Carnets de confinement. Mohamed, éboueur sans protection

Nouvel épisode des carnets de confinement de Reda Zaireg qui donne la parole à des anonymes pour raconter leur quotidien sous l'état d'urgence sanitaire. Aujourd'hui, il s'agit de Mohamed*, éboueur.

Carnets de confinement. Mohamed, éboueur sans protection

Le 4 avril 2020 à 13h24

Modifié 10 avril 2021 à 22h27

Nouvel épisode des carnets de confinement de Reda Zaireg qui donne la parole à des anonymes pour raconter leur quotidien sous l'état d'urgence sanitaire. Aujourd'hui, il s'agit de Mohamed*, éboueur.

Mohamed* trouve qu'on ne se pose pas assez de questions sur la disparition miraculeuse et quotidienne des ordures ménagères entre la tombée de la nuit et le lever du soleil. "Les gens se contentent de balancer leurs déchets, ils ne savent rien", fait-il remarquer.

De l'entracte vespérale jusqu'aux premières lueurs du jour, des centaines d'éboueurs s'activent à bord de camions vrombissants, chargent des bennes, vident leur contenu, échangent des consignes inaudibles sous le bourdonnement des compacteurs, emportent leur cargaison vers des jungles de plastique, de carton et de matière organique ; tout un circuit de collecte, de tri et de traitement dont les maillons partagent des points communs: tous sous-payés, et tous les poumons saturés de dioxyde de carbone.

Profession stigmatisée

Chaque jour à Casablanca, ils parcourent 26.200 kilomètres pour vider plus de 20.800 conteneurs. Au total, plus de 3.000 tonnes de déchets sont collectés, dont 2.600 ménagers. Intérimaire, 31 ans, payé 3.000 dirhams par mois, Mohamed est de ceux qui font le "sale boulot".

Conducteur de camion-benne, il travaille de nuit. Son shift démarre à vingt-heures et prend fin entre trois et quatre heures du matin. Après une nuit de travail exténuante, il enfourche sa moto et rentre chez lui. "C'est chez les parents", dit-il, qu'il s'est établi après son divorce. Premier geste-barrière, au seuil: "j'enlève mes chaussures et je les mets dans un bac". Deuxième, une fois à l'intérieur: "j'enlève ma tenue, j'enfile des vêtements propres et je mets les premiers dans le même bac". Ces précautions prises, un repas chaud, puis il s'endort.

Les rues devenues plus ou moins propres durant le confinement, les Marocains redécouvrent cette profession stigmatisée. Les éboueurs, à l'instar de beaucoup d'autres précaires (caissiers, coursiers, etc.), passent désormais pour des garants de la normalité du monde: leur labeur permet d'en assurer le fonctionnement routinier, et leur absence génère des problématiques concrètes, d'hygiène publique dans ce cas de figure.

Concurrencés par les chiffonniers et les récupérateurs, moins diurnes, plus discrets et surtout plus rares, les éboueurs font caste à part. Non seulement la société dévalue-t-elle fortement le contact avec l'ordure, mais aussi cette profession dont la matérialité s'incarne dans le déchet. Socialement dévalorisés, invisibilisés dans leur activité, leur quotidien est rattaché à la souillure.

"On nous broie"

"J'adore conduire. Comme mon père", confie Mohamed. "Lui aussi était chauffeur de poids-lourd", précise-t-il. Il a découvert sa vocation jeune. A l'âge où on se révolte contre l'ordre établi qui, souvent, dans l'univers embrumé de l'adolescence, est rattaché à la figure du père, Mohamed a fait le choix inverse: suivre ses pas. "J'ai passé mon premier permis l'année du baccalauréat. J'en ai trois aujourd'hui: voiture, poids-lourd et permis de confiance".

Au départ motivé par cet emploi dont il voulait assurer la continuité dynastique au sein de sa famille, il a vite déchanté. Ses conditions de travail durant l'état d'urgence sanitaire ont aggravé son ressenti. Les horaires de travail ont été raccourcis, mais le risque a augmenté.

Pour les protéger de la contagion du coronavirus, les éboueurs ont eu droit à des équipements de sécurité.

Masques: "périmés. Ils datent de 2009. Nous avons refusé de les utiliser", accuse Mohamed. Alors, quand ils ont demandé leur remplacement par de nouveaux, "rien, toujours rien".

Gants: "pas les gants réglementaires de protection ou des gants professionnels. Le genre de gants qui se vendent à cinq dirhams dans la rue. Ils se déchirent vite", peste-t-il. Là encore, "on refuse de nous en fournir de nouveaux quand ils sont endommagés", relate Mohamed.

Gel hydroalcoolique: à usage communautaire, "alors que chacun devrait avoir un flacon à titre individuel".

"Ils se foutent de nous", finit-il par lâcher, excédé.

Ces multiples manquements font peser de lourds risques sur les éboueurs. "J'ai peur, comme tous les collègues", s'inquiète Mohamed. "Nous sommes très exposés. Les mesures prises par notre société sont insuffisantes".

"Je ne vois plus mon fils. Je l'ai envoyé chez sa mère jusqu'à ce que [la pandémie] prenne fin, si je reste en vie d'ici là", livre-t-il. Ses craintes ont été accentuées par la mise en confinement d'un collègue. "Je vis avec mes parents. Ils sont âgés. Je ne veux pas qu'ils soient touchés", redoute-t-il.

"Nous sommes livrés à nous-mêmes. On nous broie", s'indigne Mohamed. "Nous demandons de meilleures conditions de travail et une augmentation de nos salaires". Il dénonce également la pratique des contrats d’intérim: "nous sommes fatigués des allers-retours entre le délégataire et la société d'intérim. On veut des contrats définitifs pour être rattachés à une seule entreprise".

*Le prénom a été changé à la demande de notre interlocuteur.

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