Emmanuel Dupuy : pas d'amélioration perceptible entre le Maroc et la France

Affaire Séjourné, absence de signaux positifs du président français, tentative de réconciliation franco-algérienne mal partie, report du voyage du président du Sénat à Rabat et enfin tentative par des députés du camp présidentiel de raviver l’axe Paris-Rabat... C'est dans ce contexte que le président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe décrypte la forte tension accompagnant l'action d'Emmanuel Macron qui semble privilégier le rapprochement de la France avec l'Algérie aux dépens de la consolidation de sa relation avec le Maroc.

Emmanuel Dupuy : pas d'amélioration perceptible entre le Maroc et la France

Le 28 avril 2023 à 11h13

Modifié le 29 avril 2023 à 22h32

Affaire Séjourné, absence de signaux positifs du président français, tentative de réconciliation franco-algérienne mal partie, report du voyage du président du Sénat à Rabat et enfin tentative par des députés du camp présidentiel de raviver l’axe Paris-Rabat... C'est dans ce contexte que le président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe décrypte la forte tension accompagnant l'action d'Emmanuel Macron qui semble privilégier le rapprochement de la France avec l'Algérie aux dépens de la consolidation de sa relation avec le Maroc.

Trois mois après l’adoption par une majorité d’eurodéputés d’une résolution appelant le Maroc à respecter la liberté d’expression et à libérer trois journalistes emprisonnés, l’actualité n’a fait que confirmer le rôle trouble joué dans ce vote par le groupe Renew, présidé par Stéphane Séjourné, très proche du président Emmanuel Macron.

L’affaire Séjourné confirme la responsabilité française 

Sans le concours actif de ce groupe, 3e du Parlement européen avec 103 élus sur 705, qui est présidé par son ancien conseiller officiel, tout porte en effet à croire que la résolution d’urgence contre le Maroc n’aurait pas pu être adoptée.

Une responsabilité confirmée par la révélation par Médias24 de témoignages démontrant l'implication personnelle de l'eurodéputé Stéphane Séjourné dans le retrait de l'agenda du Parlement européen, quelques jours avant son vote, d’une proposition de résolution dénonçant les atteintes à la liberté de la presse en Algérie.

Un tour de passe-passe qui a convaincu ceux qui doutaient encore du tropisme algérien du président français qui ne pouvait certainement pas être tenu à l'écart des intentions de vote du groupe Renew, composé du parti présidentiel Renaissance.

Notons cependant que la proposition de résolution dénonçant, entre autres, la condamnation à 5 ans de prison du journaliste algérien Ihsane El Kadi, vient de faire son retour dans l'agenda de l’assemblée plénière du parlement européen pour la journée du 10 mai 2023.

Faut-il en déduire que le président français a été soumis à des pressions qui l'ont fait changé d'avis sur le dossier algérien ? Cela semble peu probable mais la seule certitude que son éventuelle adoption par les eurodéputés ne favorisera pas la réconciliation qu'il espère au point de mettre en danger la relation de son pays avec le Maroc.

"Rien n'est fait dans la situation actuelle pour améliorer la relation entre Paris et Rabat"

En effet, "l’action du député européen, Stéphane Séjourné, est significative d’un choix assumé fait depuis plusieurs mois par le président Emmanuel Macron, à savoir s’abstenir d’envoyer des signaux positifs pour améliorer la situation avec le Maroc", résume Emmanuel Dupuy pour expliquer la finalité du rôle joué par Stéphane Sejourné.

Sans reprogrammation ou nouvelle du voyage présidentiel prévu au Maroc, Dupuy confirme qu’à ce jour, c’est plutôt la visite d’Etat du dirigeant algérien qui est privilégiée par l’Elysée, avec un axe d’efforts uniquement centré sur l’Algérie qui, en d’autres termes, exclut le Maroc ou tout du moins l’ignore.

Ainsi, le report sine die de la visite marocaine de Gérard Larcher, président du Sénat confirme, s’il en était besoin selon lui, que le problème entre les deux pays vient bien du côté français.

Une tentative de réconciliation avec l’Algérie vouée à l’échec ?

"Malgré des mises en garde répétées de plusieurs diplomates, le président français reste persuadé qu’il doit privilégier la réconciliation avec l'Algérie dans son action diplomatique, et que son deuxième mandat permettra de rapprocher durablement la France avec son ancienne colonie", estime Dupuy d'un ton peu optimiste.

A ce propos, il rappelle que son prédécesseur Jacques Chirac avait initié la même démarche de réconciliation en 2004, mais sans pour autant affaiblir ou mettre en péril la relation française avec le Maroc.

Sur ses chances de réussite, le politologue déclare que peu d'acteurs de la classe politique française semblent croire qu’une réconciliation puisse être unilatérale, d’autant que l'Algérie n’a pas déployé autant d’efforts dans ce sens, et que les conditions posées à l'occasion du voyage présidentiel d'août dernier ne semblent pas réunies.

Une tentative qui ne qu'être vouée à l’échec quand on sait que le gaz algérien convoité par la France a d'ores et déjà été vendu aux Italiens, et que l’Algérie a fait part récemment de sa préférence pour l'acquisition de systèmes d'armements allemands et italiens plutôt que français.

"Le président Tebboune forcé de passer par Moscou avant d’aller à Paris"

Interrogé sur les raisons du report en juin de la visite d’Etat en France du président Abdelmajid Tebboune, censée sceller la réconciliation franco-algérienne, Emmanuel Dupuy estime qu’en réalité le chef d’Etat algérien ne veut tout simplement pas mettre en péril sa relation privilégiée avec Moscou.

"Les Russes ont en effet catégoriquement refusé qu’il se rende à Paris avant sa visite à Moscou", révèle Dupuy qui se dit persuadé que Tebboune rencontrera son homologue Poutine avant Macron.

Le report du voyage du président du Sénat s’explique par ses ambitions politiques

Et d'ajouter que le report de la visite au Maroc du président du Sénat français peut s'expliquer par le fait qu’après sa réélection comme sénateur en septembre prochain, Gérard Larcher se verrait bien incarner un Premier ministre d’ouverture ou de cohabitation du président Emmanuel Macron.

Une hypothèse confirmée par le fait qu’il a décidé, de sa propre initiative, d’annuler son voyage au Maroc au tout dernier moment pour officiellement, des raisons de politique intérieure.

Une tribune parlementaire censée servir de contrefeu aux tensions actuelles

C’est dans ce contexte de tensions persistantes entre les deux pays que le politologue nous révèle qu’une tribune de parlementaires français sera publiée dimanche prochain dans l’hebdomadaire Le JDD.

"Portée par le député Bruno Fuchs du Modem, elle essayera de compenser les signaux négatifs à l’égard du Maroc par une volonté d’élus de la majorité présidentielle d’envoyer des signes plus positifs, et surtout de convaincre le président des bienfaits de la relation franco-marocaine", explique Dupuy.

De plus, cette tribune partisane de personnes proches du camp présidentiel aurait aussi, selon lui, vocation à corriger la perception négative au Maroc de l'action menée par Stéphane Séjourné, semblant "accuser le Maroc" pour mieux "dédouaner l'Algérie".

L’idée de cette initiative est par conséquent d’apparaître comme une réponse à l’annulation de la visite du président Gérard Larcher et de faire accepter le fait que de nouveaux parlementaires ayant une relation plus éloignée avec le Maroc ont compris l’intérêt de sauvegarder un lien fort avec lui.

Tant qu’Emmanuel Macron sera à l’Élysée, la relation avec le Maroc sera perturbée

A la question de savoir si cette tribune arrivera à rapprocher les deux parties, Dupuy affirme que rien n'influencera la volonté du président Emmanuel Macron de privilégier l’Algérie, et qu’en réalité l'amélioration de la relation avec le Maroc ne pourra être envisagée que dans une autre configuration politique.

"Hormis l’arrivée à Matignon d’un Premier ministre de cohabitation ayant compris l'intérêt de ne pas voiler la relation avec le Maroc, il faut prendre son mal en patience, mais cela ne veut pas dire que certains de ses proches plus ouverts au dialogue n’essayeront pas de le convaincre", estime Dupuy.

Quoi qu'il advienne, le politologue avance qu'en l'absence d'une nouvelle configuration politique pour étayer ou tout au moins calmer "son courroux personnel à l’égard du Maroc suite à l'affaire Pegasus", la publication d’une tribune ne le fera certainement pas changer d’avis sur sa politique diplomatique marocaine.

En conclusion, Dupuy évoque a minima une indéniable frilosité du président français, à l’origine d'un blocage qui ne risque pas de s’arranger de sitôt faute de signaux positifs de Paris, mais aussi de Rabat.

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