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Sur Instagram : “Écran, gentil écran, dis-moi qui est la plus belle ?”

Parmi l’ensemble des réseaux sociaux accessibles au Maroc, Instagram est certainement l’un des plus appréciés des jeunes utilisateurs. Le contenu principalement visuel et le format vidéo court conviennent au mode de consommation des internautes de moins de 35 ans, qui représentent 78% des plus de 9 millions d’utilisateurs d’Instagram au Maroc, dont près de la moitié sont des femmes.

Sur Instagram : “Écran, gentil écran, dis-moi qui est la plus belle ?”

Le 28 août 2023 à 14h58

Modifié 28 août 2023 à 15h40

Parmi l’ensemble des réseaux sociaux accessibles au Maroc, Instagram est certainement l’un des plus appréciés des jeunes utilisateurs. Le contenu principalement visuel et le format vidéo court conviennent au mode de consommation des internautes de moins de 35 ans, qui représentent 78% des plus de 9 millions d’utilisateurs d’Instagram au Maroc, dont près de la moitié sont des femmes.

Comme nous l’avons détaillé dans la première partie de ce dossier, il existe une corrélation inversée entre le temps passé sur les réseaux sociaux et l’estime de soi des utilisateurs. Il s’en dégage un sentiment d’anxiété rattaché à l’apparence ainsi que des symptômes dépressifs. Ces effets sont d’autant plus palpables chez le public féminin, comme le dévoile une étude menée en 2019, par Mary Sherlock et Danielle Wagstaff, sur 129 femmes âgées entre 18 et 35 ans.

Une enquête menée par la chercheure Raja Wakil, et dirigée par la professeure au département de sociologie à la faculté des lettres et des sciences humaines de Ain Chok, Fadma Ait Mous, s’intéresse de près au phénomène des influenceuses au Maroc. Il s’agit d’une enquête qualitative qui, bien qu’elle ne prétende pas être représentative du comportement de l’ensemble des utilisatrices marocaines du réseau social, apporte un éclairage important sur les perceptions par les sondées du contenu publié par les "célébrités" d’Instagram.

Nomophobie et éloge des célébrités

Les dix entretiens menés avec des femmes appartenant à une tranche d’âge comprise entre 20 et 65 ans révèlent des niveaux d’expositions épars. "Le niveau d’exposition aux conséquences négatives des réseaux sociaux dépend principalement du degré d’attachement à son smartphone, et donc du temps passé sur les plateformes sociales. J’ai d’ailleurs constaté que certaines parmi les personnes interviewées sont des nomophobes ; elles m’ont indiqué clairement qu’elles avaient une peur bleue de perdre ou de se passer de leur téléphone même pendant une courte durée", précise la chercheure Raja Wakil, contactée par Médias24.

L’application Instagram offre plusieurs canaux de communication avec l’audience. Parmi les fonctionnalités les plus appréciées par le panel figure le live, des vidéos streamées en direct par les célébrités qui s’adressent directement à leur audience. Sur les dix personnes interrogées, huit déclarent consacrer entre une heure et une heure et demie, deux ou trois fois par semaine, à suivre les lives de leurs célébrités préférées. Il en est de même des stories éphémères, qui permettent de rester à jour des nouveautés des amis et des célébrités followées. Sept utilisatrices sur les dix considèrent que cette fonctionnalité est la plus indispensable d’Instagram.

Raja Wakil estime que cette forme de dépendance à la consommation des actualités des influenceuses s’apparente à l’octroi d’une tribune au moyen de laquelle ces dernières peuvent s’adresser à leur communauté, et beaucoup moins à une plateforme d’échange horizontale par laquelle le public peut échanger avec les célébrités. Elle ajoute : "Instagram n’est plus considéré comme un outil de communication par messagerie privée entre des personnes ou un groupe de personnes ; c’est plutôt une plateforme sociale qui privilégie les publicités et, par inférence, présente un forum de e-commerce essentiellement dédié aux entreprises et exploité par les célébrités."

Comme le révèle l’enquête, chez les personnes sondées, la fonctionnalité de messagerie directe de ce réseau social est la moins usitée par les utilisatrices sondées qui lui préfèrent les messageries privées Messenger ou WhatsApp.

Une beauté standardisée

Etant donné que le réseau social Instagram fait la part belle à l’apparence, cette relation hiérarchisée entre les célébrités et leurs followers engendre le façonnement des standards de beauté féminins. L’étude révèle que "les résultats des dix entretiens ont démontré que huit des dix femmes interrogées supposent que les contenus partagés sur Instagram inculquent des critères de beauté aux femmes par le biais des photos et des vidéos postées par les célébrités auxquelles elles sont abonnées".

La diffusion régulière de ces images et vidéos pousse les internautes femmes à se comparer aux symboles de beauté promus par les influenceuses qu’elles suivent et, dans la foulée, contribuent à dégrader la perception des followers de leur propre image. "Il s’agit clairement d’une uniformisation des standards de beauté (...) qui dépendent des sociétés occidentales ou orientales. Les utilisatrices d’Instagram ont édifié une typologie de ces standards. Par exemple, la beauté orientale consiste dans les formes et les rondeurs, tandis que la beauté occidentale, c’est être mince et avoir une peau blanche", souligne la chercheure.

La reconnaissance de la beauté d’une personne ne peut dès lors échapper à l’emprise de cette standardisation. D’ailleurs, l’usage des filtres, censés combler les supposées imperfections physiques, est impératif pour certaines utilisatrices. "Je ne me rappelle pas de la dernière fois que j’ai posté une photo naturelle. D’ailleurs je ne sais même pas si je l’ai vraiment déjà fait. Les filtres, c’est comme une addiction, c’est le seul moyen que j’ai pour pouvoir me sentir belle et ressembler à la beauté des célébrités, désirée par toutes les filles de ma génération. Je ne vous cache pas que j’ai essayé pas mal de fois de poster des photos sans filtre, mais je n’ai pas pu exposer mes imperfections", témoigne Hajar, l’une des interviewées, âgée d’à peine 20 ans.

"Les exigences de beauté instaurées par les célébrités font subir aux participantes une pression de conformisme qui les met dans une situation d’auto-surveillance permanente", poursuit l’article.

Passer sur le billard après l’écran ?

Les instagrameuses les plus exposées développent avec le temps certains troubles identitaires. "Au cours des entretiens que j’ai réalisés avec les utilisatrices des réseaux sociaux, je me suis rendu compte qu’il y avait une grande différence entre les identités de ces personnes dans la vie de tous les jours (la vie réelle) et dans la vie artificielle (en ligne). Les utilisatrices sont dissociées de la réalité, refusant d’admettre que les célébrités font du commerce et qu’elles sont payées en contrepartie des publicités qu’elles font directement ou indirectement. Certaines personnes sont aveuglément persuadées que, parce que les célébrités aiment leurs followers, elles ne font que leur recommander les meilleures esthéticiennes et médecins esthétiques", précise Raja Wakil.

Ces recommandations ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd, car bien qu’elles aient déclaré être moins influençables par les célébrités d’Instagram, les personnes interviewées les plus âgées ont exprimé leur intention de recourir à la chirurgie esthétique (injection de botox ou de filler) "pour correspondre à des exigences de beauté identiques de celles instaurées par les célébrités sur Instagram". D’ailleurs, le sujet à été évoqué par huit des femmes interrogées, et six "ont exprimé leur désir d’opter pour ces mêmes injections afin d’améliorer leur apparence, maintenir leur jeunesse ou atteindre une beauté qu’elles qualifient d’idéale".

Si cette étude révèle l’un des aspects négatifs de l’influence sur Instagram, pour d’autres utilisateurs, les réseaux sociaux ont eu un effet salvateur. Ils y voient un espace de liberté, de soutien, de solidarité et de rencontre. C’est ce que nous allons développer dans la troisième partie de notre dossier. À suivre…

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