Bourse, inflation, taux, retraites… Entretien avec Khalid Cheddadi

Le patron de la CIMR nous parle dans cet entretien des performances de la Caisse qu’il dirige et de ce qu’il pense des différents facteurs qui ont impacté son activité. L’occasion de recueillir son avis également sur l’environnement général de l’investissement dans les marchés financiers, la hausse des taux, la morosité de la Bourse, et aussi sur la réforme des retraites amorcée cette année par le gouvernement.

Khalid Cheddadi, PDG de la CIMR

Bourse, inflation, taux, retraites… Entretien avec Khalid Cheddadi

Le 19 mai 2023 à 17h24

Modifié 20 mai 2023 à 9h45

Le patron de la CIMR nous parle dans cet entretien des performances de la Caisse qu’il dirige et de ce qu’il pense des différents facteurs qui ont impacté son activité. L’occasion de recueillir son avis également sur l’environnement général de l’investissement dans les marchés financiers, la hausse des taux, la morosité de la Bourse, et aussi sur la réforme des retraites amorcée cette année par le gouvernement.

Médias24 : L’année 2022 a connu une faible croissance, une inflation à plus de 6%, un marché action en chute libre et une hausse des taux sur le marché des bons du Trésor. Des éléments qui impactent directement votre activité. Comment la CIMR a-t-elle navigué dans ce contexte-là ?

Khalid Cheddadi : Ceci a surtout impacté l’aspect financier. Mais les fondamentaux de la CIMR ont très bien évolué au cours de l’année 2022. Sur le plan commercial, nous avons continué à recruter de nouveaux adhérents, entreprises et particuliers.

Pour les entreprises, nous sommes aujourd’hui à 7.270 entreprises adhérentes, en hausse de 3,5%. Pour les adhérents individuels, nous sommes à 20.185 personnes, avec une augmentation de 40%. Si l’on devait parler uniquement des contributions de la retraite individuelle, elles ont augmenté de 28,6% à 236 millions de dirhams. Le produit de retraite individuelle que nous avons mis en place connaît un grand succès. Nous le diffusons exclusivement via les moyens digitaux, notamment à travers les réseaux sociaux.

Tout cela aboutit à une augmentation des produits techniques, qui sont passés cette année à 10,5 milliards de dirhams, en croissance de 13%.

Ce que l’on peut noter aussi et qui est important pour le régime, c’est l’augmentation du nombre d’actifs cotisants. On a un régime par répartition, c’est donc le moteur démographique qui le maintient en vie et lui permet d’atteindre la pérennité. Les actifs cotisants ont vu leur nombre augmenter de 5% en 2022, alors que pour maintenir la pérennité du régime, nous n’avons besoin que de 0,5% d’augmentation sur une longue période.

Le régime a aussi d’excellentes perspectives sur le plan du développement commercial. Sur les entreprises, nous sommes sur un périmètre accessible de l’ordre de 1 million de personnes. C’est le nombre de salariés déclarés à la CNSS et qui sont payés 12 mois par an. C’est notre périmètre global. Aujourd’hui, nous sommes à 380.000 personnes, nous avons donc encore beaucoup de possibilités de développement.

Sur le plan de la retraite individuelle, les choses évoluent très bien et les perspectives sont bonnes. On a fait 40% de croissance en 2022 et il y a encore beaucoup de potentiel, surtout que nous allons lancer en 2023 une collaboration avec des banques partenaires pour essayer de distribuer le produit via le canal bancaire.

- Sur le plan fondamental, tout va bien donc. Qu’en est-il de l’aspect financier, qui a été assez contraignant en 2022 ?

- Vous avez cité les deux principaux évènements qui ont touché le marché : la baisse du cours de la Bourse de 19% en 2022 et l’augmentation à deux reprises du taux directeur en 2022 qui a impacté le portefeuille obligataire.

Pour les actions, nous avons été touchés parce que nous avons dû provisionner près de 2 milliards de dirhams sur l’année, ce qui a affecté nos résultats financiers.

Cela étant, nous n’avons pas d’inquiétude là-dessus. Parce que comme vous le savez, la Bourse monte et descend, et nous gardons notre portefeuille tel qu’il est. Tant qu’on ne vend pas, on n’accuse pas de pertes. Et globalement, notre portefeuille, même avec cette baisse de 19%, garde une plus-value latente positive.

Dans la réglementation qui nous est applicable, nous sommes obligés de comptabiliser la moins-value latente, c’est pour cela qu’on provisionne. Mais quand il y a une plus-value latente, on ne l’enregistre pas. Et dans notre portefeuille, les titres qui présentent une plus-value latente compensent largement les titres qui présentent des moins-values. Surtout que nous avons des titres qui sont dans notre portefeuille depuis longtemps, achetés à des niveaux de cours très bas.

En ce qui concerne les obligations, c’est un peu différent. Toutes les obligations, nous les avons dans des SICAV ou des fonds de placement. Sur les dix dernières années, les taux des obligations n’ont cessé de baisser, ce qui provoquait une valorisation du portefeuille. Dans les SICAV, on externalise tous les ans une partie des résultats à travers les opérations d’aller-retour, mais nous n’externalisons que les coupons, les intérêts courus. Toute la création de valeur due à la valorisation du portefeuille consécutive à la baisse des taux, on la laisse dans les SICAV. Ce qui fait qu’en 2022, et certainement en 2023 aussi, les baisses de valorisations dues à l’augmentation des taux ne nous affectent pas par rapport à la valeur comptable des SICAV.

- Que pensez-vous de ces hausses des taux, qui ont été brutales, surtout celle du début 2023. Pensez-vous que les taux continueront d’augmenter ?

- L’économie mondiale s’inscrit globalement dans une perspective de hausse des taux à cause des tensions inflationnistes. Maintenant, lutter contre l’inflation, c’est bien, mais à un certain moment, si l’argent devient trop cher, ça va tuer la consommation et l’investissement. Je pense que l’on va certainement continuer sur cette tendance avec une hausse modérée des taux en milieu d’année, mais cette tendance s’arrêtera, à mon avis, fin 2023.

- L’inflation, on en parle beaucoup surtout du point de vue du pouvoir d’achat, mais on oublie que ce phénomène ronge également l’épargne. Comment cette inflation a-t-elle affecté vos réserves, vous qui êtes un grand gérant d’une partie de l’épargne nationale ?

- C’est surtout l’augmentation des taux qui a un impact sur nos réserves. Nous sommes tenus de constituer une réserve mathématique de capitalisation. Cette provision est calculée en actualisant les engagements futurs à un taux fixé par l’administration. Quand le taux est élevé, la réserve est basse. Et quand les taux diminuent, la réserve augmente. Ce que nous observons en 2022, c’est que les taux ont légèrement augmenté, ce qui a impacté à la baisse la réserve mathématique.

Mais ceci ne change pas grand-chose, puisque tout ce que l’on dégage au niveau de la provision mathématique de capitalisation, on l’injecte dans la réserve de prévoyance. Ce qui est important, c’est de voir comment ont évolué nos réserves globales. Elles sont passées à 77 milliards de dirhams en 2022, enregistrant une augmentation de 6%. C’est cela la conséquence pratique pour nous.

Nous avons aussi augmenté notre participation dans la BCP, en achetant 4% supplémentaire du capital pour monter à 14,9%

- Face à ce contexte morose au niveau des marchés actions et de taux, est-ce que vous avez pu avoir des alternatives d’investissement qui ont pu compenser les contre-performances des placements sur le marché des capitaux ?

- Nous avons, en effet, investi massivement l’année dernière dans les OPCI créés par l’Etat pour porter ses actifs immobiliers. Nous sommes aujourd’hui à un investissement total de 4,5 milliards dans ces instruments. On a commencé fin 2021, mais on a fait le plus gros en 2022 pour un montant de 3 milliards. Nous avons participé à d’autres OPCI pour des montants moins significatifs.

Nous avons aussi augmenté notre participation dans la BCP, en achetant 4% supplémentaire du capital pour monter à 14,9% du capital de la banque. C’est cela la diversification que nous faisons.

Maintenant, avec l’augmentation des taux, on reviendra à l’obligataire bien entendu.

- Et sur l’action, y a-t-il un possible retour ?

- Le marché est un peu hésitant en ce début d’année. Il oscillait entre 0 et -2%. Mon sentiment, c’est qu’une légère reprise économique devrait se confirmer au cours du deuxième semestre. Les résultats des sociétés cotées sont bons pour 2022. Ça se traduira dans la distribution des dividendes. Sauf pour quelques secteurs qui ont souffert, comme les cimentiers. Mais pour le reste, les comptes sont plutôt bons. Les banques se portent bien, l’agroalimentaire aussi.

- La baisse des cours ces dernières années offre aujourd’hui des niveaux d’entrée intéressants, selon plusieurs analystes. Est-ce qu’on verra la CIMR se mettre en acheteur sur certains titres en 2023 ?

- Oui, c’est vrai. Les cours de certains titres sont intéressants aujourd’hui. Mais avec l’investissement que l’on a fait sur la BCP, on va lever un peu le pied sur l’action pour rétablir les équilibres au niveau de l’obligataire. On ira davantage vers l’immobilier, également à travers les OPCI.

- Sur le private equity, il y a une opportunité qui s’ouvre avec le lancement du Fonds Mohammed VI. Est-ce que la CIMR a pris une participation dans ce véhicule d’investissement ou dans les fonds thématiques qui seront lancés ?

- Nous avons des contacts avec le Fonds Mohammed VI, qui envisage de créer des fonds thématiques. Ce sont des fonds qui nous intéressent. On attend que l’on nous fasse des propositions concrètes pour les étudier.

- La participation se fera donc au niveau des fonds thématiques ?

- C’est comme cela que ça va se faire je pense. Nous n’avons pas reçu de propositions pour participer directement au Fonds.

Retraites : je pense, a minima, que les caisses publiques devraient être réformées, notamment la CMR qui est menacée par l’épuisement de ses réserves à très courte échéance

- La réforme des retraites est relancée depuis le début de l’année. Cela fait des années que l’on en parle. Pensez-vous que cette fois-ci sera la bonne ?

- Je l’espère... Je pense, en tout cas, qu’il y a de très fortes chances qu’il y ait une réforme cette année. Maintenant, quel en est le contenu? Je pense, a minima, que les caisses publiques devraient être réformées, notamment la CMR qui est menacée par l’épuisement de ses réserves à très courte échéance. C’est un passage obligé.

Ceci dit, le gouvernement, jusqu’à présent, s’est inscrit dans l’optique de réformer tous le système. Cela veut dire s’organiser en deux pôles, un pôle public et un pôle privé.

Pour le public, au lieu d’avoir une caisse pour les fonctionnaires et une autre pour les salariés des entreprises publiques et des communes, l’idée est d’avoir un régime de base pour toute cette population et un régime complémentaire. Le même schéma serait dupliqué pour le secteur privé. La CNSS gère le régime de base. Un des projets qui est sur la table est d’instaurer un régime complémentaire obligatoire qui serait géré par des sociétés mutuelles de retraite, et bien entendu la CIMR pour jouer un rôle ici.

- Ce sera à votre avis une réforme systémique, pas seulement un changement des paramètres du système ?

- Je pense que le gouvernement envisage d’aller dans ce sens.

- Mais quand on voit le débat aujourd’hui, il est focalisé, notamment au niveau des syndicats, sur l’âge de départ à la retraite, le niveau des cotisations et des prestations, comme si on était dans une simple réforme paramétrique…

- Ce débat est inéluctable, car ce sont les leviers dont on dispose pour faire une réforme des retraites. Si on part d’une situation où les régimes sont déséquilibrés, soit on augmente l’âge de retraite, soit on augmente les taux de contribution. On peut aussi réduire les prestations, mais ce n’est pas quelque chose de facile à faire, ni de facile à admettre par les bénéficiaires.

Retraites: il faut que les gens comprennent qu’un système ne donne qu’en fonction de ce qu’il reçoit

- Dans un récent article de Dominique Strauss-Kahn sur les réformes des retraites, l’ancien patron du FMI estime qu’il faut arrêter de centrer le débat sur l’âge de départ à la retraite, et de penser plutôt "durée de cotisation", au vu des changements technologiques en cours comme l’IA ou la robotisation, qui vont conduire à un changement dans les carrières des individus. Ces dernières seront de plus en plus hachées, avec un besoin de formation en milieu de carrière, de changement de métiers… Est-ce que vous souscrivez à cette idée ?

- Ces changements peuvent en effet survenir très rapidement. Mais je pense que l’idée derrière la proposition de M. Strauss Kahn, c’est de dire, en définitive, qu’un système de retraite ne doit vous restituer que ce que vous avez mis dedans. C’est un système qui gère l’épargne pour le compte des salariés ou des cotisants en général.

L’idée, c’est de dire que les gens n’ont qu’à choisir eux-mêmes leur âge de départ à la retraite, et ils auront la pension qui en résultera. Si quelqu’un pense qu’il peut rester actif jusqu’à 70 ans, il cotisera jusqu’à 70 ans et aura une retraite importante. Si quelqu’un d’autre veut s’arrêter à 50 ans pour une raison ou pour une autre, il aura ce qu’il a cotisé.

C’est une manière de décrisper un peu le débat sur l’âge de départ à la retraite. Mais dans le fond, il faut que les gens comprennent qu’un système ne donne qu’en fonction de ce qu’il reçoit.

- C’est un peu une idée qui rejoint la retraite par capitalisation à l’américaine, très libérale, où l’Etat n’intervient pas et où chacun est responsable de la constitution de sa propre retraite…

- Pas forcément. Même dans un système de répartition, on peut faire la même chose. Au fond, le système de la CIMR fonctionne comme ça. A la CIMR, les calculs sont faits théoriquement sur la base d’un âge de départ à la retraite de 60 ans, mais vous pouvez partir avant, à partir de 50 ans, et vous pouvez retarder votre départ autant que vous le souhaitez. Et la pension s’ajuste en fonction de cela.

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