Entretien. Dr Brahim Karad : “La profession de la médecine dentaire doit avoir sa propre loi”

La Fédération nationale des syndicats des médecins dentistes du Maroc organise, ce samedi 15 octobre, une journée d'étude pour débattre des principales problématiques auxquelles fait face la profession. Dans un entretien accordé à Médias 24, en marge de cette journée, le Dr Brahim Karad, président de ladite Fédération, fait le point sur le secteur.

Entretien. Dr Brahim Karad : “La profession de la médecine dentaire doit avoir sa propre loi”

Le 14 octobre 2022 à 11h56

Modifié 14 octobre 2022 à 13h51

La Fédération nationale des syndicats des médecins dentistes du Maroc organise, ce samedi 15 octobre, une journée d'étude pour débattre des principales problématiques auxquelles fait face la profession. Dans un entretien accordé à Médias 24, en marge de cette journée, le Dr Brahim Karad, président de ladite Fédération, fait le point sur le secteur.

  • De nombreuses choses ont changé depuis 1960, notamment le nombre de médecins dentistes, et leur répartition.
  • Le fléau de l’exercice illégal continue d'accroitre.
  • Deux projets de loi proposés il y a quelques années peinent à aboutir.
  • La profession a beaucoup évolué et devient de plus en plus dépendante de la technologie.

Médias 24 : Quelles sont les principales problématiques auxquelles fait face la profession ?

Dr Brahim Karad : Tout d’abord, en ce qui concerne les cotisations à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), dans le cadre de la généralisation de la couverture sanitaire, plus de 1.500 jeunes médecins dentistes sont incapables de les payer par manque de moyens. Ceux-ci sont régulièrement harcelés par la Caisse, tandis que de nombreux anciens médecins dentistes, qui ne paient pas non plus ces cotisations, ne le sont pas. On ne comprend donc pas cette sélection.

Autre point important, toujours en relation avec ces cotisations, certains médecins ont été débités, alors qu’ils n’ont donné aucun ordre de prélèvement. Nous considérons que c’est un abus.

Par ailleurs, tous les syndicats dans le secteur de la santé ont été reçus par le ministère de la Santé pour discuter de la loi-cadre réformant le système de la santé, sauf le nôtre. On y parle d'ailleurs de généralisation de la couverture maladie notamment, alors que dans certaines zones du Royaume, il n’y a aucun médecin dentiste. On parle aussi de l’accès des ex-Ramedistes à l’Assurance maladie obligatoire (AMO) au même titre que les indépendants, sans détailler les modalités de cette mesure. Ces personnes ont-elles les moyens de payer 30% de leur poche en attendant le remboursement ? Selon le gouvernement, cette mesure entrera en vigueur vers la fin de l’année, mais lorsqu’on demande des détails à ce sujet, nous n’en avons jamais.

Enfin, il est devenu primordial pour la profession d’avoir une loi qui la régisse, outre le Dahir qui date de 1960, portant réglementation de l’exercice des professions de pharmacien, chirurgien-dentiste, herboriste et sage-femme. Depuis, beaucoup de choses ont changé, notamment le nombre de médecins dentistes, et leur répartition. Le fléau de l’exercice illégal ne fait que croître. Avant, on avait affaire à des charlatans sans formation ni connaissance en médecine dentaire. A présent, il y a des écoles qui forment des denturologues et des prothésistes dentaires, qui se transforment par la suite en cabinets dentaires sans aucune autorisation des autorités compétentes.

Ce dahir inclut plusieurs catégories, qui ont fini par avoir leurs propres lois, telles que la loi 131-13 relative à l’exercice de la médecine ou encore celle des pharmaciens. On doit donc avoir une loi propre à la médecine dentaire.

Il y a également la loi 07-05 relative à l’Ordre national des médecins dentistes, datant de 2007, qui doit être amendée.

- Quels sont les principaux axes qui doivent figurer dans la nouvelle loi portant réglementation de la profession de la médecine dentaire ?

- Le point le plus important que cette nouvelle loi doit contenir, c’est “la qualité de police judiciaire”, dont nous manquons au niveau des tribunaux dans les affaires d’exercice illégal. Les procureurs nous demandent à chaque dossier si l’on dispose de cette qualité. La nouvelle loi doit donc apporter une solution dans ce sens.

D’autres axes doivent être consacrés à la formation professionnelle et à la formation continue des médecins dentistes. Cette loi doit également évoquer la carte sanitaire pour que l’on puisse couvrir tout le Royaume.

Elle doit par ailleurs définir les actes propres à la médecine dentaire pour que personne d’autre ne puisse les pratiquer.

Le type d’exercice est un autre point important sur lequel cette nouvelle loi doit se pencher. Différentes appellations sont pratiquées au Royaume, notamment “clinique dentaire”, “centre dentaire”, “cabinet dentaire” et autres, alors que la seule nomination qui existe dans la loi est “cabinet dentaire”.

En outre, nous assistons dernièrement à l’apparition de toutes sortes de collaboration entre les médecins dentistes. Il y a des médecins débutants, qui ne disposent pas des moyens financiers pour ouvrir leur propre cabinet, qui deviennent salariés chez d’autres médecins. L’ordre reçoit de plus en plus de plaintes de dentistes qui ne sont pas payés. Ces derniers ne sont pas non plus assurés à la CNSS. La loi doit structurer le secteur pour que toutes les catégories dans le secteur libéral s’y retrouvent, que ce soit des propriétaires de cabinets dentaires, des salariés ou autres.

Il faut noter qu'il y a deux projets de loi concernant l’exercice de la médecine dentaire qui n’ont jamais abouti. Le premier a été présenté par la majorité, du temps du PJD. Il est toujours dans les couloirs du Parlement. Le second, qui date de 2017, a été déposé par l’Ordre des médecins dentistes. Il est quant à lui encore dans les couloirs du secrétariat général du gouvernement. Ce sont des chantiers que personne n’ouvre. Le ministre de la Santé a essayé de le faire en mars dernier, mais après plus de six mois, rien n’a encore bougé.

- Quels sont les principaux changements qui doivent être apportés à la loi relative à l’Ordre national des médecins dentistes ?

- Tout d’abord, la relation entre l’Ordre, le conseil national et les conseils régionaux des médecins dentistes doit être revue. Rappelons-le, l’Ordre englobe le conseil national et les conseils régionaux.

La loi 07-05 en vigueur stipule qu’à partir de 400 médecins dentistes dans une région, celle-ci peut avoir son propre conseil régional, sauf que ce point n’est pas appliqué parce qu’il est flou.

En ce qui concerne la formation continue, cette même loi stipule que les conseils régionaux doivent en proposer, le Conseil national les accorde, et c’est aux conseils régionaux de les organiser. En réalité, rien de tout cela n’est appliqué. De nombreuses formations continues se font à l’extérieur de ces structures. Cette loi doit donc être amendée de manière à réguler le point de la formation continue, le but étant d’enlever les ambiguïtés dans la relation entre les conseils régionaux et le conseil national. Il faut définir les prérogatives de chaque partie.

Par ailleurs, les autorisations d’installation dans le secteur libéral étaient auparavant accordées au niveau de l’administration du gouvernement. Elles sont passées à l’Ordre, alors que ce dernier n’a ni les moyens humains ni financiers de s’en occuper. Le tout dernier problème en date dans ce sens est celui des lauréats d’Ukraine. L’ordre doit se pencher sur la validité de leurs diplômes mais il n’en a pas les moyens.

- La Fédération nationale des syndicats des médecins dentistes du secteur libéral du Maroc reproche aux responsables gouvernementaux d’avoir repris les mêmes clauses de l'ancienne convention qui date de 2006 et qui liait les organismes gestionnaires de l'AMO aux prestataires de soins bucco-dentaires. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette contestation ?

- La dernière convention nationale dans le secteur de la santé remonte à 2006, alors qu’elle devait être révisée chaque trois ans, pour prendre en compte l’évolution. Le principal élément pointé est la tarification nationale de référence (TNR). Nous ne pouvons plus travailler avec l’ancienne tarification, d’autant que la médecine dentaire a beaucoup évolué et devient de plus en plus dépendante de la technologie. Les prix de revient ont donc beaucoup augmenté.

A titre d’exemple, l’anesthésie a connu une augmentation pharaonique sur les cinq à six dernières années. Elle est passée de 180 DH à plus de 500 DH, ce qui a entraîné l’apparition d’un marché noir très important. Une boîte d’anesthésie achetée en pharmacie coûte 500 DH contre 200 DH sur le marché noir. C’est très dangereux, pour les patients d’abord.

D’autre part, on ne cesse de demander à l’Etat de lever la TVA sur certains produits d’utilisation unique tels que les gants, les seringues jetables, les produits de désinfection… L’exonération de ces produits de la TVA pourrait aider les jeunes à surmonter certains problèmes financiers.

Il y a également un problème de nomenclature. De nombreux actes médicaux dentaires ne sont pas inscrits à la nomenclature de la profession de la médecine dentaire. On demande sa révision depuis longtemps mais rien n’a été fait. Par exemple, les maladies parodontales ne sont pas prises en charge car elles ne sont pas remboursées. Le seul acte remboursé est le détartrage, alors qu’il y a beaucoup de moyens thérapeutiques qui permettent la stabilisation des maladies parodontales, et qui retardent leur apparition de 10 à 15 ans. Les Marocains pourront, à l'aide de ces pratiques, passer aux prothèses dentaires au-delà de 60 ans, alors que généralement ces maladies apparaissent à partir de 45 ans. Cela permettra aux patients une meilleure vie d'un côté, et aux caisses d’économiser beaucoup d’argent d'un autre.

Le contrôle des actes réalisés au niveau de la CNOPS et de la CNSS doit pour sa part être revu. Nous remarquons des abus incompréhensibles sur ce volet. Ces caisses demandent aux patients de faire des radios panoramiques pour montrer qu’ils ont réalisé un dentier complet, alors que ce dernier est visible à l’œil nu, au lieu de procéder à des contrôles visuels chez les médecins contrôleurs.

Enfin, la nouvelle convention doit impérativement inclure la problématique des zones dépourvues de médecins dentistes, ainsi que les problèmes de financement d’accès à la profession.

Nous sommes dans une nouvelle ère, notamment avec le projet de généralisation de la couverture médicale. Une nouvelle loi-cadre sera bientôt adoptée. On ne comprend pas comment une ancienne réglementation peut rester en vigueur à côté de ces changements majeurs.

- Où en est le dossier des cotisations au régime de l’AMO ?

- Les syndicats du secteur libéral ont eu une dernière rencontre avec le ministre de la Santé le 17 mars 2022, durant laquelle nous nous sommes mis d’accord sur trois choses : la révision de la TNR, la révision de la nomenclature pour refaire la convention nationale et le travail sur des incitations pour les médecins, toutes spécialités confondues. Trois commissions ont été créées pour gérer ces dossiers.

Malheureusement, à partir de la première réunion, les choses ont basculé vers l’élaboration d’une convention-cadre pour gagner du temps, sauf que celle-ci est la même que celle de 2006. Nous avons donc perdu du temps, de juin à fin octobre, pour ne faire que réviser une loi sans réaliser aucun amendement.

Pire encore, on ne parle plus de ces commissions. Le ministre de la Santé a même déclaré qu’il avait réglé le problème de la tarification avec les médecins, ce qui est absurde. En tous les cas, avec les médecins dentistes rien n’a été fait, et aucune rencontre dans ce sens n’a été tenue.

Le point relatif aux allocations familiales et à l’indemnité sur la perte d’emploi, qui entrent en vigueur en 2023, vont aggraver les choses. Les tarifs n’ont pas encore été déterminés, mais si l’on suit ce qui se fait chez les salariés, les cotisations atteindront probablement 8%. Actuellement, nous payons environ 780 DH par mois de cotisations pour l’AMO. Cette somme va passer à 1.780 DH à partir de 2023 et à 3.000 DH voire 3.500 DH vers 2025 lorsque les cotisations pour la retraite démarreront.

Un jeune médecin dentiste, qui démarre à peine son projet, sera incapable de payer une telle somme. Lors des pourparlers avec le ministère, la Fédération a proposé d'exonérer ces jeunes durant les cinq premières années d’exercice avant d’adhérer à ce système, mais pour l’instant, rien n’est fixé.

Il y a également la problématique des femmes dentistes. Les périodes de grossesse et d’allaitement doivent ainsi être prises en considération dans le cadre de ces cotisations.

Enfin, il y a la problématique des personnes qui cotisent pendant 10 ou 15 ans et qui doivent continuer à cotiser lorsqu’elles ont un problème de santé, même si elles se trouvent contraintes de fermer leurs cabinets. Celles-ci ne peuvent, en plus, bénéficier de la couverture maladie que durant six mois.

- Où en est la loi sur l’exercice illégal de la médecine dentaire ?

- Le projet de loi 25-14 relatif à l'exercice des professions de préparateur et de manipulateur des produits de santé, qui régit le domaine de la prothèse dentaire, est toujours bloqué au niveau de la deuxième chambre du Parlement.

Lors de notre dernière rencontre avec le ministre de la Santé en mars, ce dernier nous a clairement indiqué que c’était un dossier que nous, en tant que Fédération, devions régler.

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