Amnisties fiscales : une défaite de l’Etat face aux fraudeurs?

Mehdi Michbal | Le 6/11/2019 à 11:14

En proposant trois amnisties fiscales dans son PLF 2020, le gouvernement entend instaurer un climat de confiance entre l’administration et les opérateurs économiques. Mais il risque au passage de saper sa crédibilité et de renforcer le sentiment d’injustice chez une large catégorie de contribuables qui s’acquittent régulièrement de leur impôt.

Les trois amnisties concernent :

-les Marocains dissimulant des biens et des avoirs à l’étranger. Ces derniers ont déjà bénéficié d’une amnistie en 2014.

-les personnes physiques ou morales ayant sous-déclaré leurs bénéfices ou leurs revenus lors des trois derniers exercices (2016, 2017, 2018).

-les personnes détenant du cash (non déclaré) hors du circuit bancaire.

Le deal que propose l’Etat est simple : ces personnes doivent se remettre en conformité en déclarant leur biens ou avoirs à l’étranger, en opérant des déclarations rectificatives sur l’IR, la TVA ou l’IS ou en déposant l’argent thésaurisé sur des comptes bancaires. Le tout moyennant une contribution libératoire. Une tranquillité fiscale leur sera garanrtie une fois la procédure achevée.

Une main tendue aux fraudeurs

Appelons les choses par leur nom. Les personnes concernées par cette (nouvelle) main tendue de l’Etat sont des contrevenants. Des fraudeurs. Des personnes qui éludent l’impôt, qui sous-déclarent leurs revenus ou qui cachent et dissimulent des biens et des avoirs.

Dans tout Etat qui se respecte, ce type de fraude ou de contravention est considéré comme un crime particulièrement grave.

L’arme la plus efficace pour prévenir ces cas de fraude ou de les punir reste la loi.

Le Maroc est outillé d’un dispositif légal complet. L’administration dispose aussi de tous les moyens pour faire respecter la loi.

Les contrôles ont été resserrés ces dernières années. La digitalisation de l’administration et l’échange des données entre services de l’Etat aidant, l’étau devait se resserrer davantage contre la fraude fiscale.

Mais le politique, semble-t-il, ne suit pas.

Ces derniers mois, il a montré en tout cas son incapacité à faire respecter les règles.

On se souvient tous des marches en arrière et des concessions accordées en début d’année, au détriment de la loi.

Une victoire pour les commerçants et professions libérales

D’abord avec les commerçants, les grossistes notamment, qui ont obligé début janvier le gouvernement à suspendre la facturation électronique et l’obligation de disposer d’un ICE, en menaçant de couper les chaînes d’approvisionnement du pays. C’était la première machine arrière.

Ensuite avec les professions libérales, par le retrait de la liste des dépenses personnelles publiée dans la circulaire de la DGI le 25 janvier dernier.

Cette liste devait permettre à la DGI de vérifier la sincérité de la déclaration de revenu du contribuable en la «matchant» avec la somme de ses dépenses en bijoux, produits de luxe, voitures, biens immobiliers, voyages…

Quelques jours seulement après sa publication, le gouvernement l’avait retirée sans donner de justification. De peur certainement d'effrayer certains corps de métiers.

Ces reculs pouvaient alors être considérés comme de la tactique. Des concessions nécessaires à la négociation politique. D’autant que le contexte socio-économique était tendu.

Mais si on les fait suivre quelques mois plus tard par trois amnisties qui ne disent pas leur nom, la situation s’apparente à une défaite. Une lourde défaite contre la fraude fiscale et la fuite de capitaux.

En se montrant faible, l’Etat risque de saper sa crédibilité. Difficile en effet de prendre au sérieux les futurs durcissements des contrôles et autres mesures de renforcement de la transparence quand le gouvernement recule devant la moindre escarmouche.

Ces amnisties proposées aux riches, aux plus nantis, ou du moins aux fraudeurs d’entre eux, ne manqueront pas également de renforcer le sentiment d’injustice chez une grande catégorie de la population qui s’acquitte régulièrement de son impôt. Et qui le paie au taux normal, sans jamais bénéficier d’un allègement exceptionnel ou du moindre cadeau fiscal.

Rapport de forces en défaveur du gouvernement

Dans ses éléments de langage, le gouvernement ne parle pas d’amnistie. Mais de déclarations rectificatives. De mise en conformité. Mais c’est un peu jouer sur les mots. Car dans le fond et par leurs effets, ces trois mesures proposées dans le PLF sont une forme d’amnistie. Une sorte d’impunité légalisée qui intervient après une année de bras de fer entre l’administration et certains contribuables, les commerçants et les professions libérales à leur tête.

Un bras de fer dont les effets commencent à se faire lourdement sentir sur l’économie du pays et le circuit monétaire qui connaît une hémorragie de liquidité.

L’argent quitte en masse le système bancaire depuis le début de l’année.

Entre janvier et fin septembre, les dépôts bancaires des entreprises ont chuté de 17 milliards de dirhams selon les statistiques de Bank Al Maghrib.

En parallèle, le cash en circulation a fortement augmenté : entre août 2018 et aout 2019, plus de 16 milliards de DH sont sortis du système selon les données de Bank Al Maghrib.

Aucune explication officielle à cette hémorragie n’est donnée pour l’instant. Mais tout porte à croire qu’il s’agit d’une réaction à la politique de resserrements des contrôles, menée à raison, par l’Etat ces dernières années.

Commerçants et professions libérales ont senti l’étau se serrer, notamment avec la politique de digitalisation et d’échanges des données qui réduit de facto la marge de fraude.

Fallait-il poursuivre sur cette lancée pour contraindre tout le monde au respect de la loi ? Ou montrer, comme le fait l’exécutif dans son PLF, patte blanche en espérant tourner la page ?

Tout est question de rapport de forces. Et ce dernier n’est visiblement pas en faveur du gouvernement.

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