Capitaine Ali Najab : “Mon livre s’inscrit dans un devoir de mémoire”

Seize années après avoir passé un quart de siècle dans les geôles algériennes du polisario, le capitaine de l’armée de l’air, Ali Najab, a retracé dans un ouvrage de 580 pages son parcours de prisonnier de guerre. Une autobiographie captivante qui a été l’occasion de l’interroger sur ses motivations pour la rédiger et sur sa vision d’un conflit qui s’éternise depuis trop longtemps.

Capitaine Ali Najab : “Mon livre s’inscrit dans un devoir de mémoire”

Le 18 janvier 2020 à 11h53

Modifié 11 avril 2021 à 2h44

Seize années après avoir passé un quart de siècle dans les geôles algériennes du polisario, le capitaine de l’armée de l’air, Ali Najab, a retracé dans un ouvrage de 580 pages son parcours de prisonnier de guerre. Une autobiographie captivante qui a été l’occasion de l’interroger sur ses motivations pour la rédiger et sur sa vision d’un conflit qui s’éternise depuis trop longtemps.

- Médias24 : Pourquoi a-t-il fallu seize années pour écrire ce livre ?

- Ali Najab : Parce que dès ma libération, j’ai juré de mener un combat sans relâche pour libérer les prisonniers que j’avais laissés derrière moi à Tindouf (environ 404).

Pour cela, je me suis d’abord rendu à Genève pour voir le CICR (Comité international de la Croix-Rouge). J’y ai fait des témoignages et des interviews pour dévoiler les violations des Conventions de Genève dans le traitement des prisonniers de guerre marocains aux mains de l’Algérie et du polisario.

Ensuite avec 5 de mes camarades d’infortune, nous avons mené une campagne de sensibilisation aux Etats-Unis à Washington où nous avons rencontré les sénateurs John Mc Cain et Lugar, le congressman Diaz Balart, Human Rights Watch, Freedom House et Amnesty International.

A l’ONU, j’ai également été autorisé par le SG de l’ONU Kofi Annan à témoigner à la 4ième Commission. Nous avons accordé des interviews à la radio de l’ONU et donné des conférences de presse conjointement avec M. Bennouna notre ambassadeur aux Nations unies de l'époque. Et enfin à Caracas au Venezuela à l’occasion du Festival International de la Jeunesse Socialiste.

Au final, ces démarches ont permis de faire libérer les 404 prisonniers qui étaient encore détenus à Tindouf à l’époque.

En dernier lieu, j’avais besoin de récupérer des témoignages crédibles auprès de mes camarades d’infortune parce que je n’avais pas le don d’ubiquité pour être partout au même moment.

-Si vous deviez le résumer en quelques lignes, qu’en diriez-vous ?

- Que c’est avant tout un vibrant hommage à nos martyrs tombés au champ d’honneur pour la récupération de notre Sahara.

Cet ouvrage est également un hommage à nos camarades prisonniers de guerre qui sont morts sous la torture dans les geôles de Tindouf en Algérie.

Je l’ai écrit pour raconter ma vie à ma fille Ola qui a grandi loin de moi et bien évidemment pour mes petits-enfants Meryem et Yazid.

Et enfin, je crois m’être acquitté d’un devoir de mémoire.

-Cette autobiographie est-elle cathartique à l’image d’une thérapie pour vous faire du bien et in fine tourner la page d’un quart de siècle d’emprisonnement physique et de tourments psychologiques ?

- Tous les anciens combattants et plus particulièrement les prisonniers de guerre traînent avec eux, longtemps après leur libération, des troubles de stress post-traumatiques connus chez les anglo-saxons sous l'appellation PTSD (Post Traumatic Stress Disorder).

Les retrouvailles avec les familles, les amis, le pays nous ont apporté un certain soulagement mais beaucoup d’événements sont restés incrustés dans notre mémoire et notre subconscient.

Au début, je croyais que le fait de parler de mon calvaire allait suffire parce que je pensais que la parole se suffisait à elle-même pour se purifier comme disait la philosophe Simone Weil.

Mais j’ai fini par réaliser que l’écriture pouvait aussi permettre de se purifier de ses maux.

Mon objectif en écrivant ce livre a donc été de m’acquitter d’un devoir de mémoire d’abord.

Ensuite, c’est une contribution qui je l’espère permettra aux citoyens marocains et surtout aux jeunes de se forger le sens de la citoyenneté, du devoir, de l’amour de la Patrie et la croyance en elle et pourquoi pas le courage et le sens du sacrifice pour elle.

-Le but ultime est-il d’enseigner l’histoire aux plus jeunes ou de rappeler aux Marocains une période encore méconnue du Maroc ? Est-ce l'occasion de l’enseigner dans les manuels scolaires ?

- Enseigner le contenu de ce livre ? Peut-être pas mais en retenir le message, oui !

Mais j’espère au moins que ce livre pourra exister dans les bibliothèques scolaires et universitaires.

Il faut organiser des conférences et des interviews avec des ex-prisonniers de guerre marocains parce que chaque prisonnier est en lui-même un livre. Je suis, quant à moi, prêt à y participer !

-Dans les posts que vous partagez sur les réseaux sociaux, vous en voulez beaucoup à l’Algérie de Boumediene, Est-ce que quelque chose a changé en quarante années ou alors ceux qui vous ont fait du mal sont toujours aux commandes militaires de l’Etat algérien ?

- C’est vrai, parce que le régime algérien n’a pas changé. L’Algérie de Boumediene est toujours là, rien n’a changé.

Est-il utile de rappeler que de janvier 1976 jusqu’au cessez-le feu en 1991, l’armée algérienne nous a tiré dessus par polisario interposé.

Aujourd’hui cette même Algérie continue de nous faire la guerre sur le plan diplomatique avec sa machine de nuisance à l’échelon international en dépensant des millions de dollars au détriment du peuple algérien.

D’ailleurs, il n’y a qu’à écouter ce que disent les Algériens dans la rue pour savoir que le régime que Boumediene a créé est aujourd’hui obsolète.

Les dirigeants algériens qui lui ont succédé ont indéniablement manqué le train de l’Histoire.

Feu notre Roi Hassan II leur avait pourtant donné une belle occasion de se racheter en créant le Grand Maghreb le 17 Février 1987 avec la signature à Marrakech des cinq chefs d’Etat dont l’Algérien Chadli Benjdid était un symbole historique fort.

En définitive, les présidents de l’Algérie se succèdent et les généraux de son armée également, mais la constante est la haine à l’égard de notre pays qui est toujours omniprésente.

Et pourtant Dieu seul sait ce que le Maroc a fourni comme aide à l’Algérie durant sa guerre de libération jusqu’à 1962, année de son indépendance. Ainsi, Boumediene, lui-même, avait déclaré que l’Algérie aiderait le Maroc à récupérer son Sahara. Mais il nous a trahis.

Les premiers coups de feu que notre armée a essuyés à Amgala au cœur du Sahara venaient des unités de l’armée algérienne, dépêchées au Sahara par Boumediene. A ce propos, rappelez-vous que l’armée marocaine avait capturé 106 prisonniers de l’armée algérienne au mois de janvier 1976.

-Ce livre ne va-t-il pas encore élargir le fossé entre les deux pays car on voit mal l’Algérie faire son mea culpa et vous présenter des excuses officielles ?

- Ce livre, je l’ai d’abord écrit pour les Marocains et pas pour les Algériens mais si des Algériens du peuple décident de le lire, tant mieux.

Quant aux responsables qu’ils soient militaires ou hommes politiques, ce livre ne leur apprendra rien.

Ce sont eux qui sont derrières le calvaire que les prisonniers de guerre marocains ont enduré durant 25 années car tout le monde sait que le polisario ne pouvait pas bouger le petit doigt sans leur aval.

La torture et les violations des Conventions de Genève par le polisario dans le traitement des prisonniers de guerre marocains sont l’œuvre de mercenaires avec le consentement des services de sécurité algériens. De plus, toutes ces violations se passaient sur le territoire algérien.

A partir de là, l’ensemble des textes du droit international humanitaire et les Conventions de Genève et ses Protocoles additionnels dont l’Algérie est signataire, lui sont opposables !

-Malgré ce que vous avez subi, vous restez un grand patriote alors que plusieurs de vos collègues militaires d’infortune se plaignent de leur maigre pension et du gel de leur avancement.

- Je suis d’accord avec eux sur le fond mais pas sur la forme : je me vois en tant qu’officier. Je garde toujours ma dignité d’officier et j’entends la défendre et la préserver.

Ils ne disent pas ce que je leur ai fait déjà, là-bas en captivité ; j’ai souvent pris des risques quand j’osais arracher le fouet des mains des gardes quand ils les fouettaient.

Que ce soit au Maroc, à Genève, à Bruxelles, aux Etats-Unis , à l’ONU et au Venezuela, j’ai milité en faveur de la libération des 404 prisonniers que le polisario voulait garder encore plus longtemps.

A peine revenu chez moi, c’est grâce à moi qu’on a versé en 2003 aux anciens prisonniers une double solde, qu’on leur avait supprimée le jour de leur capture. Je suis donc à l’origine de l’augmentation de leur pension de réforme.

Depuis notre retour, j’ai passé une grande partie de mon temps à taper à toutes les portes pour améliorer la situation des prisonniers rapatriés de Tindouf.

Lorsque l’Association que nous avons fondée nous a été refusée, j’ai malgré tout continué à essayer d’obtenir des rendez-vous à tous les échelons. J’ai même constitué une commission composée de deux sous-commissions : l’une pour les officiers, l’autre pour les sous-officiers et les soldats.

Après quoi, nous avons déposé notre dossier chez le CNDH, Al Wassite, chez tous les chefs des groupes parlementaires et chez le Chef du gouvernement Benkirane.

Tout à fait au début, j’ai envoyé au Premier ministre Driss Jettou un rapport complet sur la situation et les difficultés d’insertion dans la vie civile des ex-prisonniers de guerre après leur retour de captivité.

Dernièrement j’ai eu l’honneur de rencontrer un haut responsable militaire pour lui présenter mon livre et j’en ai profité pour lui exposer dans le moindre détail tous les problèmes dont souffrent toujours les ex-prisonniers de guerre, tous grades confondus, rapatriés de Tindouf.

Pêle-mêle: De la compassion pour les souffrances qu’ils ont subies chez l’ennemi, une aide pour l’obtention d’un logement, un statut de pupille de la nation pour leurs enfants, la révision des textes pour que les articles 10 et 19 à l’origine de l’amélioration de la pension de réforme ne soient pas supprimés après le décès de l’intéressé, l’amélioration de la situation des veuves des prisonniers de guerre parce qu’il y a eu beaucoup de décès parmi eux depuis leur retour de Tindouf.

D’une façon générale, j’ai demandé à ce que les pensions des prisonniers de guerre rapatriés de Tindouf soient revalorisées.

J’ai insisté sur le fait que notre armée doit faire un geste pour leur permettre de recouvrer leur dignité parce qu’ils ont combattu pour la récupération de notre Sahara comme tous les autres combattants qui ont eu la chance d’échapper à l’ennemi et qui ont continué à avoir une carrière normale avec tous les avantages comme l’avancement dans le grade par exemple.

Je tiens à exprimer mes remerciements et ma gratitude à ce haut-gradé qui m’a écouté longuement et promis de se pencher sur tous ces problèmes que je suis sûr qu’il connait dans le détail.

-Aimeriez-vous que vos ex-geôliers lisent votre ouvrage, leur avez-vous pardonné les tortures physiques et psychiques ?

- Qu’ils le lisent, ils vont s’y reconnaître. J’ai tenu à ce qu’il n’y ait pas le moindre grain de propagande.

Leur pardonner ? On m’a déjà posé cette question plusieurs fois et ma réponse a été sans détour : Si l’intérêt suprême de mon pays le dicte, alors je pardonne.

Mais comment pourrais-je pardonner à ceux qui brandissent toujours des armes contre le Maroc ou qui mènent une politique propagandiste contre nous, tambour battant à l’international.

-Est-il possible de repartir sur de bonnes bases avec le nouveau président Tebboune, gardez-vous espoir de voir de votre vivant une réconciliation sur le dossier du Sahara ?

- Dès le lendemain de son investiture, le nouveau président a fait des déclarations tonitruantes.

On a rapidement compris que le langage de Boumediene était toujours présent et que par conséquent, la position du régime algérien n’avait pas changé d’un iota.

Si je garde espoir… ? Pour moi, tant que des généraux de l’armée dirigent l’Algérie derrière un Président, prétendument élu, il n’y aura aucun véritable changement.

Le Hirak ne changera rien sauf s’il y a une révolution au sein de l’armée avec des jeunes officiers courageux et perspicaces qui disent : «  La plaisanterie a trop duré, assez, il faut sauver l’Algérie ».

Le Hirak pourra jouer un rôle de catalyseur, c’est un scénario possible auquel je crois.

-Pour conclure, accepteriez-vous une adaptation cinématographique de cette triste période de votre vie ?

- Pourquoi pas, mais à condition que ça soit une grande production mise en scène par un grand metteur en scène.

Nous avons déjà fait un documentaire diffusé par 2M, mais honnêtement, je suis resté sur ma faim.

Fiche technique : «25 ans dans les geôles de Tindouf» de Ali Najab (584 pages), édité à la maison d’édition « La Croisée des Chemins », et disponible au « Carrefour des livres au prix de 145 dirhams

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