Round up. La corruption, nœud gordien de l'investissement

Pointée du doigt par les investisseurs, les observateurs et les chercheurs, mais aussi par la Commission spéciale sur le modèle de développement, la corruption est considérée comme l’un des principaux freins à l’amélioration du climat des affaires. Que fait le gouvernement pour un changement concret ? La lutte anti-corruption n’est-elle pas le chaînon manquant de la stratégie volontariste de promotion des investissements ?

Round up. La corruption, nœud gordien de l'investissement

Le 14 juillet 2023 à 11h04

Modifié 14 juillet 2023 à 16h18

Pointée du doigt par les investisseurs, les observateurs et les chercheurs, mais aussi par la Commission spéciale sur le modèle de développement, la corruption est considérée comme l’un des principaux freins à l’amélioration du climat des affaires. Que fait le gouvernement pour un changement concret ? La lutte anti-corruption n’est-elle pas le chaînon manquant de la stratégie volontariste de promotion des investissements ?

Le Maroc revendique haut et fort son ambition de consolider sa place en tant que terre d’investissement. Pour cela, de nombreux projets sont mis en avant, notamment la Charte de l’investissement. Mais les mesures incitatives suffisent-elles à fortement relancer l’investissement ? La question fondamentale n’est-elle pas celle de la confiance, comme le répètent en privé plusieurs responsables ? Et la confiance ne passe-t-elle pas par une lutte contre la corruption et l’insécurité juridique ? En tous les cas, c’est l’idée que partagent de nombreux investisseurs.

Les réformes de textes importants, dont le Code du travail ou la loi sur la grève, font partie des grands absents  de la stratégie actuelle. Du moins, ils peinent à aboutir, malgré leur importance. La lutte contre la corruption également... et essentiellement ! Certains la définissent comme le nœud gordien visant à assurer un climat des affaires digne des projets du Maroc en tant que "hub régional de l’investissement" et sécurisé pour les investisseurs.

Outre les investisseurs, la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a souligné l’importance de la transparence, et ainsi de la lutte contre la corruption. Ses observations ont d’ailleurs fait l’objet d’une étude réalisée par des chercheurs marocains, qui constatent le "frein" que représente la corruption dans la mise en œuvre des recommandations de la CSMD.

Ce qui ressort de l’analyse de ces différentes observations, de part et d’autre, c’est le rôle que détient le gouvernement et celui qu’il doit jouer pour assurer cette sécurité recherchée par les investisseurs.

"Un éléphant que personne ne veut voir"

"Il y a dans la salle quelques éléphants que personne ne veut voir ; ils s’appellent insécurité judiciaire, bureaucratie et corruption. Ce ne sont pas les mesures incitatives qui font décoller l’investissement dans un pays, mais bien la qualité de l’environnement des affaires et des ressources humaines disponibles", explique un investisseur connu à Médias24.

"Nous sommes en train de reproduire les erreurs du plan Maroc Vert et du plan d’urgence de l’éducation, mais cette fois-ci à l’échelle de toute l’économie. Que cela plaise ou non, il existe aujourd’hui un document officiel qui est sur la table, et qui n’est autre que le rapport du Nouveau Modèle de développement. Tant dans son diagnostic que dans ses recommandations, ce rapport prend des positions très claires sur ces éléphants que personne ne veut voir. Comment le gouvernement explique-t-il cette réticence à agir ?", interroge notre interlocuteur.

Ce qu’en dit le rapport sur le Nouveau Modèle de développement

Dans ce rapport, la Commission spéciale sur le Nouveau Modèle de développement a précisé que "la réforme de la justice doit être parachevée dans sa totalité, conformément aux résolutions de la charte de la réforme du système judiciaire, pour améliorer sa performance, atténuer sa lenteur, et lutter à tous les niveaux du système contre la corruption, source d’abus et d’insécurité pour les citoyens".

Aussi, la CSMD a considéré que "les mêmes exigences de transparence, d’impartialité et d’équité devront être promues en matière de justice commerciale, qui constitue un déterminant majeur de l’environnement des affaires et un facteur d’appréciation des risques par les investisseurs nationaux et étrangers".

Elle recommande, pour "sécuriser l’initiative entrepreneuriale", de "protéger les entreprises grâce à des mécanismes de recours efficaces". Et constate que "la réussite de l’entrepreneur privé est instinctivement associée davantage au recours à des privilèges ou au recours à la corruption, que comme résultante de l’effort, de la prise de risque et de l’initiative".

"L’amélioration de la gouvernance économique nécessite également l’élimination des barrières inéquitables et des situations de rentes injustifiées, la réduction de la bureaucratie, des autorisations, des licences et agréments, souvent sources de corruption et de connivence public-privé, pour les remplacer chaque fois que cela est possible par de simples déclarations ou des cahiers de charges", lit-on dans le même rapport.

Pour sécuriser l’initiative privée, il faut garantir des règles "stables et impartiales à tous les opérateurs économiques". Pour la Commission, ceux-ci doivent "trouver dans l’administration publique un partenaire de confiance". Ainsi, "la libération des énergies entrepreneuriales requiert une amélioration notable de l’environnement des affaires pour résorber les foyers de blocage, d’incertitude et de corruption".

De ce fait, elle propose de créer la fonction de Défenseur de l’entreprise. "Rattaché au chef du gouvernement", sa mission est "d’intervenir en médiation directe, selon une procédure structurée, pour débloquer des situations liées à des lenteurs ou des abus administratifs causant un préjudice économique significatif".

Mais pour "réussir l’application du Nouveau Modèle de développement", le gouvernement "devra jouer un rôle primordial pour faire réussir la politique de lutte contre la corruption". C’est ce que conclut par ailleurs une étude intitulée "La criminalité financière organisée 'corruption' : un obstacle à la réussite du Nouveau Modèle de développement", réalisée en 2022 par Laila Bennis, enseignante chercheuse à l’ENCG-Kénitra, et Amine Bounar, doctorant au sein du même établissement.

"La corruption entrave la réussite du Nouveau Modèle de développement"

"Actuellement, tous les acteurs institutionnels sont censés jouer un rôle important dans la lutte contre la corruption au Maroc : Parlement, exécutif, autorité judiciaire, médiateur, Cour des comptes, INPPLC, Bank Al-Maghrib (BAM), UTRF, médias, partis politiques et entreprises. Néanmoins, malgré bon nombre d’acquis tels que la nouvelle Constitution, la loi sur la protection des témoins, la création de l’Instance centrale de prévention de la corruption, nous avons constaté une amplification du phénomène de la corruption, le champ de la corruption est en voie de s’étendre à l’ensemble des domaines de la chose publique", poursuivent les chercheurs du Laboratoire de recherche en sciences de gestion des organisations.

Ils constatent également que "la corruption constitue un fléau qui entrave le développement socioéconomique du Maroc et présente un risque dans certains secteurs tels que l’énergie, le transport et la santé", précisent-ils en citant une étude de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui date de 2015.

Cette étude sur la corruption a "mis en évidence les principaux risques dans le secteur des industries extractives, qui recoupe en partie le secteur énergétique".

Laila Bennis et Anouar Bounar concluent que "la corruption a un impact négatif sur la croissance économique et la sphère sociale du Maroc, car les rentrées fiscales sont réduites d’une part, et, d’autre part, le pouvoir d’achat des pauvres est en train de baisser de manière indéfectible à cause de la hausse de prix des biens de première nécessité".

Les deux chercheurs se fondent sur le rapport annuel 2020 de l’Instance nationale de la probité de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) sur la situation de la corruption au Maroc et l’étude approfondie de l’Indice de perception de corruption en 2020, ainsi que le rapport de Transparency International sur l’Indice de perception de la corruption en 2020 pour établir l’évolution de l’indice de perception de la corruption depuis 2006 jusqu’à 2020.

Source : "La criminalité financière organisée 'corruption' : un obstacle à la réussite du Nouveau Modèle de développement"

"Le Maroc est classé au 86e rang mondial sur 180 pays, ce qui signifie qu’il a mis en place des mesures efficaces afin de résorber la corruption qui entrave la réussite du Nouveau Modèle de développement, mais il reste beaucoup à faire tout en quadruplant les efforts afin d’éradiquer ce mal qui s'oppose à la réussite du Nouveau Modèle de développement", explique-t-on de même source.

Ce que fait le gouvernement

En mars dernier a eu lieu la Conférence nationale sur l’environnement des affaires, qui a dévoilé les grandes lignes de la feuille de route. C’est la première fois qu’une feuille de route pluriannuelle comporte un pilier transversal visant à prévenir la corruption.

Pour Médias24, Mohcine Jazouli, ministre délégué à l’Investissement, à la convergence et à l’évaluation des politiques publiques, était revenu sur le contenu de cette feuille de route, notamment sur "l’intégration de l’éthique, de l’intégrité et de la prévention de la corruption comme pilier transversal". Pour lui, cela constitue "une avancée majeure pour l’amélioration de l’environnement des affaires".

Il souligne également l’importance de "l’étroite collaboration avec l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) qui sera décisive pour mener à bien les actions prévues dans ce domaine".

Il convient de rappeler que l’existence même de l’INPPLC est prévue par la Constitution, et l’adoption, en 2021, de la loi 46.19 relative à l’Instance a permis d’en élargir les prérogatives, puisqu’en plus de ses missions consultatives, elle dispose d’un pouvoir d’investigation.

Médias24 s’est récemment entretenu avec le président de l’Instance, Bachir Rachdi, nommé en 2018. Selon lui, les travaux menés depuis 2020 ont "permis d’approfondir la connaissance objective et l’analyse, dans le détail, des facteurs qui expliquent ce paradoxe : il y a eu beaucoup d’efforts, beaucoup d’engagements mais qui n’ont pas produit l’effet escompté, ni au niveau de la perception ni au niveau des pratiques". Il estime que la corruption relève de "la banalisation d’un comportement" et s’oppose à l’idée selon laquelle la corruption est rattachée à la culture.

Pour Bachir Rachdi, "la corruption ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Ce qui est important, c’est de montrer que l’on est engagé sur un changement concret et irréversible".

En ce qui concerne précisément l’investissement, la corruption aspire les ressources économiques dans plusieurs secteurs et les canalise vers les acteurs les moins performants, ce qui, d’une part, décourage les investisseurs intègres et, d’autre part, pervertit l’allocation de ressources économiques et le fonctionnement du marché. La corruption, en un mot, ce sont des points de PIB en moins chaque année. Sans elle, les taux de croissance, et donc l’emploi et la performance économique, seraient bien meilleurs.

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