Le Maroc face aux défis de la sécurité juridique des investisseurs: il reste du travail à faire (Me Roudane)

Pour devenir un hub d'investissement de référence le Maroc doit assurer une sécurité juridique et judiciaire pour les investisseurs, devenus plus exigeants en raison des récentes crises économiques mondiales. Quelles sont leurs attentes ? Que peut faire le Maroc pour améliorer ces protections ? Le point avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca.

Le Maroc face aux défis de la sécurité juridique des investisseurs: il reste du travail à faire (Me Roudane)

Le 4 mai 2023 à 11h00

Modifié 4 mai 2023 à 11h32

Pour devenir un hub d'investissement de référence le Maroc doit assurer une sécurité juridique et judiciaire pour les investisseurs, devenus plus exigeants en raison des récentes crises économiques mondiales. Quelles sont leurs attentes ? Que peut faire le Maroc pour améliorer ces protections ? Le point avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca.

Pour consolider sa place en tant que terre des investissements, le Maroc ne lésine pas sur les moyens, mais le cadre juridique actuel est-il suffisant pour assurer la protection juridique dont ont besoin les investisseurs ? Les contextes de crises ont-ils contribué à augmenter leurs craintes et leur besoin de renforcer leur protection juridique ? Quid du volet judiciaire, souvent pointé du doigt, a-t-il accompagné l’évolution socio-économique du Royaume ?

Pour répondre à ces interrogations, Médias24 a sollicité les éclairages de Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, arbitre et médiatrice commerciale, associée responsable à Roudane Law Firm en collaboration avec Al Tamimi & Co.

Médias24 : Le Maroc aspire à devenir un hub d’investissement de référence et s’est attaqué au cadre législatif en apportant des réformes, même une nouvelle charte des investissements. Est-ce que ces efforts ont contribué à assurer une meilleure protection juridique pour les investisseurs ?

Me Nesrine Roudane : Le Maroc a entrepris de nombreuses réformes visant à améliorer le climat des affaires et à renforcer la protection juridique des investisseurs. La nouvelle charte des investissements adoptée en 2022 est le dernier exemple de ces réformes. Elle vise à soutenir les projets d’investissement répondant à des critères définis, à réduire les disparités entre les provinces et les préfectures du Royaume en matière d’attraction des investissements et à développer l’investissement dans les secteurs d’activités prioritaires.

Toutefois, malgré ces efforts, le Maroc fait face à des défis en matière de protection juridique des investisseurs. Entre lenteur des réformes et mauvaises applications et/ou interprétations législatives, les exemples sont nombreux. On peut citer les obstacles bureaucratiques que peuvent rencontrer les investisseurs spécialement dans certaines régions du Royaume sans oublier les difficultés d’application des traités internationaux sur la protection des investissements.

Il est indéniable que des progrès significatifs ont été réalisés mais il reste encore du travail à faire pour assurer une protection juridique fiable et efficace pour les investisseurs.

-Le code du travail pose quelques problématiques et est pointé du doigt en raison de certains vides juridiques notamment. D’où les nombreux appels à sa refonte, lancés par plusieurs observateurs et experts, mais aussi par le patronat. Comment cette refonte va-t-elle contribuer à améliorer le climat des affaires au Maroc ? Quelles sont les réformes à prioriser ?

-La refonte du code du travail marocain contribuera à améliorer le climat des affaires. Le code actuel, qui date de 2004, a besoin d’une mise à jour pour répondre aux besoins des salariés et des employeurs dans un environnement économique en constante évolution. Parmi les réformes envisageables, la simplification des procédures de recrutement, de gestion des relations de travail et de licenciement ainsi que les coûts y afférents pour plus d’efficacité et de célérité. Sans oublier l’amélioration de la flexibilité en matière de temps et de conditions de travail afin de mieux répondre aux besoins d’un marché de plus en plus compétitif.

Il ne faut pas pour autant sacrifier la stabilité de la relation de travail, au contraire il faut renforcer la protection sociale des salariés, notamment en matière de santé et de sécurité sociale, de congés payés et de régime de retraite. Sans oublier d’acter un cadre législatif pour le droit de grève.

En modernisant le code du travail, le Maroc peut améliorer le climat des affaires et renforcer la compétitivité en facilitant l’embauche, en réduisant les coûts et en améliorant la protection sociale des salariés.

Il reste encore du travail à faire pour assurer une protection juridique fiable et efficace pour les investisseurs

-Le dispositif juridique marocain en matière de difficultés des entreprises suscite des interrogations au sein de la communauté juridique. A-t-il réussi à satisfaire les praticiens ? Est-il temps de le réformer ? Et quels sont les changements essentiels à opérer ?

-Le dispositif juridique marocain en matière de difficultés des entreprises, malgré sa dernière refonte avec l’introduction de la procédure de sauvegarde reste largement critiqué par les praticiens pour son inefficacité et sa complexité. Les chiffres sont alarmants et justifient une énième réforme du livre V du code de commerce qui, à mon sens, sera inefficace en l’absence d’une approche holistique et une spécialisation de tous les intervenants.

Parmi les solutions préconisées, on peut citer la mise en place d’une médiation pour les entreprises en difficulté, la simplification des procédures en évitant les formalités excessives et en raccourcissant les délais pour le traitement de dossiers, l’amélioration de la protection pour les créanciers notamment en renforçant leur droit à l’information et en garantissant leur participation active à ces procédures et la refonte de l’institution du syndic. L’ensemble de ces modifications peut renforcer la confiance des investisseurs.

-En tant qu’avocate en droit des affaires, vous êtes amenée à collaborer avec et à conseiller des investisseurs étrangers. Quelles sont leurs craintes ? Et quels sont les éléments qui les encouragent à investir au Maroc ?

-Les investisseurs ont souvent des préoccupations similaires concernant l’environnement des affaires et qui portent entre autres sur :

  • La stabilité politique et économique ;
  • La sécurité juridique et judiciaire ;
  • Les risques liés à la corruption et les atteintes à la conformité.

Néanmoins, d’autres éléments rendent le Maroc attrayant notamment :

  • La situation géographique : à la croisée des routes commerciales entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, le Maroc est une plateforme logistique importante et la porte vers l’Afrique ;
  • Les infrastructures : Le Maroc a investi dans des infrastructures modernes, notamment des ports, des aéroports et des autoroutes, qui facilitent le transport des marchandises et la mobilité des personnes ;
  • Les politiques d’incitation à l’investissement telles que la dernière charte d’investissement ;
  • La main-d’œuvre qualifiée.

Ces éléments, combinés à l’engagement ferme du Maroc pour stimuler les investissements, en font une destination naturelle pour les IDE.

Les investisseurs exigent davantage de garanties juridiques pour protéger leurs investissements

-Comment la crise Covid et la situation économique actuelle ont-elles impacté le comportement des investisseurs en termes de recherche de protection et de sécurité juridique ?

-La crise de la Covid-19 et la situation économique actuelle ont eu un impact significatif sur le comportement des investisseurs en termes de recherche de protection et de sécurité juridique. Les investisseurs exigent davantage de garanties juridiques pour protéger leurs investissements, compte tenu des incertitudes économiques et politiques qui pèsent sur de nombreux pays.

Ils attendent un engagement plus ferme des États pour encourager les investissements et stabiliser l’environnement des affaires avec une réglementation claire et prévisible, plus de transparence et une protection contre la corruption, etc.

-L’effet de l’efficacité et de l’intégrité de la justice sur la croissance économique et la sécurité de l’environnement des investissements est évident. Il a même été récemment soulevé par le président-délégué du CSPJ. Peut-on dire que la justice marocaine a réussi à accompagner les mutations socio-économiques ?

-L’efficacité et l’intégrité de la justice sont des éléments clés pour garantir un environnement des affaires stable et sécurisé pour les investisseurs. Un système judiciaire efficace renforce la sécurité juridique et judiciaire et par conséquent la confiance des investisseurs.

Il est vrai que des efforts ont été déployés pour moderniser et réformer le système judiciaire ces dernières années, cependant, malgré ces efforts, certains défis restent à relever pour accompagner les mutations socio-économiques en cours au Maroc. Il est donc important de continuer à travailler sur ces défis pour contribuer pleinement au développement économique du Maroc.

-Quid des évolutions technologiques ?

-La justice marocaine s’adapte aux évolutions technologiques et plusieurs initiatives ont été lancées pour moderniser le système judiciaire marocain et faciliter l’accès à la justice grâce à l’utilisation des NTIC ; pour preuve le portail en ligne pour faciliter l’accès aux informations judiciaires et aux services en ligne ou encore la demande d’extrait de casier judiciaire. Sans oublier l’utilisation fréquente des outils technologiques pour faciliter la gestion des dossiers et des audiences voire même la visioconférence pendant le confinement.

Mais là aussi des défis subsistent en matière d’accompagnement des évolutions technologiques surtout avec l’introduction de l’intelligence artificielle.

-La posture proactive qu’adopte davantage le ministère public en tant que protecteur de l’ordre public économique, permet-elle d’assurer une meilleure sécurité en matière de climat des affaires ? Que faut-il améliorer dans ce sens ?

-En agissant proactivement pour prévenir les infractions économiques et financières, le ministère public peut contribuer à renforcer la confiance des investisseurs et des acteurs économiques dans le système judiciaire marocain.

Cependant, pour assurer une meilleure sécurité en matière de climat des affaires, il est important de renforcer la coopération entre le ministère public et les autres acteurs impliqués dans la lutte contre la criminalité économique et financière, tels que les autorités de régulation (AMMC – Conseil de la concurrence – Bank Al Maghrib, L’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC) etc.).

Il est également important de garantir l’indépendance et la neutralité du ministère public dans l’exercice de ses fonctions et de lui donner les moyens nécessaires pour mener à bien ses missions et garantir le respect des droits de la défense afin de garantir l’équité et l’impartialité du système judiciaire marocain.

Les investisseurs ont besoin d’une justice rapide et efficace

-La lenteur de la justice est souvent pointée du doigt. Le jugement est censé être fait dans un délai raisonnable mais plusieurs facteurs entrent en jeu et retardent cette fluidité dans les juridictions nationales. Cet aspect joue-t-il en défaveur des aspirations du Maroc et de l’amélioration de son climat des affaires ?

-Les investisseurs ont besoin d’une justice rapide et efficace pour régler rapidement leurs différends et sécuriser leurs investissements. Le délai raisonnable pour le jugement est un principe fondamental du droit, mais plusieurs facteurs peuvent entraver sa mise en œuvre effective, tels que le manque de moyens des tribunaux, la complexité des affaires, la surcharge des juges et la procédure judiciaire elle-même.

La lenteur de la justice peut ainsi constituer un frein aux aspirations du Maroc à devenir un hub d’investissement de référence. Néanmoins l’amélioration des délais ne doit pas intervenir au détriment de la qualité des décisions judiciaires.

Enfin, il est important de promouvoir l’utilisation de modes alternatifs de règlement des différends, tels que la médiation et l’arbitrage, qui peuvent offrir des solutions plus rapides et moins coûteuses que la procédure judiciaire.

-Quid de la corruptibilité de la justice ? La digitalisation est-elle une solution radicale pour lutter contre la corruption dans la sphère judiciaire ?

-La digitalisation peut être un outil précieux pour améliorer l’intégrité et la transparence du système judiciaire. Cependant, elle doit être accompagnée de mesures complémentaires de prévention et de contrôle pour garantir son efficacité et sa pertinence.

-Selon vous, quels sont les éléments à prioriser pour assurer cette sécurité juridique recherchée par le Maroc et les investisseurs ?

-Pour assurer une sécurité juridique optimale, il est essentiel de prioriser plusieurs éléments au Maroc. Tout d’abord, il est crucial de poursuivre les réformes législatives et réglementaires pour renforcer les dispositifs juridiques existants.

Il est également important de garantir l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire. La rapidité et l’efficacité de la justice doivent être améliorées pour répondre aux attentes des investisseurs et favoriser un climat des affaires attractif.

Il faut renforcer la transparence et la prévisibilité du système juridique en offrant aux investisseurs une information claire et précise sur les règles et les procédures en vigueur. Cette transparence doit être renforcée à tous les niveaux, de l’élaboration des textes à leur application concrète, en passant par leur interprétation.

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