La politique budgétaire : de quoi parle-t-on?

Stabiliser l'endettement et maîtriser le déficit budgétaire est la règle désormais communément admise dans la gestion des finances publiques. Le Pr Rédouane Taouil fait une analyse critique de cette règle, argumente et émet ses recommandations.

La politique budgétaire : de quoi parle-t-on?

Le 3 juillet 2023 à 12h14

Modifié 3 juillet 2023 à 12h14

Stabiliser l'endettement et maîtriser le déficit budgétaire est la règle désormais communément admise dans la gestion des finances publiques. Le Pr Rédouane Taouil fait une analyse critique de cette règle, argumente et émet ses recommandations.

La stratégie des finances publiques la plus avisée, annonce le décideur public tout en réitérant son ambition de "booster la croissance", consiste à stabiliser l’endettement et à limiter par là même le déficit budgétaire à moins de 3% du produit intérieur brut (PIB).

Dans cet entretien, Rédouane Taouil, professeur agrégé ès sciences économiques, s’attache à examiner cette stratégie en mettant en exergue, d’une part, les rigidités excessives de la règle de soutenabilité de la dette, et d’autre part, les contraintes sur la croissance qu’elle impose.

Sur cette base, il considère que c’est la croissance qui crée les conditions de stabilité par la génération de ressources permettant la maîtrise du déficit. A cet égard, il suggère de distinguer les dépenses courantes et les dépenses d’investissement dans l’évaluation de la soutenabilité et de prendre en compte, par conséquent, l’impact du déficit sur la croissance et la structure du budget public. Ce réaménagement, souligne-il, est de nature à combiner les atouts de la croissance et les vertus de la stabilité macroéconomique. ENTRETIEN.

Médias24 : Comment peut-on expliquer la réaffirmation après la crise sanitaire de la nécessité d’un contrôle plus strict de l’endettement public ?

Rédouane Taouil : A l’instar de la crise financière de 2008, le Covid-19 a signé le retour en grâce de l’utilisation de l’instrument budgétaire en réponse à la poussée récessive. Stipendié en temps normal, le déficit public s’est trouvé paré de nombre de vertus, et les arguments traditionnellement opposés à l’expansion des dépenses publiques mis en veilleuse. Des mesures de soutien à l’activité et aux revenus, tenues pour déstabilisatrices, étaient jugées fort opportunes, et des idées traditionnellement favorables à l’endettement reléguées aux marges, ont ressurgi avec force y compris sous la plume d’auteurs très réservés sur l’utilité des politiques macroéconomiques, comme la lauréate du prix en mémoire de Nobel, Esther Duflo.

L’abandon des règles de gestion du déficit et de la dette publique apparaît en somme comme une pause contingente à la crise, à l’image de celle qui a suivi la crise de 2008 ; moins de trois ans après, l’austérité a pris place. Aujourd’hui, une nouvelle vague de restrictions budgétaires apparaît dans l’Union européenne et au niveau international. Le FMI recommande en 2022 à 159 pays des mesures d’ajustement par la contraction des dépenses publiques. Selon les projections, ce type d’ajustement, qui doit être poursuivi avec inflexibilité, vise à restaurer, en les assortissant de clauses impératives, les règles d’encadrement du déficit et de l’emprunt public, rompant ainsi avec les assouplissements consécutifs à la pandémie.

Les crises vont assurément de pair avec des surprises. Elles ne conduisent pas toutefois à une révision des modalités d’organisation institutionnelle des politiques. Cette tendance fournit une illustration à l’éloquente assertion de Thomas Joplin (1825) : "Il y a un temps pour se conformer aux règles et aux précédents, un autre où la sécurité exige de s’y soustraire".

- Les déclarations en faveur du retour à un déficit de moins de 3% se multiplient. Quel examen appellent ces déclarations ?

- La politique budgétaire repose sur un principe cardinal selon lequel le déficit public doit être soumis à une limitation stricte en vue de garantir la soutenabilité de la dette publique, d’éviter d'évincer le financement privé de l’économie et les tensions sur les prix. La discipline subséquente requiert la fixation d’un objectif quantifié de déficit assurant la stabilisation de la dette publique. Le décideur public a réitéré son attachement à ce critère en s’assignant un seuil à celle-ci de 69% et une valeur de référence du déficit de 3%.

Les principes de gestion des finances publiques à travers une limitation stricte du déficit public à 3% et la soutenabilité de la dette à 69% sont arbitraires

Ces chiffres découlent d’une arithmétique qui repose sur une relation simple : b.g = d où b est le ratio de la dette publique/PIB, g le taux de croissance nominale et d le rapport du déficit public/PIB. Sous l’hypothèse d’un taux de croissance de 4,4%, cette relation, qui exprime la condition de la constance du ratio de la dette, implique l’application d’une règle fixe selon laquelle le déficit ne doit pas dépasser 3%, soit 69% × 4,4% = 3%.

Ces principes de gestion des finances publiques, visiblement inspirés des limites imposées aux déficits et aux dettes dans le cadre du processus de convergence du Traité de Maastricht, puis par le Pacte de stabilité et de croissance, sont arbitraires. Aucun argument n’établit que le déficit public est excessif au-delà des fameux 3% et que le niveau d’endettement en devient insoutenable.

Conçu comme une règle intangible, l’objectif du déficit public restreint fortement les choix du décideur public. Loin de créer des conditions favorables à l’activité, il accentue les contraintes sur la croissance. En poursuivant cet objectif, quels que soient les chocs qui affectent l’économie, l’autorité budgétaire s’abstient d’utiliser ses ressources à des fins de stabilisation et de réduire l’ampleur des fluctuations de l’économie. Ainsi, dans le contexte d’une basse conjoncture, le creusement du déficit nécessite des restrictions qui viennent contracter la demande globale et maintenir la logique récessive.

La règle actuelle de limitation du déficit est inadéquate et contre-productive

Ce biais procyclique se trouve doublement renforcé : d’une part, le décideur public ne peut procéder à une baisse des impôts dans le but de stimuler la demande et de freiner la progression du chômage, d’autre part, la faiblesse des dépenses publiques de redistribution telles que les transferts pèsent lourdement sur le jeu des stabilisateurs automatiques, qui résulte des réactions spontanées des ressources budgétaires aux variations de l’activité. Inadéquate, la règle du déficit est également contre-productive. Elle conduit à des ajustements budgétaires qui compromettent la croissance et entravent le contrôle du déficit, aggravant ainsi les risques d'insoutenabilité qu'elle doit en principe contrecarrer.

Selon le référentiel dominant, l’adoption de règles budgétaires fixes est en mesure de faciliter les anticipations des agents et de créer un environnement favorable à la croissance : la discipline des finances publiques est censée exercer des effets vertueux à travers la baisse du taux d’intérêt et la maîtrise des coûts de production sur l’investissement et l’activité. À en observer l’impact, il apparaît que les coûts l’emportent largement sur les bénéfices.

- Le fameux argument selon lequel la dette actuelle pèse sur l’avenir des générations futures est encore invoqué malgré sa très grande fragilité...

- Cette supposée nocivité doit largement à l’utilisation de figures de style qui tiennent l’emprunt public pour un fardeau qui hypothèque les conditions des générations futures par la charge de la dette. Cette métaphore apparaît, à l’examen, viciée : loin d’éclairer les enjeux de cette modalité de financement du budget public, elle en biaise la compréhension.

"Nous ne devons pas léguer le poids de la dette aux générations futures". Cette antienne, qui se nourrit de l’analogie selon laquelle l’emprunt est un impôt différé, procède d’une pratique métaphorique à prétentions didactiques. Il y a là une double méprise. D’une part, pour appréhender l’impact de la dette publique, il est nécessaire non seulement de prendre en compte son niveau, mais aussi sa structure. A cet égard, la distinction entre dette interne et dette externe est primordiale en ce que l’une et l’autre ne sont pas de même nature. Dans le cas où la dette est détenue par des nationaux, les créances sont identiquement égales à l'emprunt public.

Il s'agit là de transferts entre contemporains : une fraction de l'épargne est prêtée à l'État, lequel puise dans ses recettes fiscales pour honorer ses remboursements et verser des intérêts à ses créditeurs. Il n'y a là aucune raison de considérer que l'emprunt public est une charge. A en juger par la prédominance de la dette interne au Maroc, la métaphore du fardeau est une idée reçue d'autant plus irrecevable que la contrainte sur l'endettement ne dépend que de la confiance des agents qui se portent acquéreurs des titres publics. La dette externe, quant à elle, influe sur la charge pour les générations futures mais aussi sur la richesse en termes de stock de capital et d'avoirs nets sur l'étranger. En outre, qu'elles soient financées par l'endettement domestique ou extérieur, les dépenses publiques lèguent aux générations futures des infrastructures, des hôpitaux, des écoles.

Cet impact, que l’image du fardeau exclut, ravale au rang de charge ce qui constitue un atout. Ainsi, les dépenses de santé aujourd’hui peuvent avoir une double incidence positive demain. Les générations futures héritent des avantages en termes de qualité des soins, mais aussi en termes d'éducation si la génération actuelle investit dans la formation de ses descendants. Qui plus est, les coupes dans les dépenses de l’État affectent la croissance de long terme et réduisent de ce fait les opportunités d’emploi et de progression de revenus pour les générations à venir. L’investissement public élève en effet le sentier de croissance potentielle à travers le développement des infrastructures, du "capital humain", de l’innovation exerçant ainsi des retombées positives sur les générations actuelles et leur descendance.

Au regard du poids que possède la métaphore du fardeau dans la rhétorique de la dette publique, il apparaît nécessaire de se prémunir, comme le prescrit Paul Valéry, contre "le mal de prendre (…) une métaphore pour une démonstration".

Actuellement, la maîtrise du déficit public consiste principalement à contracter les dépenses publiques.

- On constate que l’autorité budgétaire privilégie le contrôle du solde budgétaire par l’action sur les dépenses publiques alors que les recettes fiscales peuvent être mobilisées à cet effet...

- La gestion des finances publiques est ordonnée autour de l’action sur le solde courant, qui est la différence entre les recettes et les dépenses courantes, y compris les charges d’intérêts sur la dette. La maîtrise du déficit public consiste principalement à contracter les dépenses publiques. Ce levier a la préférence de l’autorité publique au motif que l’élévation de la ponction fiscale est de nature à agir négativement sur les décisions de production, d’épargne et d’investissement.

A y regarder de près, cette préférence n’apparaît pas pertinente à un triple titre. Le décideur public peut accroître les recettes en améliorant la collecte des impôts et taxes et en atténuant l’évitement fiscal. Cette mesure, qui est un des principes essentiels de la réforme de la fiscalité préconisée par le FMI, est de nature à élargir l’espace budgétaire, à savoir la marge dont dispose l’État pour affecter les ressources à des dépenses sans compromettre sa position financière et la stabilité macroéconomique.

Dégager des ressources requiert des actions publiques destinées à réduire la tolérance des entorses au paiement de l’impôt et à renforcer les contraintes incitatives au respect du droit. Au vu des pertes de recettes consécutives à l’informalité fiscale, l’espace budgétaire semble, selon certaines estimations, conséquent. Ensuite, les diverses exonérations consenties au titre d’outils d’incitations constituent, pour une large part, des coûts pour le budget au regard de leur faible impact sur l’emploi et la croissance et des distorsions induites en termes de réallocation du capital vers l’agriculture et l’immobilier au détriment de l’industrie.

Enfin, une fraction de ces recettes et de celles issues de la mobilisation de l’espace budgétaire peut être affectée à des dépenses destinées à la fois à l’investissement dans les services sanitaire et éducatif et à l’élévation du niveau de protection sociale. Ce couplage des leviers des recettes et des dépenses est en mesure d’assurer la soutenabilité des finances publiques et de mieux adapter la gouvernance à la régulation des aléas conjoncturels et à la redistribution. Sous ce rapport, la politique budgétaire est en mesure de poursuivre la stabilité macroéconomique par le biais d’une gestion des finances publiques qui tienne compte de la capacité de la croissance à maîtriser les variations du déficit public.

- La politique budgétaire relève de la gouvernance par le nombre. Quelle appréciation peut-on avoir de l’usage fait du chiffre à cet égard ?

- La valeur de 3% du ratio du déficit public est emblématique à maints égards de l’emprise de la quantification sur l’action publique. Cette emprise se manifeste tant en amont qu’en aval. Bien que privée de toute justification économique, l’identification du seuil de soutenabilité atteste comment le chiffre est placé au rang d’instrument de contrôle qui contribue à la construction sociale de la réalité à partir d’indicateurs supposés tout à fait appropriés par les stratagèmes de persuasion par le chiffre. A s’interroger sur ces indicateurs, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas exempts de reproches.

Ni déficit budgétaire, ni dette, il n'y a pas un quelconque critère auquel peut être attribué un rôle directeur des finances de l’État

Le ratio de la dette publique, compare un stock, la totalité des emprunts que l’État doit rembourser, à un flux annuel de richesse. Affirmer qu'un endettement supérieur au seuil fixé est insoutenable revient à considérer que l’État doit honorer toutes ses échéances en un an en ponctionnant sur les revenus créés. On ne saurait considérer ce ratio à même d’apprécier la soutenabilité. Celle-ci dépend à la fois de la structure de la dette (interne/externe), de l'ampleur de l'endettement privé, du comportement du système monétaire et financier, de la croissance, etc. Il n'y a pas, par conséquent, un quelconque critère auquel peut être attribué un rôle directeur des finances de l’État. Pour sa part, la considération du déficit public est problématique : outre qu’elle n’aide pas à déterminer si la dégradation du solde des finances publiques est consécutive à une croissance au ralenti ou à des décisions discrétionnaires, elle ne permet pas d’évaluer la soutenabilité en ce qu’il inclut le service de la dette. Supposées être simples et claires, les règles reposent sur des critères gestionnaires où la performance tient lieu de valeur à l’aune de laquelle la décision est conçue et se donne à apprécier.

En aval, "gouverner au résultat" est le maître mot de l’évaluation. Tel qu’il est appliqué au déficit budgétaire, ce principe comporte une triple limite. D’abord, il ne tient pas compte de la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement privilégiant ainsi le niveau des finances publiques au détriment de leur qualité. Or les effets de l’une et de l’autre de ces dépenses ne doivent pas être confondus, les dernières donnent lieu à des accroissements de revenus et de recettes fiscales qui viennent réduire le déficit public. Ensuite, circonscrire l’objet à évaluer à la valeur de l’indicateur qui mesure l’objectif est ambigu à un double titre. En premier lieu, le résultat peut être atteint aux dépens d’autres objectifs.  Ainsi le déficit peut être maîtrisé au prix de contre-performances globales en matière de croissance et d’emploi. Qu’on songe à ce sujet à des déclarations proférées à une période d’anémie de la croissance au milieu de la décennie 2000 : "Tous les clignotants sont verts sauf la croissance."

En second lieu, un indicateur peut être amélioré suite à la révision du calcul de ses composantes. Le ratio d’endettement a fléchi de 65%en 2020 à 62% en 2021 sous l’effet d’une procédure de consolidation qui exclut les dettes contractées entre entités publiques. On ne saurait évidemment considérer cette diminution comme le reflet du degré de performance des actions budgétaires. Envisagée sous l’angle de la comptable de l’efficacité, cette démarche évaluative conduit à minorer l’importance de l’impact, de l’efficience, de la cohérence entre les instruments et les objectifs, de la pertinence de ceux-ci au profit de seuils chiffrés qui justifient le recours à la parabole du lampadaire chère à Jean-Paul Fitoussi auquel on doit, au demeurant de stimulantes réflexions sur l’architecture des politiques économiques européennes. Selon cette parabole, un individu cherche ses clés, non là où il les a perdues, mais sous le poteau d’éclairage parce que c’est le seul endroit éclairé.

- Le discours tenu sur les préférences du gouvernement n’échappe pas à l’ambiguïté : on parle tantôt d’orientation expansive qui serait entravée par le relèvement des taux directeurs par Bank Al Maghrib dans le cadre de la lutte contre l’inflation, tantôt de restrictions budgétaires.

- "Les décisions de la Banque centrale brident l’expansion budgétaire", voilà une déclaration, répétée à satiété, qui est aussi fausse que lacunaire. Elle omet en effet le fait que l’indépendance statutaire confère à Bank Al Maghrib l’autonomie de décisions quant aux instruments à mettre en œuvre en vue de garantir la stabilité des prix. La liberté d’action subséquente s’inscrit dans la durée en respect de la cohérence temporelle des actions, condition nécessaire à la promotion de la crédibilité et à la conduite de la politique économique eu égard aux anticipations des agents. L’argument clé, qui fonde la délégation de la politique monétaire à une instance indépendante du pouvoir politique, est que les délais d’action doivent être déconnectés du cycle électoral. Le guidage des anticipations nécessite un horizon long différent de celui des décideurs politiques. Ces derniers sont enclins à privilégier des arbitrages de court terme du fait des contraintes électorales. Le statut d’indépendance de l’Institut d’émission et la limitation du pouvoir du gouvernement s’imposent du fait de l’objectif prioritaire de maîtrise de l’inflation.

Affirmer que le relèvement des taux d’intérêts bride l’intention de la croissance affichée par le gouvernement est foncièrement erroné.

Réclamer des actions favorables aux préférences prêtées au gouvernement revient à ignorer ces dispositifs institutionnels. La Banque centrale décide seule de l’utilisation du taux d’intérêt et de tout autre instrument de gestion des liquidités. En vertu de l’impératif de stabilité monétaire, elle n’a pas à se concerter avec les autorités politiques, encore moins à moduler ses actions eu égard aux préférences de celles-ci. Cette disposition, qui est une pièce maîtresse de la politique monétaire de la plupart des banques centrales, est tenue pour un garde-fou contre les turbulences que peuvent produire des actions entreprises selon les intérêts partisans du gouvernement. "On ne confie pas la monnaie aux politiques pas plus qu’on ne laisse un pot de crème à la portée d’un chat", disait-on en Allemagne lorsque l’on évoquait la réputation anti-inflationniste de la Bundesbank avant l’avènement de l’Euro.

Affirmer que le relèvement des taux d’intérêts bride l’intention de la croissance affichée par le gouvernement est foncièrement erroné. D’abord, le programme de soutien à l’offre de crédit des petites et moyennes entreprises est loin d’être altéré par cette décision. Ensuite, la valeur de la dette et de ses charges se trouve amoindrie par la hausse du niveau général des prix. Les taux d’intérêts réels étaient négatifs en 2022 et le resteront sans doute en 2023 du fait des adaptations graduelles de la Banque centrale au cas où le taux d’inflation atteint 5,5%. Enfin, le marché du crédit bancaire ne semble pas pâtir de l’élévation du niveau du taux de refinancement. Selon certaines enquêtes, c’est l’anticipation de la demande qui paraît peser en premier sur les comportements d’investissement des entreprises.

La supposée divergence entre l’autorité monétaire et l’autorité budgétaire prête à l’économie marocaine une sensibilité infinie à la moindre variation du taux directeur. Il y a loin entre l’impact fictif conféré à une hausse de 50 points de ce taux et la réalité des transmissions des impulsions de la Banque centrale. Au vu de ces enjeux, le débat public gagne à dissiper les effets de brouillage qu’induisent des affirmations obliques et fallacieuses et à jeter la lumière sur les idées et les institutions qui gouvernent la société.

- Quelles leçons peut-on tirer des expériences de politique budgétaire de ces deux dernières décennies ?

- Que ce soit en Europe ou dans des pays en développement, ces expériences sont riches d’enseignements dont la portée est loin d’être explorée.

Primo : la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), sous sa forme originelle ou réformée, dans la zone Euro se heurte à de nombreuses difficultés qui témoignent de la rigidité des critères qui président à la conduite des finances publiques. L’accent mis sur la limitation des déficits publics interdit aux interventions budgétaires de jouer leur rôle d’amortisseur d’autant que l’option en faveur de la réduction des dépenses publiques affaiblit l’impact automatique du budget sur l’activité. Outre cette inefficacité, les règles comme les dispositions de sanction des dérapages ont manqué de crédibilité. La crise financière de 2008, la crise des dettes souveraines et le Covid-19 ont bien mis au jour les difficultés d’application de règles uniformes dans une zone monétaire.

Secundo : des ajustements restrictifs exercent globalement des effets négatifs sur l'activité. L'atténuation des déficits publics par la réduction du niveau de protection sociale occasionne un sacrifice en termes de bien-être qui conditionne le profil de croissance de long terme. De leur côté, les politiques d'austérité, fondées sur l’hypothèse de consolidations budgétaires expansives, n'ont pas les retombées attendues, notamment la stimulation de la demande globale par suite de l'anticipation du maintien du poids de la fiscalité et la baisse des taux d’intérêt.

Au Maroc, les règles mécaniques de contrôle du déficit ont contribué, aux côtés de la politique monétaire, à la promotion de la stabilité macroéconomique. Mais elles ont agi aussi comme frein sur les rythmes de croissance effective et potentielle.

Tertio : concernant le Maroc, les règles mécaniques de contrôle du déficit adoptées depuis 1998 ont contribué, aux côtés de la politique monétaire, à la promotion de la stabilité macroéconomique. Elles ont cependant agi, ainsi que l’on a noté, comme frein sur les rythmes de croissance effective et potentielle. L'opération de départs volontaires à la retraite, lancée en vertu de l'impératif de réduction du ratio dépenses de fonctionnement/PIB à 10%, dont la saignée en "capital humain" et les effets de persistance étaient considérables, est un parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire.

Quatro : la pandémie a mis en évidence les limites des critères de gestion des finances publiques. D’abord, la mise en place d’un Fonds Covid-19 a signalé en effet l’impossibilité d’utiliser l’instrument budgétaire en vue de faire face à la contraction de l’activité sous peine de passer outre la règle de limitation du déficit à 3%. Celle règle s’est avérée manifestement inadaptée tant à l’atténuation de la volatilité de la production qu’à la redistribution par la compensation des pertes de revenus ou d’emplois. L’aide aux salariés mis au chômage a, à son tour, exhibé les vices de la flexibilité du marché du travail qui reste, au demeurant, largement prônée comme solution à l’équation de l’emploi. La pandémie a révélé à cet égard un triangle d’incompatibilité entre le contrôle strict du budget, l'accentuation de la flexibilité du marché du travail par l'informalité et l'assouplissement et des règles d'un côté, et la protection sociale de l’autre.

En définitive, le pilotage du niveau d'endettement se révèle en contradiction avec la croissance.

- Que peut-on attendre de la politique budgétaire au vu de ces enseignements ?

- En définitive, le pilotage du niveau d'endettement se révèle en contradiction avec la croissance. Si la finalité ultime de la politique économique est la croissance et le bien-être social, le niveau du financement du budget public, la composition des dépenses, le montant et la structure des dépenses doivent être envisagés en fonction de cet objectif de premier rang. Il est remarquable de noter que le plaidoyer en faveur des contractions budgétaires admet implicitement que le taux d'intérêt réel servi sur les titres publics excède le taux de croissance réel, ce qui a pour conséquence que le processus d'endettement devient cumulatif imposant ainsi un contrôle strict des finances publiques. Lorsque le taux de croissance est supérieur au taux d’intérêt, le taux d’endettement est appelé à baisser de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’augmenter la pression fiscale pour faire face à la charge de l’emprunt.

"Être obnubilé par le niveau d'endettement, écrit l'ex-économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, au prix d'infrastructures réduites et de chômage plus élevé, est une erreur". Mettre la dette au service de la croissance est donc l'enjeu fondamental de la politique budgétaire.

Un tel objectif requiert l’adoption des règles assorties de marges d’adaptation à la conjoncture. Pareille flexibilité peut être conçue, en respect de l’impératif de crédibilité des engagements, selon des principes que le décideur public annonce lors de la conduite de ses actions. Ainsi des réajustements des dispositifs budgétaires peuvent être opérés compte tenu de la conjoncture et des objectifs de long terme.  Outre l'instauration d'une règle de solde courant flexible, le gouvernement peut mobiliser l'espace budgétaire en vue de renforcer la stabilisation automatique, d'accroître la protection sociale et de soutenir la croissance. La qualité de la soutenabilité est tributaire de la nature des dépenses publiques. La bipartition du budget en un compte courant et un compte capital peut servir à la promotion des dépenses d'investissement génératrices de croissance. En intégrant les flux futurs de recettes et de dépenses publiques, ce critère est en mesure de garantir une maîtrise des finances qui concilie stabilité et progression de l'activité.

Le temps long de la croissance et du développement ne doit être sacrifié au profit du temps court de la conjoncture et des contingences.  Dominé par la rhétorique de l'équilibre budgétaire, le débat public ne parvient guère à livrer les termes d'un diagnostic des exercices des politiques économiques.  Cette lacune tient, ainsi que le souligne, le gouverneur de Bank Al Maghrib, au déficit d'analyse. Ce déficit ne peut être atténué que par la mise en avant des idées. "Plus que de nature, écrit Saul Bellow, notre environnement est fait d’idées."

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