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Viol: Statu quo législatif et jurisprudentiel

[SPECIAL 8 MARS] Eludé par les récentes et futures réformes du code pénal, le cadre incriminant le viol mérite de sérieuses retouches. Côté jurisprudence, l'immobilisme est également la règle.

Viol: Statu quo législatif et jurisprudentiel

Le 6 mars 2019 à 15h41

Modifié 11 avril 2021 à 2h39

[SPECIAL 8 MARS] Eludé par les récentes et futures réformes du code pénal, le cadre incriminant le viol mérite de sérieuses retouches. Côté jurisprudence, l'immobilisme est également la règle.

On peut lui concéder de nombreux apports, mais la nouvelle loi sur les violences faites aux femmes a complètement zappé le sujet du viol. C’est ce que pense Stéphanie Willman Bordat, Associée Fondatrice à MRA Mobilising for Rights Associates, qui appelle à « la refonte » de l’article 486 et suivants réprimant ce crime. A commencer par sa définition. Le viol y est défini comme étant un « acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci ».

Dans les faits, cela se traduit toujours par « la nécessité de prouver des blessures physiques, attestant que la victime a effectivement lutté contre son ravisseur », estime cette juris Doctor à la faculté de droit de Columbia University à New-York. Pour elle, la définition actuelle est « démodée » et « empêche les femmes de porter plainte pour viol car difficile, voire impossible à prouver ». D’autant que la charge de la preuve pèse sur les plaignantes. Notre interlocutrice propose de remplacer l’expression « contre le gré » par « sans son consentement ». Reste à définir la forme de ce consentement.

La pratique a fait ressortir un autre écueil, en lien avec le viol, mais résultant d’une autre disposition:  Les articles 490 et 491 criminalisant les relations sexuelles hors mariage. « Ces dispositions empêchent également les femmes de porter plainte pour viol », poursuit notre juriste américaine. 

En clair, si une femme porte plainte pour viol, et qu'elle n'arrive pas à le prouver, elle risque des poursuites en ce qu’elle aura indirectement avoué une relation sexuelle illégale. L’aveu n’engageant que son auteure, l’agresseur présumé ne sera, lui, ni puni pour viol ni pour relation illégale.

De quoi consacrer une forme de discrimination et « d’impunité tolérée et encouragée » par le législateur, regrette Mme Bordat, qui suit ces dossiers depuis une décennie dans le cadre de son activité avec l’association MRA (Mobilising For Rights Associates).

Cette organisation mène actuellement « un grand projet sur les violences sexuelles. Et toutes les associations dans leurs rapports et nos ateliers décrivent comment les femmes ne portent pas plainte pour viol par crainte d'être poursuivies elles-mêmes en tant que criminelles pour relations sexuelles hors mariage », rapporte-t-elle.

En 2017, le ministère public a enregistré 1.134 plaintes pour viol. Mais qu’en est-il de ces femmes qui refusent de recourir à la justice? En l’absence de chiffres officiels, un diagnostic global est attendu du côté de la société civile. « L’association MRA a entamé et va mener des actions en ce sens sur tout le territoire marocain, en coopération des ONG locales », annonce M. Bordat. Les opérations vont durer 3 ans.

Le texte et ceux qui l’appliquent

Et si le problème n’émanait pas du texte, mais de ceux censés l’appliquer? C’est cet angle que défend Me Laila Slassi, avocat et cofondatrice du mouvement Masaktach. « Le code pénal marocain n’est pas particulièrement source de discrimination à l’égard des femmes. En revanche, c’est l’application patriarcale et misogyne que peuvent en faire les juges qui est problématique », observe-t-elle.

Ce constat s’applique aux peines, où on relève une disparité entre celles encourues et celles effectivement prononcées. « Si les peines prévues par l’article 486 sont lourdes à l’égard des violeurs (5 à 10 ans et 10 à 20 ans s’il il est commis à l’encontre de mineurs), la jurisprudence montre que les peines rendues sont très en deçà de ces seuils », ajoute Me Slassi. Dans certains cas, « des peines de sursis sont prononcées ! ».

Le paradoxe théorie-pratique touche aussi le viol conjugal. Attendu mais absent de la nouvelle loi sur les violences faites aux femmes, ce point ressort comme le vieux serpent du droit pénal marocain.  En la matière, l’application jurisprudentielle peut prêter à discussion : « Le code pénal ne prévoit pas d’exception particulière liée à la condition maritale de la victime avec l’auteur des faits. Aussi, ce même texte ne prévoit aucune circonstance atténuante en cas de mariage pour les faits de viol. »

Le code pénal est un texte d’application stricte. Pas d’interprétation qui tienne. Or, « une application stricte de la loi pénale devrait conduire les juges à condamner les époux violeurs dès lors que les faits constitutifs du viol sont réunis, à savoir l’absence de consentement à la relation sexuelle. La condamnation en cas de viol conjugal devrait être exactement la même qu’en cas de viol commis en dehors du mariage », explique notre juriste.

La justice ne l’entend pas de cette oreille. Il n’y a pas de viol qui tienne si le mariage est établi. Dans un cas récent et médiatisé, le tribunal de Tanger a innocenté du viol un époux dont l’épouse a pourtant produit les documents médicaux attestant d’un rapport violent conduisant à des déchirures vaginales. L’époux n’a été condamné que pour coups et blessures, le juge ayant noté qu’au « moment des faits, l’accusé et sa victime étaient mariés. »

Comme ce juge, « les défenseurs de la non incrimination du viol conjugal évoquent l’argument selon lequel les relations sexuelles font partie des droits et devoirs réciproques entre époux ».  Partant, une sorte de présomption de consentement à l’acte s’installe dès lors qu’il y a mariage.

Cette position a été exprimée par des parties officielles au Maroc, notamment Mustapha Ramid.  Lors d’une réunion avec une alliance d’ONG marocaines en mars 2013, le Pjdeiste, à l’époque ministre de la Justice, avait déclaré qu’il était impossible de criminaliser le viol conjugal, car «on ne peut priver un homme de ce qui lui revient de droit», rappelle Stéphanie Willman Bordat.   

Mais « si cette affirmation est exacte, un raisonnement juridique approprié devrait conduire à sanctionner le refus des relations sexuelles par le divorce, et non par le viol », soupèse Me Laila Slassi.

Le gouvernement a-t-il peur de toucher au viol ? Si l’article n’a pas été retouché par la loi sur les violences faites aux femmes, dans le projet de loi réformant le code pénal, aujourd’hui bloqué au parlement, on ne voit pas non plus de modification en vue. De là, une clarification s’impose. Selon une idée reçue, on a déjà abrogé le texte permettant au violeur d’échapper aux sanctions s’il acceptait d’épouser sa victime. Sauf que c’est faux :

« L’affaire Amina Filali qui avait fait grand bruit il y a quelque temps avait conduit à l’abrogation d’une disposition du code pénal qui, selon la croyance populaire, permettait à un violeur d’échapper à la condamnation s’il épousait sa victime mineure. Là encore, cette décision d’abrogation était ridicule. Le problème n’était pas tant le code pénal que l’application qui en était faite par les juges. Pour rappel, le fameux article 475 du code pénal ne s’appliquait qu’en cas de détournement de mineur sans violence et non en cas de viol », selon notre interlocutrice.

En effet, les violeurs qui échappaient aux sanctions le faisaient en vertu d’une pratique judiciaire courante, et non de la loi. Un exemple parmi d’autres qui, selon Me Slassi, « montre bien que la formation des juges et leur sensibilisation aux questions des droits des femmes sont la clé pour plus de justice envers les femmes. Une initiative courageuse en ce sens devient urgente face à l’augmentation des violences commises à l’égard des femmes .»

A L'OCCASION DU 8 MARS, MEDIAS24 CONSACRE UNE SERIE D'ARTICLES A LA QUESTION FEMININE AU MAROC

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