des grandes puissances à accepter des changements qui limitent leur domination.

Les institutions financières mondiales ont connu de nombreuses transformations et évolutions au cours de leur longue histoire, leur permettant de faire face aux grands défis de l'économie mondiale et d'aider les pays à les affronter. Cependant, cette capacité de réforme et de développement a connu beaucoup de régressions au cours des dernières années, en particulier après la crise financière de 2008 et 2009, ce qui a entraîné une perte d'efficacité et d'efficience.

Ce déclin a été à l'origine de nombreuses voix, y compris d'anciens responsables de ces institutions financières, appelant à la révision de leurs missions et des méthodes et des outils d'intervention. Ces appels ont été accélérés au cours des dernières semaines et mois à travers de nombreuses réunions officielles et non officielles, ainsi que par la publication de nombreuses études proposant des idées pour améliorer le fonctionnement de ces institutions et leur donner un nouvel élan.

La question centrale demeure quant à la capacité de ces institutions à entreprendre ces réformes pour développer et renforcer leur efficacité et leur capacité à soutenir les efforts des pays en développement pour faire face aux risques majeurs.

Qui sont les institutions financières mondiales

Lorsque la Seconde Guerre mondiale touchait à sa fin avec la défaite de l'Allemagne nazie, les Alliés, dirigés par les États-Unis d'Amérique, qui deviendraient la puissance prédominante dans la conception et la préparation du monde d'après-guerre, se sont réunis à Bretton Woods, dans l'État américain du New Hampshire, pour établir les principes et les institutions du système économique mondial de l'après-guerre en 1944.

Les principaux participants à ces réunions étaient l'économiste britannique John Maynard Keynes, qui est devenu l'un des économistes les plus importants du XXe siècle après la crise de 1930 et sa vision de la façon de la résoudre, et qui a dirigé la délégation britannique d'une part, et Harry White, qui a dirigé la délégation américaine d'autre part. Malgré la pertinence et le réalisme des propositions de Keynes, la délégation américaine a imposé ses opinions lors de cette réunion qui a duré trois semaines du 1er au 21 juillet 1944 pour définir les principes et les règles du système économique mondial de l'après-guerre.

Le nouveau système mondial reposait sur des principes de transactions commerciales et financières entre pays qui ont consacré la suprématie du dollar, qui est devenu la seule monnaie internationale admissible, permettant ainsi de la convertir en or. En même temps, ces réunions ont décidé de créer deux institutions financières mondiales, dont le siège est à Washington D.C.

La première est le Fonds monétaire international (FMI), qui s'occuperait de la stabilité financière mondiale et soutiendrait les pays confrontés à de grandes difficultés dans leur balance des paiements pour éviter les crises financières qui ont affecté l'économie mondiale dans les années 1930. La seconde institution est la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), connue aujourd'hui sous le nom de Banque mondiale, qui aurait pour tâche principale la reconstruction de l'Europe après la guerre.

Ces deux institutions ont constitué le noyau du système financier mondial, qui a été renforcé par d'autres institutions depuis les années 1960, notamment par l'apparition de banques régionales de développement sur tous les continents, comme la Banque africaine de développement et d'autres institutions. Ce groupe est appelé en anglais "Multilateral Development Banks" ou MDBs.

Les transformations historiques du système financier mondial

L'efficacité et l'efficience du système financier mondial résident dans sa capacité à se transformer et à changer pour faire face aux nouveaux changements et défis de l'économie mondiale auxquels les pays sont confrontés. Dans l'histoire de ces institutions, nous avons identifié cinq grandes transformations qui leur ont permis de renouveler leur rôle, leurs tâches et leurs outils.

La première transformation remonte au milieu des années 1960, lorsque ces institutions ont abandonné leurs tâches originelles visant à soutenir les pays développés pour se tourner vers les pays en développement, afin de soutenir les expériences et les politiques de croissance qui avaient été mises en place dans la plupart des pays du Sud après leur indépendance.

Pendant cette période, ces institutions maintiendront la même répartition des tâches, le FMI se concentrant sur le soutien des grands équilibres financiers, tandis que la Banque mondiale se tournera vers le financement de l'infrastructure.

La deuxième transformation, qui a suscité beaucoup de débats et de critiques envers le système financier mondial et en particulier le FMI et la Banque mondiale, est liée à leur implication dans une gestion rigoureuse de la dette internationale, lancée à l'été 1982 au Mexique. Ces deux institutions ont été à l'origine des politiques néolibérales qui ont été intégrées dans les programmes d'ajustement structurel, dont l'application est devenue une condition pour obtenir le soutien du système financier mondial pour les pays du Sud confrontés aux systèmes d'endettement.

Ces orientations et choix ont suscité de nombreuses critiques de la part d'organisations de la société civile, voire de certaines organisations des Nations unies, en raison de leurs répercussions sociales et de la croissance de la pauvreté extrême et de la marginalisation sociale dans la plupart des pays du Sud.

Le débat et la critique ont conduit à une nouvelle transformation des tâches et du rôle du système financier mondial au début des années 1990. La lutte contre la pauvreté et le soutien des exclus deviennent la priorité de ces institutions, tout en soulignant l'importance d'une bonne gouvernance pour améliorer les conditions économiques et sociales dans les pays en développement.

La quatrième transformation a commencé au début du millénaire, où la priorité sera de retrouver une forte croissance. La plupart des études souligneront que la lutte contre la pauvreté ne peut se limiter à aider les pauvres, mais doit faire du développement une locomotive pour lutter contre la pauvreté.

La cinquième transformation a été lancée avec les révolutions du printemps arabe, qui ont confirmé que maintenir les grands équilibres financiers ne peut être un objectif en soi, comme ces institutions l'ont souligné depuis les années 1990. Ces révolutions ont prouvé que les inégalités sociales, la marginalisation et le manque d'égalité menacent la stabilité politique des pays. La situation climatique et le changement climatique suscitent également beaucoup d'inquiétude et de peur. Dans ce contexte, les questions d'intégration sociale et de développement durable deviendront les grandes priorités des institutions financières mondiales.

Malgré sa capacité à évoluer et à se transformer pour faire face aux nouveaux défis, le système mondial semble impuissant et incapable de faire face aux situations mondiales et aux grands risques auxquels l'économie mondiale est confrontée, en particulier dans les pays en développement.

Les moyens de réforme du système financier mondial

La question de la réforme du système financier mondial a suscité beaucoup de débats, avec l'organisation de nombreuses conférences et discussions, notamment les conférences qui seront organisées par le FMI et la Banque mondiale à l'occasion de leurs réunions annuelles. Nous avons également vu de nombreuses contributions et propositions pour réformer ces institutions et soutenir leur efficacité face aux grands défis et risques. À mon avis, la réforme doit se concentrer sur cinq questions fondamentales.

La première question concerne les ressources financières de ces institutions, qui peuvent sembler importantes si nous les comparons aux capacités des pays, mais qui sont en réalité faibles si nous les comparons aux besoins des pays. Cela nécessite de lever les contraintes pour permettre à ces institutions de mobiliser des ressources financières à la hauteur des défis mondiaux.

La deuxième question concerne les politiques et les orientations que ces institutions cherchent à appliquer dans les pays en développement, et qui sont dominées par ce que nous appelons en anglais le principe du "one size fits all" ou des politiques qui conviennent à tous les endroits. Bien que cette approche ait été appropriée au début de ce système, la grande diversité des pays en développement nécessite de laisser de côté cette approche collective et d'essayer d'ajuster les politiques en fonction des particularités de chaque pays. La situation de la Tunisie est un exemple vivant de l'échec de cette approche collective. Malgré les difficultés et les spécificités de la phase politique et les secousses que connaît le processus de transition démocratique, ces institutions ont résisté à l'application des mêmes politiques et réformes proposées pour les pays politiquement stables.

La troisième question à l'ordre du jour de la réforme du système financier mondial concerne la gouvernance et la nécessité de donner une place plus importante aux pays du Sud dans la prise de décision au sein de ces institutions.

La quatrième question concerne l'intégration et la coopération entre les différentes institutions de ces pays qui, malgré leur développement au cours des dernières années, restent limitées, ce qui représente un fardeau pour les pays.

La cinquième question concerne la possibilité pour ces institutions de s'ouvrir à la collaboration avec le secteur privé pour fournir des ressources financières plus importantes.

Malgré les demandes urgentes de réformes majeures du système financier mondial, de nombreuses personnes critiquent la lenteur de ce processus et expriment un certain pessimisme quant à la capacité de ces institutions à améliorer leurs méthodes de travail et leurs fonctions. Cette lenteur a poussé de nombreux pays, en particulier le système BRICS, à créer de nouvelles institutions financières mondiales.

Les raisons de cette lenteur ne se limitent pas aux aspects techniques et administratifs, mais incluent également des aspects politiques importants, car ces réformes conduiront au recul des grandes puissances dans la gouvernance de ces institutions.

Les difficultés que notre pays rencontre dans ses relations avec les institutions financières mondiales sont en partie le reflet de la crise du système mondial et de son incapacité à entreprendre les réformes nécessaires pour soutenir la résilience des pays du Sud face aux risques majeurs. Nous devons prendre en compte cette réalité dans la voie des institutions financières mondiales et élaborer des politiques alternatives pour sauver l'économie.

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