Le déclin structurel du taux d’activité des femmes au Maroc, décortiqué par le PCNS

La baisse du taux d’activité des femmes marocaines est devenue structurelle. Le think tank Policy Center for the New South (PCNS) a tenté d’en comprendre les raisons, en analysant la situation de ces femmes sur la base de quatre facteurs. Voici ce qu'il en ressort.

Le déclin structurel du taux d’activité des femmes au Maroc, décortiqué par le PCNS

Le 5 avril 2023 à 11h34

Modifié 5 avril 2023 à 11h34

La baisse du taux d’activité des femmes marocaines est devenue structurelle. Le think tank Policy Center for the New South (PCNS) a tenté d’en comprendre les raisons, en analysant la situation de ces femmes sur la base de quatre facteurs. Voici ce qu'il en ressort.

  • En 2022, le taux d’activité des femmes a été de 19,8% en 2022, en régression d'une année à l'autre.
  • L’accessibilité des femmes aux opportunités économiques est réduite de plus de 50% une fois mariées.
  • Le taux de féminisation de l’emploi se situe à des niveaux très faibles, les aides familiales représentent le taux le plus élevé (57,7%).
  • En 2020, 86% des femmes ont reçu un salaire inférieur au SMAG dans le secteur agricole.
  • Le marché de l’emploi qui ne génère pas suffisamment d’opportunités pour absorber les stocks de demandeurs d’emplois et les nouveaux venus au marché du travail.
  • Sur près de 54 % des femmes au foyer, entre 10 et 23% ont été forcées par leur mari ou un membre de leur famille à ne pas travailler.

Le taux d’activité des femmes, en baisse d’une année sur l’autre, a été de 19,8% en 2022, selon les statistiques du Haut-Commissariat au plan (HCP). Très souvent, les freins sociétaux, les stéréotypes et la non-scolarisation ont été répertoriés parmi les obstacles majeurs à l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques. Ce constat est vrai, mais ne tient pas compte d’autres facteurs qui semblent tout aussi déterminants, tels que l’étroitesse du marché de l’emploi et le manque d’opportunités.

Les tranches d’âge 15-24 ans et 45-59 ans sont les plus impactées

Dans un Policy brief sur l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques au Maroc publié récemment, le Policy Center for the New South (PCNS) analyse l’évolution du taux d’activité des femmes sur la base de quatre facteurs : l’âge, le niveau de scolarité, le milieu et le statut.

"La baisse du taux d’activité des femmes au Maroc est devenue structurelle", lit-on sur le document. Moins de 20% des femmes âgées de plus de 15 ans sont actives, contre près de 80% de femmes non actives. Comparée à l’évolution du taux d’activité masculin, la tendance est également à la baisse, mais avec un écart qui se maintient à un niveau de presque 50 points en pourcentage.

Medias24
Medias24

Les tranches d’âge 15-24 ans et 45-59 ans sont celles qui ont le plus subi cette baisse. La régression constatée pour la première tranche peut être expliquée par l’amélioration du niveau de scolarité des jeunes filles. En effet, le taux de scolarisation des 15-17 ans est passé de 46,3% en 2010 à 70,9% en 2020. De même, la structure de la population âgée de 15 ans et plus, selon le niveau de diplôme, démontre une nette amélioration du niveau de scolarité ces dix dernières années, même si la part des femmes non diplômées reste prédominante.

Pour ce qui est des femmes âgées de plus de 60 ans, le taux d’activité est appelé à connaître une baisse continue en raison de l’amélioration de l’espérance de vie à la naissance. Le nombre de femmes dont l’âge est supérieur à 60 ans est évalué à 2,176 millions en 2021, alors qu’en 2004, cette population n’était que de 1,258 million, ce qui soulève d’autres défis en termes de protection et de sécurité sociale.

"Tenant compte de ces éléments, l’analyse du taux d’activité de la femme devrait porter l’attention à la catégorie des 25-59 ans pour soustraire les effets induits par l'amélioration du niveau de scolarité et de l’espérance de vie et cerner les facteurs à effets directs sur l’activité des femmes", souligne le PCNS. Cette population est évaluée à près de 2,65 millions de personnes en milieu rural, et  5,92 millions en milieu urbain.

L’amélioration de l’activité en milieu urbain ne compense pas la baisse dans le rural

En termes du niveau de scolarité, le Policy brief démontre que les femmes diplômées de l’enseignement supérieur affichent le meilleur taux d’activité. Néanmoins, l’amélioration du niveau de scolarité des femmes ne favorise pas forcément la progression de leur taux d’activité.

En effet, entre 2001 et 2021, ce taux s’est dégradé de 14 points de pourcentage pour les diplômées du niveau supérieur, tandis que le taux d’activité des diplômées du niveau moyen et des non diplômées a régressé respectivement de 7 et de 5 points de pourcentage. Cette tendance est confirmée par l’augmentation du taux de chômage au niveau des diplômées de l’enseignement supérieur, qui dépasse 30% en milieu urbain et 45% en milieu rural.

Pour ce qui est du milieu, l’analyse sur cette tranche d’âge (25-59 ans) fait ressortir une progression du taux d’activité des femmes en milieu urbain durant les dix dernières années, mais à un niveau relativement faible, ne permettant pas de compenser la baisse relevée en milieu rural.

Les opportunités économiques réduites de 50% après le mariage

Par ailleurs, contrairement aux hommes, dont le taux d’activité augmente après le mariage, l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques est réduite de plus de 50% une fois mariées.

En milieu rural, pour les femmes âgées de plus de 15 ans, la tendance à la baisse du taux d’activité est enregistrée indépendamment du statut de la femme. Néanmoins, il est remarqué une baisse plus importante pour les célibataires qui, avec l’urbanisation et l’amélioration de la scolarité, seraient en mobilité ou s’adresseraient aux marchés du travail en milieu urbain.

Les taux d’activité des femmes, selon leur statut, en milieu urbain, sont restés les mêmes ces dix dernières années, avec une importance marquée du taux d’activité des divorcées, suivies des célibataires.

Le taux de féminisation de l’emploi reste très faible

Entre 2000 et 2018, le nombre de femmes employées a augmenté de 347.000 en milieu urbain, contre uniquement 69.000 en milieu rural, pour la même tranche d’âge de 25-59 ans. Toutefois, le taux de féminisation de l’emploi se situe à des niveaux très faibles :

  • 20,5% pour les salariés ;
  • 10,8% pour les indépendants ;
  • 9% pour les employeurs ;
  • 10,6% pour les apprentis ;
  • 9,1% pour les membres des coopératives ;
  • les aides familiales représentent le taux le plus élevé : 57,7%.
Medias24
Medias24

Le marché du travail rémunéré et d’entrepreneuriat reste ainsi très limité, particulièrement en milieu rural où il y a un manque d’opportunités, qui restent volatiles et à faibles revenus. L’entrepreneuriat reste un projet très complexe pour plusieurs femmes, en raison du manque de financement approprié, de garanties, de compétences ou de soutiens.

Le salaire moyen des femmes est de 4.737 DH

L’insécurité de l’emploi est également l’un des facteurs expliquant la régression du taux d’activité des femmes. Celles-ci ont été plus nombreuses à être employées en contrats de courte durée.

Les salaires moyens restent également plus faibles comparés à ceux des hommes. En 2020, selon les données de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), 86% des femmes ont reçu un salaire inférieur au SMAG contre 65% pour les hommes dans le secteur agricole. Le salaire mensuel moyen des femmes est de 4.737 DH contre 5.349 DH pour les hommes.

Manque d’opportunités et étroitesse du marché de l’emploi

Selon le PCNS, la même tendance à la baisse du taux d’activité pour les deux genres (hommes et femmes) trouve son explication dans l’étroitesse du marché de l’emploi qui ne génère pas suffisamment d’opportunités permettant d’absorber les stocks constitués en demandeurs d’emplois ainsi que les nouveaux venus sur le marché du travail.

Une fois le diplôme obtenu, les jeunes filles ayant suivi des études supérieures en dehors de leur ville ou village d’origine sont contraintes de retourner au foyer familial si elles ne trouvent pas de travail rapidement. Très souvent, elles sont découragées et abandonnent leur recherche d’emploi, vu le manque d’opportunités correspondant à leurs attentes dans leur lieu de résidence, en termes de rémunération, de sécurité et de mobilité.

Près de 54% des femmes sont au foyer et sont de ce fait considérées comme non actives. Nombreuses sont celles qui ont choisi de ne pas exercer d’activités en dehors de leur foyer, pour des raisons purement économiques, surtout quand les salaires proposés ne leur permettent pas de couvrir les charges additionnelles générées par leur activité en dehors du foyer, à savoir les frais de transport, les services de ménage à domicile, etc.

Mais, parmi ces femmes au foyer, il y a aussi celles qui n’ont pas été en mesure de choisir. Indépendamment de leur statut et de leur niveau d’éducation, elles ont été forcées par leur mari ou un membre de leur famille à ne pas travailler. La part de ces femmes au foyer varierait entre 10% et 23% selon les études menées dans ce sens par ONU Femmes et la Banque mondiale.

Les programmes gouvernementaux au profit des femmes doivent être réexaminés

Le gouvernement actuel s’est fixé comme objectif de faire évoluer le taux d’activité des femmes de 20% à 30% d’ici 2026. Cette progression projetée, qui est totalement en rupture avec la tendance baissière installée depuis deux décennies, nécessitera des mesures qui produisent des effets exceptionnels en fonction des quatre facteurs analysés : l’âge, l’éducation, le statut matrimonial et le milieu/région.

De ce fait, les approches et les programmes en faveur de l’autonomisation de la femme ont besoin d’être réexaminés et réajustés pour rompre les équilibres malsains installés et identifier les voies de croissance, en apportant plus de proximité et de connexion avec les réalités de chaque territoire et de chaque segment des catégories socio-économiques des femmes.

Le gouvernement devrait, entre autres, réserver des programmes spécifiques aux femmes dont les tranches d’âge se situent entre 25 ans et 59 ans, vu que la croissance recherchée proviendrait de ces segments qui présentent un fort potentiel et en même temps un grand déficit.

A titre d’exemple, les projets accompagnés en milieu rural sont généralement orientés vers les coopératives, ce qui ne couvre pas toutes les catégories socio-économiques. Pour encourager l’entrepreneuriat féminin dans des secteurs de transformation et de valorisation agricole, en milieux rural et péri-urbain, il y a lieu de mettre en place des programmes spécifiques adaptés, en termes de financement, d’accompagnement et d’accessibilité à des services appropriés.

Le taux de chômage relativement élevé des diplômées de l’enseignement supérieur mérite une attention particulière, dans la mesure où il génère une double déperdition pour notre pays, en termes de coût de formation et de contribution à l’économie, sachant que le nombre de filles diplômées des études supérieures est en constante augmentation et que plusieurs d’entre elles ont les meilleurs scores de leur promotion.

Medias24
Medias24

Les nouvelles technologies, une opportunité pour l’autonomisation des femmes

Les possibilités de renforcement de l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques sont multiples. Elles doivent s’inscrire dans une évolution dynamique qui tienne compte des facteurs impactant le plus leurs activités et qui prenne en charge la diversité de leurs besoins et de leurs contraintes.

Les nouvelles technologies présentent des opportunités qui devraient produire des effets positifs pour l’autonomisation de la femme, en intégrant la perspective de genre afin de ne pas créer de nouvelles sources d’inégalités. En effet, les technologies numériques offrent un espace de création et de développement qui permet à plusieurs femmes de travailler en ligne, dans le domaine du salariat ou de l’entrepreneuriat.

Des programmes spécifiques sont nécessaires pour accompagner et offrir le cadre approprié aux femmes qui se lancent dans l’entrepreneuriat numérique, vu l’émergence de l’informel numérique qui, d’ailleurs, n’est pas exclusif aux femmes. Les réseaux sociaux peuvent ainsi être utilisés pour connecter les femmes à des communautés de soutien et à des opportunités économiques, mais il y a lieu de lutter contre la cyberintimidation, la désinformation et les préjugés du genre en ligne.

Enfin, le travail à distance sera certainement de plus en plus développé, ce qui pourrait offrir plus de flexibilité aux travailleuses, selon leurs besoins.

Medias24
Medias24
LIRE AUSSI

HCP : 8 femmes sur 10 restent en dehors du marché de travail

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

AKDITAL: INDICATEURS ANNUELS AU 31 DÉCEMBRE 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.