Lesieur Cristal : Brahim Laroui nous livre sa vision sur l’inflation et les perspectives

Brian Brequeville | Le 24/11/2021 à 17:00
Dans sa première sortie médiatique depuis sa nomination à la tête du groupe en juin dernier, Brahim Laroui nous livre sa vision de l'évolution du groupe et du marché. Pour lui, les prix élevés des oléagineux sont là pour durer et le groupe devra s’y adapter. Il explique au Boursier l’impact de ce cycle inflationniste, les relais de croissance du groupe en 2022 et la nécessité pour le pays de développer des cultures oléagineuses pour limiter la dépendance agroalimentaire nationale. Entretien.

Depuis le début de l’année, Lesieur Cristal affiche des indicateurs globalement satisfaisants. Dans ses derniers résultats semestriels à fin juin 2021, le groupe affiche une amélioration de son chiffre d’affaires de l’ordre de 15% à 2.366 millions de dirhams. En bourse, le groupe affiche une progression de 15,43%% en YTD, en ligne avec le MASI.

Source : medias24.com

Mais le groupe fait également face à de grandes complications dans son industrie, principalement en lien avec sa forte exposition aux cours internationaux des matières premières. Soja, tournesol, colza… Tous ces oléagineux ont subi une forte hausse des prix, de plus de 50% pour certains, sous l’impulsion de la reprise de la demande à l’échelle mondiale.

Cela a naturellement impacté la rentabilité du groupe, qui a vu fondre de 30% son résultat net sur les six premiers mois de l’année 2021. D'autres coûts ont également participé à renforcer la pression.

Dans sa première sortie médiatique depuis sa nomination fin juin 2021 à la tête du groupe, Brahim Laroui, directeur général de Lesieur-Cristal nous a livré dans cette interview, sa lecture sur l’évolution des performances du groupe et les répercussions de la conjoncture mondiale. Selon lui, la lutte contre les pressions inflationnistes des matières premières est le sujet primordial du moment et il est voué à perdurer.

Mode de consommation végane, démocratisation des biocarburants, probable diminution des surfaces des terres emblavées en céréales, les pressions haussières sur la demande ne semblent pas prêtes de s’estomper. Entretien.

LeBoursier: vous êtes à la tête de Lesieur depuis 5 mois, maintenant. Quels seront les grands chantiers sur lesquels vous allez vous concentrer ?

Brahim Laroui : Ma nomination à Lesieur Cristal ne marque pas une rupture avec les stratégies du passé, mais s’inscrit plutôt dans le cadre de continuité. Naturellement, l’arrivée d’un nouveau manager coïncide avec un regard nouveau. Il y a des challenges continus et d’autres spécifiques en cette période. Notamment celui de définir une stratégie par rapport au contexte inflationniste actuel.

Nos autres défis sont liés à l’évolution de l’entreprise, notamment sur les activités africaines du groupe Avril (hors Algérie) qui nous amènent à passer d’une organisation Maroc-centrique à une organisation plus large avec de nouveaux marchés sur lesquels de nouvelles compétences sont demandées. Il s’agit également d’impulser une transformation de la société tant sur le plan culturel qu’organisationnel. Le monde post Covid ne sera plus comme avant. Nos façons d’interagir ont changé. Nous devons avoir des engagements précis en termes de durabilité et d’environnement, Lesieur Cristal va devoir s’approprier cette mission et la développer tant au Maroc qu’au niveau du continent africain.

- Comment s’est comportée l’activité de Lesieur en 2021, marquée par le redémarrage économique, par rapport à une année 2020 hors du commun ?

 -Nous observons deux changements au niveau des comportements. Rappelons que l’an dernier, au début de la pandémie, il y a eu un facteur 'méconnaissance' face au Covid-19. Il était compréhensible que les niveaux de stocks des citoyens augmentent car il y avait une menace méconnue. Cette année, nous continuons à être touchés par les restrictions imposées par le Covid, mais les gens ont appris à vivre avec. Les citoyens ont adopté des modes de consommation plus normatifs.

En 2021, entre le contexte inflationniste et celui du Covid, nous constatons un transfert de la consommation vers des huiles plus abordables. L’huile de table étant un produit quasi indispensable, n’a pas connu une baisse dramatique de consommation ; mais tout de même un ajustement à la baisse de cette consommation.

La diminution des arrivées des MRE, le couvre-feu du Ramadan, la hausse du chômage ou encore l’inflation ont variablement impacté le pouvoir d’achat et le comportement de consommation des ménages. On assiste en 2021 à une réduction de la consommation d’huile par habitant, mais je pense qu’il s’agit d’un ajustement conjoncturel dicté par des réalités économiques.

- Vous prenez les rênes de l'entreprise à un moment où vos matières premières sont touchées de plein fouet par une hausse des prix, que vous impactez progressivement sur les prix de vente. Comment gérez -vous cette situation et le mécontentement des consommateurs ?

-Le soja est coté à la bourse de Chicago et son prix est public. Nous avons observé que sur les 12 derniers mois, le soja a augmenté de plus de 50%, passant de 850 dollars la tonne à plus de 1.400 dollars la tonne aujourd’hui. Ce n’est pas la seule graine oléagineuse à avoir subi une telle hausse. C’est le cas aussi pour le tournesol et le colza.

Tout a augmenté significativement au cours de l’année écoulée. Le marché est libre et exposé à des aléas internationaux et le fait est que l’État, comme le consommateur ou encore nous, ne pouvons faire quoi que ce soit.

Le mécontentement populaire est légitime, mais notre stratégie tenait déjà compte du fait qu’il y avait des limites à la répercussion. Nous n’avons pas répercuté de manière proportionnelle l’augmentation des matières premières. Les prix de vente ont augmenté de moins de 30% environ alors que la matière première a progressé de plus de 50%. Nous sommes donc allés chercher des économies ailleurs.

Lesieur Cristal a entamé un vaste programme de productivité qui a remis en cause notre façon d’opérer, tant sur la composition des intrants que sur le système logistique dans le but de faire des économies. Cela a fonctionné et a amorti une partie importante de la hausse des coûts. Nous avons également opté pour une répercussion progressive sur le prix de vente. Nous avons d’ailleurs décidé de ne pas impacter les prix avant et pendant le mois de Ramadan. Nous nous apprêtons à effectuer un autre travail de remise en cause opérationnelle pour essayer de chercher d’autres économies.

Néanmoins, la situation est aujourd’hui aggravée car il n’y a pas que la matière première qui est impactée par la hausse des prix. Il y a également le carton, le plastique, le fret… C’est un contexte hyper inflationniste et nous réfléchissons à modifier peut-être la nature de notre offre pour tenir compte de cela. La matière première sera probablement à un cours élevé pendant encore longtemps. Cela reste mon avis. En revanche, sur les autres aspects, il y a un facteur conjoncturel et j’espère que les choses vont se tasser dans les 12 prochains mois.

Cela dit, il y a des palliatifs à cette situation.  Nous militons pour le renforcement de la filière oléagineuse marocaine.

- Est-ce que cette production oléagineuse marocaine destinée à limiter la dépendance du Maroc aux importations fonctionne ?

-Il y a un potentiel agricole porteur pour la production des oléagineux au Maroc et nous disposons également de capacité à triturer. Mais c’est insuffisant car il faut que pour un exploitant agricole, l’activité de production d’oléagineux soit plus rentable que d’autres activités et c’est là ou le bat blesse.

Il faut redoubler d’effort pour renforcer la culture et la production d’oléagineux au Maroc. Cela permettrait de faire des stocks de sécurité suffisants et limiter la dépendance agroalimentaire du Maroc. Aujourd’hui, nous utilisons, selon les années, entre 1% et 5% d’oléagineux produits au Maroc. On peut faire beaucoup mieux.

- En attendant que cette stratégie fonctionne, comment vous protégez-vous face à l’inflation auprès de vos fournisseurs, des négociations ont-elles lieux ? 

-Nous essayons de négocier, comme tout le monde, nous essayons de passer des contrats et de prendre des positions avantageuses. Mais avec un contexte inflationniste, notre marge de manœuvre est réduite. L’action salutaire à mener devrait se faire sur la hausse des capacités de stockage pour avoir les bonnes quantités au bon moment et avoir accès à des mécanismes financiers pour nous couvrir contre les risques et aléas. Ceci est à l’étude avec les autorités concernées.

- Qu’est-ce qui vous fait croire que la hausse des prix perdurera sur les matières premières ?

-Ce qui me fait dire cela est que premièrement la population mondiale ne va pas baisser. La question des biocarburants en Europe et aux États-Unis impactera le secteur et la demande. C’est un facteur structurel qui se confirme et qui est là pour durer. Les gouvernements ont décidé d’introduire des obligations réglementaires et d’introduire des biocarburants dans le carburant utilisé par les privés. Celui-ci est produit à partir des mêmes graines utilisées dans la confection des huiles de table. Cela donne donc un second débouché à des exploitants internationaux pour vendre à des triturateurs qui feront de l’huile ou du biocarburant.

Dans un contexte de hausse de cours du pétrole, cela devient intéressant. Il y a aussi le fait que les surfaces mondiales destinées à l’exploitation des oléagineux ne vont pas augmenter et vont probablement subir du stress à cause de la déforestation. A part si le Maroc se lance sur une large culture d’oléagineux sur les surfaces disponibles et non couvertes de forêts, je vois mal le contexte international évoluer dans un sens baissier.

Les modes de consommation végane prennent également de l’ampleur et tous ces facteurs font qu’il y a de plus en plus de pression sur la demande. Il faut s’y habituer et partant de ces constats, il est dans notre intérêt de développer une culture en amont. 

- Cette année, la rentabilité du groupe a naturellement été impactée par ces hausses des cours des matières premières. Cette tendance se poursuivra-t-elle en 2022 ?

-2021 ne sera pas une super année sur le plan financier. Nous le savons et nous l’acceptons. Le groupe et ses actionnaires sont résilients sur ce point. Il faut rappeler que la structure financière de l’entreprise est bonne, les fondations sont saines, il n’y a pas d’endettement, donc le groupe détient les atouts pour faire face. La stratégie avisée d’expansion internationale porte ses fruits et nos résultats en Tunisie et au Sénégal sont sur une bonne tendance. Nous avons confiance en nos choix stratégiques.

En 2022, je ne pense pas que les cours des matières premières vont baisser mais je ne pense pas non plus qu’ils vont continuer d’augmenter de la sorte. Je table plus sur une stabilisation des cours et donc une stabilisation des prix. Cela serait de nature à redonner de la confiance dans l’évolution de la consommation et dans notre capacité à répercuter l’impact des matières premières. L’introspection opérationnelle continuera, je l’espère, de porter ses fruits. Je pense que l’année 2022 sera une année où l’on reviendra à des niveaux de rentabilité normaux pour Lesieur Cristal.

- Lesieur a pris le contrôle des activités du groupe Avril en Afrique, ce qui a impacté à la hausse le chiffre d’affaires au premier semestre. Mis à part cela, quels seront les leviers de croissance sur le reste de l’année et pour l’année prochaine ? 

-Si l’on œuvrait sur une catégorie avec un niveau de matière première stable sur une longue période avec un environnement économique stable également, le niveau de consommation de cette catégorie ne saurait excéder celui de la population. Donc nous parlons de +0,7% à +0,9% par an. Lesieur Cristal a compris cela depuis longtemps et a œuvré dans le développement et l’innovation avec le lancement de nouveaux produits.

Historiquement, Lesieur Cristal fait aussi du savon qui est un dérivé de l’huile car composé de corps gras. C’est notre second métier. Depuis 2017, nous avons développé un troisième métier qui est celui de la margarine. Nous travaillons également sur l’huile d’olive qui est une activité prometteuse et de long terme. Le positionnement, le prix et la stratégie sur ce produit font que cette activité est beaucoup plus vouée à l’export.

Ces quatre relais de croissance sont complétés par nos activités africaines. Les perspectives pour 2021 ne sont pas extraordinaires, pour l’an prochain et au-delà, nous continuerons d’utiliser nos leviers d’innovations et de diversification des métiers et celui de l’expansion géographique pour pouvoir continuer de croitre. Le tout se fera en pérennisant l’activité huile de table et savon au Maroc, car in fine, c’est cela qui rend les projets financièrement possibles.

- Les activités africaines, justement, remplissent-elles un rôle d’approvisionnement local ou d’activités dédiées à l’export ?

-L’intention initiale derrière ces activités est de servir les marchés locaux respectifs. Dans le cas de la Tunisie, il s’agit d’un investissement initié par Lesieur Cristal en 2005 qui avait pour vocation d’offrir de l’huile de table végétale en PET au marché local tunisien. Il y a un potentiel d’export cependant, nous regarderons cela de plus près dans les mois à venir.

Dans le cadre du Sénégal, nous avons racheté une activité qui appartenait au groupe Avril. Nous ajoutons à cette activité une savonnerie qui sera prochainement inaugurée et qui aura pour vocation de fournir le marché sénégalais et les marchés avoisinants.

- Dans ces pays, comment les activités ont-elles été impactées par la crise d’une part, et par la reprise d’autre part ?

-L’inflation des matières premières est exactement la même dans ces pays, avec la même acuité. En revanche, les mécanismes économiques de ces pays sont différents. Dans le cadre du Maroc, le marché des huiles de table est dérèglementé depuis 2001, donc le secteur est complètement libéralisé.

En revanche, en Tunisie et au Sénégal, la règlementation et l’État continuent de jouer un rôle important et l’impact de la fluctuation des matières premières doit se faire de concert avec les autorités. Des mécanismes de subvention sont en place et permettent de limiter l’impact, mais il est là malgré tout.

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