Le warning français de la filière textile marocaine

La liquidation judiciaire de la marque française de prêt-à-porter Camaïeu laisse sur le carreau plusieurs de ses fournisseurs dans le secteur du textile au Maroc. Elle met aussi en lumière les changements dans la filière textile que connaît le Maroc et les ajustements à mettre en place pour son développement.

Le warning français de la filière textile marocaine

Le 18 décembre 2022 à 18h04

Modifié 18 décembre 2022 à 18h04

La liquidation judiciaire de la marque française de prêt-à-porter Camaïeu laisse sur le carreau plusieurs de ses fournisseurs dans le secteur du textile au Maroc. Elle met aussi en lumière les changements dans la filière textile que connaît le Maroc et les ajustements à mettre en place pour son développement.

Tout a commencé par la mise en liquidation judiciaire du leader du prêt-à-porter français Camaïeu en septembre dernier. L’entreprise, cumulant les difficultés pendant plusieurs années et récemment reprise par un fonds d’investissement bordelais, n’a pas pu remonter la pente. Résultat : le tribunal ordonne sa liquidation.

Une nouvelle qui sonne le glas de l’entreprise, de ses salariés et de ses fournisseurs, y compris internationaux. Selon Mohamed Boubouh, patron de Vita Couture, l’une des entreprises tangéroises concernées : "Il s’agit de quatre entreprises au moins que je connais personnellement. Il doit certainement en avoir d’autres. Plusieurs centaines d’emplois au Maroc sont menacés par cette liquidation."

L’ex-président de l’Association marocaine des industries textiles (AMITH) indique que son entreprise "a deux millions d’euros de perte dans cette affaire, entre les intrants que nous avons achetés, les stocks qui nous restent sur les bras en plus des collections que nous avons envoyées et qui n’ont pas été payées".

Il estime que la "douloureuse" sera de près de 8 millions d’euros pour les quatre entreprises citées. Avec une ardoise de 300 millions d’euros accumulés par le désormais ex-leader français du prêt-à-porter féminin, les opérateurs marocains craignent de rester sur la touche. Et même si Boubouh affirme qu’un avocat a été mandaté pour suivre l’affaire, les règles de la liquidation en France ne sont pas réjouissantes pour les sous-traitants marocains. "Dans l’ordre, la loi française prévoit que ce sont les salariés qui sont priorisés lors des liquidations, puis l’Etat et les banques. Nous sommes loin derrière et on risque de ne pas voir la couleur de notre argent", affirme le patron de Vita Couture.

La France représente près de 15% du marché

Ce n’est pas la première fois que les entreprises marocaines tombent dans cette situation. En effet, selon Boubouh, "on est dans la même situation qu'en 2020 avec la marque française Naf-Naf. Et nous n’avons toujours pas été payés".

Le schéma n’est donc pas nouveau, et le risque inhérent à l’exposition sur le secteur textile marocain vis-à-vis de ses clients français ou internationaux bien réel. Le Maroc destine 15% de ses exportations textiles à des marques hexagonales, dont beaucoup sont aujourd’hui en difficultés. Ainsi, selon la presse économique hexagonale, outre Camaïeu, la marque Pimkie a mis cette année en vente tous ses magasins pour faire face à ses difficultés financières et au changement de modèle de distribution dans le textile mondial. D’autres enseignes sont aussi menacées selon les mêmes sources, comme San Marina, mise en redressement judiciaire, André, La Halle, Célio...

"Sur le marché français, les opérateurs marocains sont surtout dans la vente de produits finis, contrairement aux autres marques, notamment espagnoles, pour lesquels on est plutôt dans de la façon, c’est-à-dire la vente de minutes", affirme Boubouh. Au Maroc, plus de 60% des exportateurs sont encore dans l’approche traditionnelle de sous-traitance de la minute. Le secteur marocain du textile est par ailleurs extrêmement concentré sur des opérateurs comme Inditex, lui donnant une force de négociation importante, notamment sur les marges.

"Les opérateurs qui favorisent la façon, calculent les coûts de production de leurs sous-traitants et proposent une marge de près de 5%. C’est à prendre ou à laisser : si vous ne suivez pas, ils peuvent s’orienter vers des sous-traitants au Bangladesh ou en Ethiopie."

Cette contrainte, et d’autres en lien avec le pouvoir de négociation des marques (blocage des paiements en cas de malfaçon, par exemple) ont poussé de plus en plus d’opérateurs nationaux à s’orienter vers le produit fini plutôt que vers la façon, notamment pour le marché français et nord-américain.

Les produits finis, une tendance qui se confirme

Les donneurs d’ordre internationaux favorisent d’ailleurs cette tendance, notamment pour simplifier leur processus de sourcing. Selon les opérateurs, toutes les grandes centrales d’achat fonctionnent aujourd’hui avec un système où près de 70% de la demande va au produit fini et seuls 30% va vers la façon. Il s’agit ainsi pour le Maroc d’inverser les proportions de sa production de la façon, aujourd’hui majoritaire à la collection.

"La production de collection est une tendance qui est là depuis une vingtaine d’années. C’est le seul moyen de survivre dans le secteur au Maroc", affirme Abdelmoula Ratibe, patron de Ratibe Invest Group, l’un des principaux acteurs nationaux du secteur textile, dont 100% de la production sont des collections finies. Pour lui, "les opérateurs qui travaillent à la minute donnent l’essentiel de leur marge aux marques, tandis que lorsque l’on vend des collections finies, les sources de marges sont nombreuses. On peut en trouver dans la matière, la logistique, la productivité, etc."

En contrepartie, cette approche du business fait prendre une partie du risque au sous-traitant, qui achète la matière première et la transforme au lieu de recevoir les intrants de la part des donneurs d’ordre.

"Ça nécessite une plus grande implication des entreprises localement, une maîtrise du produit de bout en bout, notamment en termes de qualité pour limiter le taux de rejet", affirme Ratibe. Mais quid de la prise de risque ? Pour Abdelmoula Ratibe, celle-ci est inhérente à toute opération industrielle. Il y a pour cela des mécanismes comme les assurances qui permettent des couvertures de ce genre de risque. "Cependant, une des principales contraintes au Maroc, ce sont les taux d’intérêt bancaires. On paie du 6 à 8% de taux d’intérêt alors que nos concurrents profitent de taux bonifiés de 1 à 2%", affirme-t-il.

Pour Boubouh, cette tendance du marché vers la sortie de la façon est inévitable et devrait être accompagnée par un dispositif spécial du gouvernement, notamment la création d’une Exim Bank, comme c’est le cas chez des concurrents du Maroc tels la Turquie, afin d’éviter des situations où les sous-traitants sont pleinement exposés. "Avec une banque dédiée aux exportateurs, nous pourrons aller encore plus loin dans la transformation du secteur tout en partageant le risque avec la banque, c’est du win win. C’est une revendication ancienne qui n’a toujours pas été suivie", estime l’ancien président de l’AMITH.

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