Charte de l'investissement, une conversation avec Mohcine Jazouli

Les premiers dossiers d'investissements privés élaborés dans le cadre de la Charte de l'investissement, seront prochainement traités par la commission nationale. Le gouvernement va vite et il est confiant quant à la réalisation de l'objectif de 550 milliards de DH d'investissements privés d'ici 2026. Rencontre avec le ministre de l'investissement et VRP du royaume.

Charte de l'investissement, une conversation avec Mohcine Jazouli

Le 19 février 2023 à 18h46

Modifié 21 février 2023 à 8h59

Les premiers dossiers d'investissements privés élaborés dans le cadre de la Charte de l'investissement, seront prochainement traités par la commission nationale. Le gouvernement va vite et il est confiant quant à la réalisation de l'objectif de 550 milliards de DH d'investissements privés d'ici 2026. Rencontre avec le ministre de l'investissement et VRP du royaume.

Mohcine Jazouli se lance, presque sans avoir besoin de l’interroger. Il parle de l’action du gouvernement actuel avec enthousiasme. “C’est un gouvernement d’action“, résume-t-il, “qui est là pour délivrer, sans politique politicienne“.

Pour lui, il n’y a pas trois partis mais un gouvernement. Mohcine Jazouli a toujours eu le sens de la formule.

C’est le 7 octobre 2021 que ce cabinet a été nommé par le Roi, Jazouli héritant notamment des investissements, sous l’appellation inédite de “ministre délégué chargé de l’investissement, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques“. Une semaine plus tard, son périmètre était défini par décret.

Pour financer l'Etat social, il faut de la croissance, donc de l'investissement

“La première réunion organisée par le chef du gouvernement a été consacrée à l’investissement“, se souvient-il. Il est intarissable sur l’Etat social, le programme social du gouvernement, avec l’Education, la santé, la protection sociale, l’emploi, Awrach et Forsa, tous les programmes d’urgence. Pour financer ces chantiers qui vont changer le Maroc, il faut de la croissance. Donc l’investissement est prioritaire. Vital.

Ce chantier de l’investissement est celui de tous, mais d’abord le sien.

La charte de l’investissement est là pour ça, booster l’investissement privé. Le Souverain a placé la barre très haut : 550 milliards de DH d’investissement privés d’ici 2026, avec création de 500.000 emplois nouveaux, uniquement par les investissements à venir. Créer des emplois est un défi majeur. 300.000 personnes arrivent chaque année sur le marché du travail. En 2035, le secteur privé devra réaliser les deux tiers des investissements globaux dans le pays, contre un petit tiers actuellement.

Notre rencontre avec Jazouli se déroule vendredi 17 février 2023 à Casablanca. Il rentre au Maroc d’une réunion de l’OCDE sur la conduite responsable des entreprises, où il a mis une casquette qui lui va bien : celle de VRP du royaume. Ce fut le cas aussi à Davos, et bien d’autres événements, pas forcément médiatisés, en Allemagne, au Royaume Uni, à Singapour… Les opérateurs dans ces pays font leurs diligences, ils connaissent le Maroc, “ils savent qu’il fait partie de leur solution, c’est même LA solution.

Les équipes du ministère et de l’AMDIE parcourent le monde, préparent les dossiers, font tout le travail pour convaincre des investisseurs et élaborer les accords“. Des conventions d’investissement correspondant à quelques dizaines de milliards de DH et des milliers d’emplois ont été signées depuis l’installation du gouvernement.

Aujourd’hui, le Maroc bipe dans tous les radars

L’expression qui lui tient à cœur, c’est le momentum Maroc. Il est intarissable sur ce thème : “sous la conduite de Sa Majesté, le Maroc s’est imposé comme terre d’investissements“. Bien sûr, il vous cite l’infrastructure, les accords de libre échange (plus de 50) donnant accès à plus de 2,3 milliards de consommateurs, l’automobile et l’aéronautique, les fondamentaux économiques, les recettes des IDE en hausse régulière.

“Les fondamentaux physiques et logiques sont là. En plus de l’infrastructure, citons les grands chantiers logiques qui ont vu le jour, les institutions, les grandes réformes, et qui font qu’aujourd’hui, le Maroc bipe dans tous les radars“.

“Tout le monde a pris conscience des grands piliers qui font ce pays à commencer par la stabilité qui est recherchée par tous les investisseurs, cette stabilité qui les rassure et qui fait que lorsqu’un cap est fixé par Sa Majesté, il est maintenu“.

Il cite aussi la jeunesse de la population, comme atout pour l’investissement : “L’Europe est en train de vieillir avec un âge médian de 43 ans. Au Maroc, l’âge médian est de 29 ans, nous avons une population jeune, formée, et qui est capable de remplir les emplois qui vont être créés par ces investisseurs“.

L’énergie verte est le 4e atout : “A l’heure où l’Europe est en train de décarboner son économie, elle n’a pas la capacité de tout produire en énergie verte, parce qu’il n’y en a pas assez. Le Maroc produit et produira de l’énergie verte à bas coût, 6 à 10 fois moins cher que l’Europe“.

Jazouli n’oublie pas le track record que sont l’automobile et l’aéronautique. Ils sont un peu le proof of concept de ce que le Maroc est capable de faire, grâce auquel le Maroc est le premier fournisseur automobile étranger de l’Europe ; sachant par ailleurs qu’il n’y a pas un avion qui vole dans notre ciel, sans une pièce fabriquée au Maroc. Airbus fait désormais fabriquer les nacelles de son modèle phare, le A320Néo au Maroc ; et fait totalement confiance à la stabilité, la capacité et la résilience du royaume.

Le monde passe à une nouvelle phase

Tout ce qui précède est qualifié de première phase par Jazouli. La deuxième phase, elle, naît de la crise du Covid et des conséquences de la guerre russo-ukrainienne. Le monde revoit ses chaînes de valeur. On opte maintenant pour le friendshoring, qui consiste à placer des maillons de sa chaine de production dans les pays amis, stables, safe, ce qui va permettre de faire face aux différentes crises.

Charte de l’investissement : les primes, mais pas seulement

La charte de l’investissement a donc fait l’objet de la loi-cadre 03-22 promulguée le 9 décembre. Le premier décret d’application a été adopté le 26 janvier 2023 en conseil de gouvernement.

Cette charte instaure dans certains cas, des primes aux investisseurs basées sur des critères de création d’emplois et/ou de montant de l’investissement global. En matière de gouvernance, elle apporte la décentralisation : pour la première fois, des commissions d’investissement se tiendront au niveau des régions.

Les primes seront versées aux investisseurs sur le budget de l’Etat et sont plafonnées à 30% du montant éligible de l’investissement. Mais si la région veut donner des primes en plus, libre à elle, précise Mohcine Jazouli. Dans le cas d’un secteur stratégique, l’investisseur peut négocier avec l’Etat une convention où les avantages et/ou la prime peuvent également dépasser les 30% du montant éligible.

Comment atteindre les 550 milliards de DH et les 500.000 emplois à l’horizon 2026 ? Quels seront les objectifs par région et par année ?

“Tout est chiffré, par secteur, par région et par année“, répond Jazouli qui ne nous en dit pas plus sur ses tableaux de bord.

-Combien vont coûter les primes au budget de l’Etat ?

-J’espère que ça coûtera beaucoup. Plus elles coûteront et plus nous aurons d'investissements et d'emplois.

-Vous avez bien un chiffre en tête…

-Nous avons fait un pari, c’est que ça rapporte plus que ça ne coûte. Ça va rapporter en emplois, en création de valeur, et en taxes, TVA, IS, IR.

“L’objectif numéro 1, c’est de créer des emplois. Les analyses rétrospectives ont montré que la croissance ne crée pas suffisamment d’emplois. Pour le même point de croissance ou le même taux d’investissement, certains pays créent jusqu’à 4 fois plus d’emplois et de valeur“.

Il semble toutefois optimiste quant à l’atteinte des objectifs et estime que le trend de 2022 est bon.

Climat des affaires: nous allons simplifier, digitaliser, décentraliser, déconcentrer

L’idée clé de la charte, c’est de rendre l’investissement moins cher en versant la prime qui en couvre une partie. “Oui mais pas seulement“, rétorque Jazouli.

“On le rend certes moins cher et le retour sur investissement plus intéressant, plus accessible, plus facile. Mais il n’y a pas que la prime dans cette charte. Il y a aussi le climat des affaires qu’on est en train d’améliorer. Il y a la gouvernance de l’investissement, le fait de décentraliser, de permettre aux régions de prendre le relais. La croissance ne pourra provenir que du relais qui sera pris par les régions, c’est ce qui permettra de réaliser les croissances à la hauteur de nos ambitions. En matière de climat des affaires, on va simplifier, décentraliser, déconcentrer, digitaliser“.

Le premier décret déjà publié concerne le dispositif principal de soutien à l’investissement ainsi que les secteurs stratégiques. Sont éligibles tous les investissements réalisés au Maroc, quelle que soit la nationalité des investisseurs.

Deux autres catégories feront l’objet de textes spécifiques : les investissements marocains à l’étranger ainsi que les investissements des TPME. Les délais de publication de leurs décrets sont respectivement et au plus tard, le 9 juin et le 9 décembre 2023.

“Pour la première fois, nous allons accompagner les entreprises marocaines qui investissent à l’international, sous certaines conditions bien sûr“, explique notre interlocuteur.

Que signifie accompagner ? “Leur faciliter la tâche, leur trouver sans doute des mécanismes financiers d’accompagnement, de manière à pouvoir renforcer leur présence au Maroc, par une présence à l’international“. Leur présence au Maroc reste l’élément central, ce que Jazouli résume par cette formule : “il faut parfois sortir à l’international pour être plus fort chez soi“. Les investissements marocains à l’étranger seront donc soutenus à condition qu’ils ne détruisent pas de l’emploi au Maroc, ni tout ou partie d’un secteur. Il ne s’agit pas d’aller à l’étranger produire moins cher et concurrencer ce qui est produit au Maroc.

Cet accompagnement sera aussi financier : “ce sera là aussi un système de primes assis sur un montant d’investissement éligible“, confirme Jazouli.

Encourager les investissements des TPME sera le dernier volet de cette mise en œuvre progressive de la Charte de l’investissement. Mais concevoir le système destiné aux TPME ne sera pas facile.

Les TPME emploient entre 85% et 86% des salariés du privé mais ne représentent que 4% du montant des investissements privés, rappelle Jazouli.

“Il faut trouver les moyens pratiques pour renforcer cet investissement, pour massifier, et non pas traiter au cas par cas“ explique Jazouli. Est-ce qu’il y aura, pour les TPME également, des primes, un soutien financier ? “Probablement“, répond-il, “ce seront des logiques similaires, sensibles à l’emploi, au territoire, au secteur…“.

Plus largement, Jazouli nous annonce un travail en cours d’élaboration pour renforcer ce tissu de TPME ; des équipes des ministères de l’emploi, de l’industrie, du numérique, réfléchissent à un small business act, ou un startup act, qui va contribuer à l’acte d’entreprendre de cette frange. La charte traite l’aspect investissement. Et ce travail traitera l’acte d’entreprendre. Les deux textes se complèteront donc.

Le rôle des banques 

Dans son discours du 14 octobre 2021 devant le parlement, consacré en grande partie à la charte de l’investissement, le Roi Mohammed VI avait insisté sur le rôle du secteur bancaire dans la promotion de l’investissement privé.

Le 9 février 2023, Mohcine Jazouli a réuni les représentants du secteur privé et ceux des banques, CGEM et GPBM.

Mohcine Jazouli nous en parle ainsi : “Les banques ont entendu l’appel de Sa Majesté pour que les secteurs privé et bancaire soient directement impliqués. Tout le monde est conscient qu’il y a ce momentum ; en jouant tous le jeu, c’est du gagnant-gagnant“. Il donne un exemple qui concerne le financement des entreprises et leurs besoins en fonds de roulement.

Le paradoxe du trou noir financier

“Il y a un paradoxe au Maroc dans le fonctionnement des entreprises et leurs bilans. Moi j’appelle ça le trou noir financier. Les délais de paiement étant ce qu’ils sont, les besoins en fonds de roulement sont trop importants. Or, le capital ne peut pas être infini, car plus vous l’augmentez, et plus vous baissez le rendement des capitaux propres. On est donc obligés de faire appel à de la dette. Mais les banques ne peuvent pas aller à l’infini sur le crédit, parce qu’elles-mêmes sont soumises aux ratios de Bank Al Maghrib laquelle respecte à son tour des règles internationales.

“Donc c’est ce fameux paradoxe avec d’un côté des BFR importants et de l’autre des ratios prudentiels qui limitent les crédits. C’est un trou noir qu’il y a entre le BFR et le maximum de dette que l’on peut obtenir.

“C’est là qu’on doit réfléchir à des mécanismes pour régler cette problématique. La solution, c’est que les banques assouplissent, toujours dans le cadre réglementaire, et que les entreprises jouent le jeu aussi. J’ai l’impression qu’il y a une réconciliation entre les banques et les représentants des entreprises. On se fait confiance, on crée un cercle vertueux.

“Si les banques accompagnent davantage, les délais de paiement deviendront plus courts, les besoins en BFR vont baisser, c’est dans ce cercle vertueux que l’on doit aller. Ça se traduit par un mot, la confiance. La confiance est revenue entre secteur privé et secteur bancaire“.

Le pacte national de l’investissement, cité par le Roi Mohammed VI dans son discours, pourra donc être signé dans un délai raisonnable, avec tous les acteurs de l’acte d’investir, l’Etat, le secteur privé et les banques, matérialisant les engagements de chaque partie.

“On est en train de mettre en place des outils autour du financement de l’investissement et même du préfinancement de certaines franges de cet investissement“, ajoute Mohcen Jazouli qui révèle que les primes elles-mêmes pourront être préfinancées par le secteur bancaire.

Les primes sont en effet décaissées par l'Etat au fur et à mesure de la réalisation matérielle de l’investissement. Les investisseurs pourront recourir au secteur bancaire pour les financer.

La charte de l’investissement est donc en train de prendre son grand départ. “La prochaine commission nationale de l’investissement est en préparation, des MoU sont signés, des dossiers sont dans le pipe, on va attribuer les premières primes dans le cadre de la charte à l’occasion de cette commission“, nous révèle-t-il.

Comment et où présenter son dossier d’investissement ? Au CRI dont on relève, tout simplement. Mohcine Jazouli nous apprend également que l’arrêté du Chef du gouvernement relatif à la catégorisation des provinces et permettant de calculer le taux de la prime territoriale, est prêt et sera publié incessamment au B.O.

Charte de l'investissement : ce que dit le projet de loi-cadre

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