“L'essor du capital-investissement marocain requerra plus que les 23 sociétés de gestion actuelles” (Benlafdil)
En marge de la 10e conférence de l'Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC) le 31 mai dernier, Médias24 s'est entretenu avec le président de la commission Études et statistiques de l'association, Farid Benlafdil.
L'occasion de revenir sur certains éléments évoqués durant la conférence, comme l'évolution du cadre réglementaire autour du secteur ou encore les leviers actionnables pour attirer les investissements des privés marocains, mais aussi sur le tissu du capital-investissement au Maroc et son évolution au cours des vingt dernières années, d'après les données récentes de l'AMIC. Entretien.
Médias24 : Durant la conférence de l’AMIC, la présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) a annoncé que le nouveau cadre réglementaire allait booster le secteur. Comment ce nouveau cadre va-t-il dynamiser le secteur ?
Farid Benlafdil : Ce nouveau cadre réglementaire, qui arrivera d’ici quelques semaines dans l’attente de la publication de la nouvelle loi, viendra introduire la notion des fonds RFA (Règles de fonctionnement allégées). Quand vous avez un tour de table avec des investisseurs professionnels, le process pour obtention de l’agrément du fonds sera plus rapide par rapport à l’ancien cadre réglementaire.
- Les institutionnels sont attendus de pied ferme pour faire décoller le secteur du capital-investissement. Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, les faire adhérer au Private Equity pour mieux jouer le jeu qu’il y a deux décennies ?
- Il faut revenir à la première génération des fonds levées et investis entre 2000 et 2005. Les fonds levés auprès d’investisseurs marocains représentaient 73%, avec 8 fonds d’investissement et un total de 1 milliard de dirhams. Avec la génération 2006-2011, cette part a baissé à 48%, avec un total de fonds levés de plus de six milliards de dirhams, puis à 34% avec la 3e génération 2012-2016. Ce n’est qu'à la dernière génération 2017-2022, avec plus de 8 milliards de dirhams levés, que cette part est repartie à la hausse pour atteindre 46% des fonds levés, mais elle reste faible.
Madame la ministre de l’Economie et des finances, Nadia Fettah, l’a bien rappelé lors de la 10e Conférence de l’AMIC : certains investisseurs ont vécu de mauvaises expériences lors du démarrage du capital-investissement au Maroc. Il faut oublier ces expériences et participer de nouveau au développement de ce mode de financement.
Ce qui les fera revenir, c’est l’expérience des équipes de gestion, des sociétés de gestion indépendantes, des rendements à deux chiffres sur les dernières sorties, des sorties à travers la Bourse de Casablanca, des cessions stratégiques et sur le marché secondaire, ainsi que la taille des tickets d’investissement.
- Durant la 10e conférence annuelle de l’AMIC, certains panélistes ont évoqué, dans le monde du capital-investissement au Maroc, le manque de diversité au niveau des investisseurs et des segments d’investissement. Partagez-vous ce constat et, si tel est le cas, comment l’expliquer ?
- Dans le capital-investissement, vous avez 4 catégories : le capital-risque ou le capital-création, le capital-développement, le capital-transmission et le capital-retournement.
Quand on prend les statistiques du marché marocain depuis l’année 2000, les sociétés de gestion font majoritairement du capital-développement (73% à fin 2022 en valeur et 51% en nombre d’opérations). C’est le résultat d’une politique d’investissement convenue entre les sociétés de gestion et leurs bailleurs de fonds pour financer la croissance des entreprises marocaines et la création d’emplois.
Pour le capital-risque, le véritable démarrage a été effectué en 2019 avec l’initiative Innov Invest de Tamwilcom. En 2022, 66% des opérations d’investissement ont été réalisées dans le capital-risque et capital-amorçage (18 projets financés avec un total de plus de 800 millions de dirhams). À fin 2022, cette catégorie du capital-investissement représentait 35% en nombre d’opérations et 8% en valeur.
Il reste donc le capital-transmission et retournement. Pour le capital-transmission, les banques jouent un rôle important, notamment dans la réalisation des montages LBO (Leverage Buy Out). Il a fallu plusieurs années pour voir des banques marocaines accepter ce type de transaction en donnant uniquement le nantissement des actions achetées en garantie. Le caractère familial des entreprises marocaines était aussi un frein pour voir cette catégorie de capital-investissement se développer au Maroc. À fin 2022, le capital-transmission représentait uniquement 13% en nombre d’opérations et 18% en valeur.
Quant au capital-retournement, cette variante du capital-investissement désignant les fonds apportés à une entreprise en difficulté financière, un certain nombre d’entreprises peuvent éviter la liquidation en trouvant l’investissement dont elles avaient besoin pour traverser une passe difficile. Cette catégorie nécessite des experts métiers qui peuvent orienter la stratégie de l’entreprise en difficulté et engager sa restructuration. Cette catégorie de capital-investissement représente uniquement 1%.
Pour conclure, le développement de ce mode alternatif de financement au Maroc ne peut pas se faire uniquement avec les 23 sociétés de gestion actuelles. Une société de gestion ne peut pas faire plus de 3 ou 4 transactions par an. La durée d’investissement d’un fonds est de 4 ans seulement. Il faut encourager la naissance de nouvelles équipes de gestion, et cela ne peut se faire sans la confiance des investisseurs privés et publics.
En termes de ticket d’investissement, le ticket moyen est passé de 43 MDH dans la 2e génération à plus de 100 MDH entre 2017 et 2022, le résultat de l’augmentation de la taille des fonds sur les dernières années.
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