Féminicides : la difficile reconnaissance juridique
FÉMINICIDES (2/2). Au Maroc, aucune distinction entre le féminicide et l'homicide n'est prévue par le Code pénal. Si la dénomination "féminicide" se fraie progressivement un chemin dans le débat public et attire l’attention des citoyens sur les dysfonctionnements de la justice quant à la protection des femmes, plusieurs acteurs de la société civile plaident pour une reconnaissance légale de ce fait social.
Féminicides : la difficile reconnaissance juridique
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Salma Hamri
Le 17 août 2023 à 18h41
Modifié 18 août 2023 à 8h26FÉMINICIDES (2/2). Au Maroc, aucune distinction entre le féminicide et l'homicide n'est prévue par le Code pénal. Si la dénomination "féminicide" se fraie progressivement un chemin dans le débat public et attire l’attention des citoyens sur les dysfonctionnements de la justice quant à la protection des femmes, plusieurs acteurs de la société civile plaident pour une reconnaissance légale de ce fait social.
Depuis le 1er janvier 2023, on dénombre 29 féminicides au Maroc, et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Derrière ces chiffres, des femmes victimes de violences conjugales avant de succomber aux coups de leur conjoint, des femmes qui n'ont pas osé porter plainte, des femmes en détresse qui n'ont pas été adéquatement prises en charge...
À notre question de savoir si on peut envisager une incrimination du féminicide, à l’instar de l’homicide, pour pouvoir protéger les femmes victimes de violences, Me Omar Bendjelloun, avocat aux barreaux de Rabat et Marseille, nous explique "qu’il n’y a pas d'article de loi dans le régime pénal marocain ou comparé qui prévoit cette infraction. Sans élément légal, il ne peut y avoir d'incrimination".
L’incrimination du féminicide - et donc son inscription dans le Code pénal marocain - "serait difficile et inconstitutionnelle vu qu'elle ne répond pas aux normes de parité ou d'égalité. La haine d'un homme envers un autre homme peut aussi amener au meurtre. Ce dernier crime serait-il plus toléré que le féminicide ? Prévoir un crime sur la base du genre est délicat. Ce serait un non-sens législatif ".
Cela "ouvrirait les portes à un dysfonctionnement systémique de la raison et de la philosophie judiciaire. Les circonstances aggravantes dans le régime des délits et des peines est là, il faudrait s'attaquer au mal à travers l'éducation et la culture", poursuit-il.
Notre interlocuteur est réticent à l’idée d’incriminer le féminicide, car cela reviendrait à accepter que les hommes et les femmes ne soient pas traités de la même façon et qu’ils ne soient donc pas égaux en droit. Le fait d’incriminer le féminicide porterait, selon lui, atteinte au principe de neutralité du droit pénal. Une idée à laquelle s’opposent des militantes féministes qui avancent que nos lois sont majoritairement pensées et réfléchies par des hommes et que, par conséquent, elles ne sont pas neutres.
Définir juridiquement le féminicide
Si la reconnaissance légale du féminicide, à travers son incrimination, est "difficile et anticonstitutionnelle", les militantes féministes sont plutôt favorables à l’élaboration d’une loi qui définit ce fait social et prévoit les mesures de prévention contre le féminicide. Si la reconnaissance légale a une portée symbolique, le plus important est de protéger les femmes avant qu'elles ne succombent aux violences.
Contactée par nos soins, Fatima Zohra Chaoui, avocate au barreau de Casablanca et vice-présidente de l'Association marocaine des droits des victimes (AMDV), plaide pour "la mise en place d'une loi qui non seulement définit les violences conjugales et les féminicides, mais prévoit aussi des statistiques officielles et une série de mesures pour les prévenir tout en outillant les professionnels de différentes institutions qui seraient impliquées de près ou de loin dans les affaires de violences".
La reconnaissance légale de ce fait social est considérée comme le point de départ de la mise en œuvre de mesures transversales pour la prévention des violences envers les femmes, par l’ensemble des niveaux de pouvoir.
Elle est donc nécessaire pour lutter contre les violences faites aux femmes dans le sens où elle va impulser un recensement officiel des cas de féminicide au Maroc, étape importante dans le sens où, jusqu'à présent, les seules statistiques auxquelles on a accès sont produites par la plateforme @féminicides.maroc.
Une protection défaillante contre les féminicides
Au Maroc, les crimes ou délits commis en raison du sexe ou de l'identité de genre ne constituent pas une circonstance aggravante. Toutefois, la loi 103.13 relative à la lutte contre la violence à l'égard des femmes, promulguée en septembre 2018, apporte un amendement de l’article 404 du Code pénal par un ajout qui hisse les violences faites aux femmes au rang de circonstances aggravantes. Cette loi aggrave donc les peines quand la victime est une femme.
Une aubaine ? Pas vraiment, selon Fatima Zohra Chaoui qui considère cette loi "régressive car focalisée sur la répression plutôt que la prévention". La loi contient beaucoup d’insuffisances, fait-elle remarquer. "Les violences conjugales ne sont pas définies, le féminicide non plus, et les aggravations de peine sont toujours insuffisantes."
Par ailleurs, "la femme a besoin de protection avant que le fait (féminicide) ne se produise, et les mécanismes de prévention et de protection sont quasi inexistants". En effet, seules les cellules de prises en charge sont prévues par la loi, dans le cadre de l’accompagnement et la prévention des violences à l’égard des femmes, et par conséquent des féminicides.
Fatima Zohra Chaoui a également tenu à mettre en lumière la précarité dans laquelle les femmes se retrouvent lorsqu’elles tentent de quitter leur agresseur. "Quand la femme fait le pas de porter plainte, ce qui demande beaucoup de courage, elle quitte son foyer et une sécurité financière, ce qui peut être déstabilisant. Il faut donc l’accompagner et la protéger. Et c’est là où un grand manque subsiste au Maroc. La prise en charge est totalement inadéquate".
Dans ce sens, il faut prévoir des centres d'hébergement d’urgence pour les femmes en détresse, assurer un soutien psychologique et juridique et multiplier les outils de protection dans la chaîne pénale, au commissariat et à l’hôpital. Il s'agit aussi de mettre en place des mesures d'éloignement du conjoint violent et de former les professionnels, car la plupart des femmes victimes de violences se résignent à accepter leur sort pour éviter une double victimisation, détaille notre interlocutrice.
Fatima Zohra Chaoui s'attarde aussi sur l’épreuve des demandes de preuves qui découragent les femmes à porter plainte. "Il faut que la loi soit plus souple sur les preuves de violences conjugales et que les professionnels soient formées détecter les signes révélateurs d’une expérience de violence."
Face à ces dysfonctionnements de la justice, il est nécessaire que les acteurs juridiques et politiques s'emparent de la dénomination de féminicide, premier pas vers la reconnaissance légale de ce fait social.
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