Manifestations, interventions policières, arrestations: ce que dit la loi

Journée de questions orales à la Chambre des Représentants, ce mardi 6 juin, dominée par la situation à Al Hoceima. La situation sécuritaire, l’emploi de la force publique, l’état des procédures judiciaires étaient à l’ordre du jour. Synthèse et explications juridiques.

Manifestations, interventions policières, arrestations: ce que dit la loi

Le 6 juin 2017 à 17h51

Modifié 11 avril 2021 à 2h41

Journée de questions orales à la Chambre des Représentants, ce mardi 6 juin, dominée par la situation à Al Hoceima. La situation sécuritaire, l’emploi de la force publique, l’état des procédures judiciaires étaient à l’ordre du jour. Synthèse et explications juridiques.

 Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, expose le contexte sécuritaire  

Entre le 28 octobre 2016 et ce mardi 6 juin, il y a eu 843 actions de protestation dans la province, environ 4 par jour. 320 d’entre elles ont eu lieu dans la seule ville d’Al Hoceima. Le reste notamment à Imzouren, Beni Bouayach et Targuist.

Dès le mois de février, selon Laftit, des instructions ont été données par le Roi pour que les ministres se déplacent sur le terrain.

Dans la nuit du 26 au 27 mars, il y a eu un incident majeur qui a fait 93 blessés parmi les forces de l’ordre selon un décompte officiel. Il s’agit de l’incendie d’un logement des forces de l’ordre à Imzouren. Pour échapper aux flammes, quelques dizaines d’entre eux ont sauté du toit vers le sol, ce qui a occasionné des blessures dont l’une grave.

Dans la nuit du 26 au 27 mai (incidents suite à la prière du vendredi), les forces de l’ordre ont déploré 46 blessés dont un dans un état grave.

Au total, les forces de l’ordre comptent selon Laftit 205 blessés ainsi que les dégâts matériels tels que des véhicules détruits ou incendiés.

Interrogées par Médias24, des sources locales affirment que le gaz lacrymogène a été utilisé d’une manière très limitée et que les forces de l’ordre ont agi dans le cadre d’actions de dispersion plutôt que par des violences dirigées contre les manifestants.

Une source sécuritaire de haut niveau a fourni des explications complémentaires à Panorapost: “Notre objectif est de disperser les manifestants lorsqu’on en reçoit l’ordre, avec un usage minimum de la force. La technique est d’aller vers eux, en leur permettant de partir, en ménageant des fenêtres dans les rues pour les conduire à se séparer. Les courses poursuites font partie des techniques de dispersion des foules. Notre rôle, c’est la dispersion et la dissuasion dans le respect de la loi“. Certains jours, la tension est telle que les bavures ne sont pas forcément absentes.

Mais manifester pacifiquement n’est-il pas un droit? Pourquoi alors disperser violemment une manifestation pacifique?

Manifester, disperser: ce que dit la loi

Médias24 a effectué une recherche dans les textes de loi.

Au Maroc, manifester pacifiquement est une liberté publique. Son exercice est garanti par le dahir n° 1-58-377 (15 novembre 1968) relatif aux rassemblements publics. Mais cette garantie a un contrepoids: l'impératif, pour la puissance publique, de prémunir les personnes et les biens de toute atteinte.

Cet impératif a un double corollaire.

>Déclaration en bonne et due forme

D’abord, toute manifestation est soumise, non à une autorisation, mais à une déclaration préalable. Pour être admise, cette déclaration doit respecter les formes prescrites par la loi.

La déclaration doit être remise à l’autorité administrative locale (pacha ou caïd) trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation.

Elle doit faire connaître les noms, prénoms, nationalité et domicile des organisateurs. Elle est signée par trois d’entre eux, et indiquer le but de la manifestation, son lieu, la date et l’heure du rassemblement et l’itinéraire projeté.

A ce titre, rappelant que la jurisprudence a consacré le principe selon lequel la déclaration d’organisation d’une manifestation ne constitue pas une demande d’autorisation (Tribunal administratif de Rabat : l’Association marocaine de soutien au peuple palestinien vs le Wali de la région Rabat Salé Zemmour Zaer, arrêt N° 81 du 17 janvier 2002).[1]

Même déclarée dans les formes, la manifestation peut être interdite si l’autorité administrative locale estime qu’elle est de nature à troubler l’ordre public.

Pour contester l’interdiction, rien n’empêche les organisateurs de la manifestation d’introduire un recours auprès du président du tribunal administratif compétent, qui statue en référé.

>Force publique

Deuxième corollaire. Pour le maintien de la sûreté des biens et des personnes et en cas de rassemblements illégaux, les autorités publiques sont fondées à utiliser la force.

La loi permet le recours à la force publique en cas d'attroupement armé. Mais même non armé, l'attroupement peut être dispersé s'il est susceptible de troubler la tranquillité publique.

Encore faut-il définir la "sécurité publique". 

Selon le CNDH, la jurisprudence confirme généralement une tendance libérale s’agissant d’appréciation de l’atteinte à la sécurité publique. Par exemple, la Cour d’appel d’El Jadida a précisé dans son arrêt N° 01/1236 du 21/03/2001 que “L’organisation d’un sit-in pacifique pour revendiquer le droit au travail est un acte légitime.“

>Comment les attroupements doivent-ils être dispersés?

Lorsqu'un attroupement armé est formé sur la voie publique, un porte-voix annonce l'arrivée de l'agent dépositaire de la force publique.

Si l'attroupement est armé, l'agent dépositaire de la force publique lui intime l’ordre de se dissoudre et de se retirer. Si cette première sommation reste sans effet, une seconde, effectuée dans les mêmes conditions, est faite par l'agent dépositaire de la force publique. En cas de résistance, l'attroupement est alors dispersé par la force.

Si l'attroupement est sans arme, l'agent dépositaire de la force publique, après l'annonce de son arrivée, exhorte les participants à se disperser. 

S'ils ne se retirent pas, trois sommations sont successivement faites. En cas de résistance, l'attroupement est alors dispersé par la force. Les sommations doivent être faites dans ces termes:

“Obéissance à la loi, on va faire usage de la force, dispersez-vous“.

>En France, l'usage de la force publique peut être direct

Le code pénal français encadre l'usage de la force en cas de participation délictuelle à un attroupement. Cet attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet. (…)

"Toutefois, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent."

Mohamed Aujjar, ministre de la Justice: le point sur les procédures judiciaires et les arrestations

Mohamed Aujjar a fourni le bilan suivant des arrestations et procédures judiciaires, au cours de son intervention devant la Chambre:

- Plusieurs vagues d'interpellations et un traitement judiciaire au niveau de deux juridictions: 

· Tribunal de première instance d'Al Hoceima pour les manifestants accusés de divers délits.

· Chambre criminelle près la Cour d'appel de Casablanca pour les personnes mises en cause dans des crimes constituant une atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat. Ces derniers, dont Nasser Zefzafi, appartiennent pour une grande partie au Hirak, mouvement contestataire rifain. Ils seront jugés à Casablanca pour des raisons tenant au maintien de la sécurité publique. 

- Le bilan des arrestations, tel que présenté ce mardi 6 juin à la Chambre des représentants: 

· 17 personnes, dont un mineur, ont été interpellées suite aux événements survenus le 26 mars 2017 à Imzouren. Les prévenus ont été déférés à la juridiction d'instruction, qui a ordonné leur mise en détention pour avoir tenté de mettre feu volontairement à un véhicule contenant des personnes et d'avoir placé des barricades sur la voie publique, ce qui a entraîné la dégradation d'objets affectés à l'intérêt général.  

Dans la même nuit, il y a eu un incident très grave : un bâtiment servant de logement à des forces de police a été attaqué et entièrement incendié. Un nombre important de policiers ont été blessés.

· 49 personnes ont été interpellées suite aux incidents survenus le 26 mai, lorsque l'imam de la grande mosquée d'Al Hoceima s'est vu empêché de poursuivre le prêche de la prière du vendredi.

Sur les 49 personnes, 31 ont été poursuivies en détention préventive pour rébellion, insultes et violences à l'égard d'agents de la force publique, dégradation d'objets.

7 autres individus ont été poursuivis en état de liberté pour, entre autres, les délits d'outrage à agents de la force publique, rébellion et manifestation sans déclaration préalable dans les voies publiques.

Enfin, le parquet a décidé de classer les dossiers de 10 individus, tandis qu'un mineur a été poursuivi en état de liberté devant le juge chargé des mineurs.  Tous sont jugés devant le tribunal de première instance d'Al Hoceima. Une audience a eu lieu ce mardi 6 juin.

· Pour leur implication présumée dans des actes qualifiés d'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat, 38 individus parmi les membres hirak, dont Nasser Zefzafi, ont été transférés à Casablanca, où ils ont été placés en garde à vue au siège de la BNPJ.

Au terme de leur garde à vue, 32 parmi eux ont été auditionnés par le ministère public près la Cour d'appel de Casa. Ils ont été par la suite renvoyés devant le juge d'instruction. Ils sont actuellement placés en détention préventive, hormis un seul mis en cause, qui a été placé sous contrôle judiciaire. D'autres personnes interpellées comparaîtront devant le parquet général.

C'est la Cour de cassation, via sa chambre criminelle, qui a choisi de traduire les membres du hirak devant la Cour d'appel de Casablanca. Prise le 2 juin 2017, cette décision a été motivée par des raisons de sécurité publique (voir article 272 du code de procédure pénale). 

[1] Mémorandum du CNDH adressé au chef du gouvernement en novembre 2015

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