Les confidences de Meryem Cherkaoui, porte-drapeau de la nouvelle cuisine marocaine

Sa renommée est aujourd’hui internationale. Amie des plus grands chefs étoilés installés aux 4 coins du monde, Meryem Cherkaoui est devenue l’ambassadrice de la cuisine marocaine. 

Les confidences de Meryem Cherkaoui, porte-drapeau de la nouvelle cuisine marocaine

Le 31 octobre 2015 à 20h22

Modifié 11 avril 2021 à 1h03

Sa renommée est aujourd’hui internationale. Amie des plus grands chefs étoilés installés aux 4 coins du monde, Meryem Cherkaoui est devenue l’ambassadrice de la cuisine marocaine. 

Elle vient de prendre en main la destinée du restaurant gastronomique du Mandarin Oriental, dernier né des palaces de Marrakech. Et le succès est déjà au rendez-vous… Rencontre avec une virtuose de la nouvelle cuisine marocaine.

-Médias24: Moins d’un mois après l’ouverture du Mandarin Oriental, quelles sont vos premières impressions sur le Mes’Lalla, le restaurant gastronomique de l’établissement?

-Meryem Cherkaoui: Mes premières impressions sont très positives car il y a un bon retour des clients; on a déjà du monde tous les jours et le bouche-à-oreille fonctionne très bien! Les gens sont parfois un peu surpris par la carte et nous disent: vous proposez autre chose que ce qui existe ailleurs à Marrakech. C’est exactement ce que je voulais: être différente!

-Qui compose la clientèle du restaurant?

-En semaine, le restaurant est fréquenté en majorité par des résidents étrangers; le week-end, on a plutôt une clientèle marocaine, de Casa ou de Rabat. Sans oublier les clients de l’hôtel qui viennent d’un peu partout. Et puis beaucoup de restaurateurs viennent nous voir, ne serait-ce que par curiosité, du Maroc, mais aussi de l’étranger.

-Un mot sur la carte que vous proposez, ou plutôt sur les cartes…

-J’ai effectivement deux cartes: une carte tradition faite de plats classiques que l’on retrouve dans beaucoup de familles et une carte signature qui est ma cuisine, ma façon de revisiter ce qui se fait au Maroc.

Prenons un exemple simple: les keftas. Je vais leur donner une forme carrée, un peu dans l’esprit d’un steak tartare snacké, avec des épices marocaines et des herbes; elles ne baigneront pas dans le jus de tomate: le coulis sera posé juste comme une virgule; les œufs de poule vont être remplacés par des œufs de caille; et comme j’ai toujours trouvé que ce plat manquait d’équilibre et de légumes, je le sers avec des mange-tout, des petits radis et une assida de maïs, notre polenta à nous, qui vient du sud du Maroc.

A travers cet exemple simple, vous voyez que je veux que l’on retrouve dans chaque plat un repère traditionnel mais en même temps avec une innovation: c’est ainsi que je conçois ma cuisine.

-Revenons en arrière de quelques années: vous avez fait votre scolarité à Rabat puis vous êtes allée en France pour votre formation professionnelle, notamment à l’école Bocuse…

-J’ai effectivement fait cette grande école; j’ai ensuite poursuivi ma formation au Crillon à Paris, au Majestic à Cannes, puis en Bretagne, à côté de Lorient. Et je suis rentrée au Maroc fin 2000.

Là, dès mon retour, pendant plus de 10 ans, j’ai décidé de faire des promotions culinaires un peu partout dans le monde. Il s’est agi de la promotion de la cuisine marocaine, mais telle que, moi, je voulais l’exprimer. Une démarche peu fréquente à l’époque au Maroc, surtout pour une femme!

-Lors de votre formation et, par la suite, de vos voyages, vous avez fréquenté de nombreux chefs renommés. Quels sont ceux qui vous ont le plus marquée?

-Il n’y a pas de chefs qui m’aient véritablement inspirée dans ma cuisine, mais il y en a beaucoup qui m’ont marquée humainement, dont j’apprécie énormément le professionnalisme.

Je pense par exemple à Pierre Gagnaire qui est pour moi l’artiste de la cuisine française, qui a toujours osé. Il réalise des mélanges qui lui sont propres.

Et puis il y a Jean-François Piège, un grand professionnel, pour ne pas dire le meilleur, au niveau technicité.

Après, il y a de nombreux chefs que j’apprécie et qui sont devenus des amis, comme Michel Sarran à Toulouse ou Gilles Goujon. Alex Atala au Brésil est un chef exceptionnel. Comme Ferran Adrià en Espagne, connu surtout pour sa cuisine moléculaire, mais qui fait plein d’autres choses. Je peux citer également Daniel Boulud à New York, ou Jean Georges. Bref, les chefs que j’admire sont très nombreux….

-Y a-t-il au Maroc, en dehors de vous, des grands chefs qui portent la cuisine de ce pays?

-On n’est pas beaucoup, malheureusement. Cela s’explique sans doute par le fait que dans les écoles hôtelières du Maroc, on apprend la "cuisine internationale", c’est comme cela que ça s’appelle. Et du coup, dès leur formation, les cuisiniers perdent leurs repères.

Quand on est marocain, que l’on exerce au Maroc, peut-être qu’on est un peu moins fier de notre cuisine qu’on devrait l’être. Et c’est un vrai souci. Alors que, et c’est paradoxal, la cuisine marocaine est reconnue dans le monde entier comme une des grandes cuisines. On a une cuisine variée, d’origines diverses. Cuisine juive marocaine, cuisine berbère, cuisine arabo-andalouse… 

De tous ces mélanges, on a fait notre patrimoine culinaire. Mais malheureusement, beaucoup de chefs marocains préfèrent assurer, avec de la cuisine italienne ou française, en oubliant la cuisine de leur pays!

Heureusement, il y a des exceptions, comme Moha à Marrakech, qui excelle dans la cuisine marocaine. Mais il faudrait qu’on soit plus nombreux à défendre notre cuisine.

-Quand vous êtes rentrée au Maroc, vous avez ouvert un restaurant à Casa, La Maison du Gourmet, un des grands établissements de la ville. Est-ce que le fait de travailler aujourd’hui dans un endroit prestigieux, mais qui n’est pas à vous, vous a amenée à hésiter, avant d’accepter la proposition du Mandarin Oriental?

-En allant faire mes études en France, mon objectif a toujours été de revenir au Maroc et de monter une affaire. Et je l’ai fait. Mais ensuite, j’aspirais à autre chose. Je ne voulais pas rester dans ma cuisine à faire constamment la même chose. C’est pourquoi, même quand j’avais ce restaurant, je voyageais beaucoup, je faisais de la promotion culinaire, je faisais plein de choses. J’avais par exemple des ateliers de cuisine. J’ai également toujours assuré beaucoup de formation pour les professionnels; j’ai même ouvert une boutique de pâtisseries. Je suis quelqu’un qui a besoin de faire plein de choses et je ne peux pas me contenter d’une seule activité.

-Vous faites beaucoup de formation?

-Je fais de la formation mais aussi du conseil, de l’événementiel en signant des cartes pour des soirées VIP. Je fais aussi de la R&D pour des industriels.

-Pour en revenir à la formation et au consulting, vous faites cela pour qui?

-Je le fais pour des professionnels uniquement, qui veulent se perfectionner. Ce sont des gens qui ont un restaurant ou qui veulent en ouvrir un.

Première question: quel concept va-t-on mettre au point? Par exemple, si un de mes clients veut faire de la gastronomie alors que je sais que ça ne marchera pas là où il est situé ou bien que le cadre ne correspond pas, mon rôle est d’abord de le lui expliquer. Après, on élabore les plans de la cuisine avec lui et avec le cuisiniste. Et ce n’est qu’ensuite qu’on propose une carte qui tient compte du lieu et du design. Enfin, on assure les formations pour le chef et ses équipes.

Mon rôle n’est pas forcément de changer leur manière de penser ou de cuisiner, mais je leur donne des astuces; je m’efforce aussi de comprendre ce qu’ils sont capables de faire. Cela ne servirait à rien de créer des recettes que l’équipe, ensuite, ne serait pas capable de suivre. C’est donc souvent à moi de m’adapter, de les comprendre. Je n’arrive jamais en disant: "Vous ne savez pas faire ça. Alors maintenant, vous allez faire comme je veux." Je leur dis: "Qu’est-ce que vous aimez, qu’est-ce que l’on peut faire ensemble?" C’est une vraie collaboration qui doit se mettre en place.

-Ce que vous faites dans ce domaine ne vous a jamais donné l’idée d’aller jusqu’à monter une émission de télévision style "cauchemar en cuisine" qui marche très fort en France et dans les pays anglo-saxons?

-Non. La télé, pour moi, c’est un autre métier. Je pourrais le faire… Il faudrait juste que j’aie un peu plus de temps. Mais pour l’instant, je préfère me concentrer sur les restaurants et sur les formations telles que je les fais.

-Il y a 3 ans, vous avez créé Dima Terroir, afin de valoriser les produits de qualité du Maroc. Avec quel résultat?

-Quand je partais à l’étranger, j’emmenais souvent dans mes valises des produits locaux typiques. Et les chefs que je rencontrais un peu partout dans le monde me disaient: "Comment peut-on se procurer ces citrons confits ou ces olives violettes" qu’ils ne connaissaient pas. J’avais les mêmes questions sur la fleur d’oranger et sur bien d’autres produits. D’où l’idée de créer une petite marque et de la commercialiser à l’étranger.

Et puis je me suis dit que ce n’était pas mon métier et que je n’étais pas certaine d’être en mesure de le faire moi-même. J’ai rencontré une personne qui commercialisait du safran et on a eu l’idée de travailler ensemble, avec des coopératives et des associations, à travers tout le Maroc. J’ai fait le choix de ne rien gagner avec ça. Je voulais vraiment qu’on améliore les conditions de vie de ceux et celles qui produisent ces produits locaux, en leur achetant des machines ou en amenant chez eux des formateurs.

On est maintenant à 80 références, avec une plateforme sur Biarritz et on exporte un peu partout en Europe. Au début, on n’avait pas pensé au marché local, estimant à tort que les gens connaissaient les produits et leurs lieux de vente. Mais aujourd’hui, face à la demande, on est dans les épiceries fines du pays et nombreux sont ceux qui ont adhéré à notre démarche.

-Il n’y a pas au Maroc, comme en Europe, de guides qui attribuent des étoiles et qui permettent aux clients des restaurants de faire leur choix en toute connaissance. Est-ce que ce n’est pas dommage?

-Les guides comme le Michelin ne viennent pas en Afrique, alors qu’ils vont en Asie ou sur le continent américain! C’est très dommage car c’est ce qui pourrait tirer les restaurants marocains vers le haut, avec une vraie concurrence constructive. C’est peut-être un travail que l’on devrait faire avec les politiques ou au moins avec le ministère de tutelle. On peut leur proposer des idées, mais à eux de nous suivre sur ce terrain. Si les guides comme le Michelin ne veulent pas venir au Maroc, à nous de prendre l’initiative et de le faire nous-mêmes.

-Pour faire votre métier, il faut être passionné. C’est votre cas. Mais faut-il aussi être gourmand?

-Moi, je suis une vraie gourmande! J’adore plein de choses et je finis mon repas de midi en me disant: "Qu’est-ce que je vais manger ce soir?" Si je n’étais pas comme cela, je crois que je ne pourrais pas faire ce métier tous les jours.

-Avec ce restaurant du Mandarin Oriental, vous allez être très souvent à Marrakech. Votre mari et vote fille sont à Casa. Ce n’est pas trop difficile à gérer, sur un plan personnel?

-Ma fille a aujourd’hui 13 ans. Elle a toujours eu l’habitude de me voir bouger puisque je partais souvent à l’étranger. On passe peu de temps ensemble, mais on compense le fait qu’on se voit peu par la qualité de notre relation. Et puis, elle a son père à ses côtés.

Mon mari, qui est lui aussi restaurateur de formation (on s’est rencontrés dans les cuisines du Majestic), a quitté les fourneaux depuis longtemps. Déjà, à la Maison du Gourmet, j’étais en cuisine et lui en salle. Aujourd’hui, il gère mes activités de formation et de conseil à Casablanca. Il est donc le plus souvent à la maison, auprès de notre fille…

-L’homme à la maison et la femme au travail à l’extérieur. Le Maroc change dans ses mentalités, et vous en êtes un exemple vivant…

-Je ne sais pas si le Maroc change… Mais de toute façon, je n’ai jamais rien fait comme tout le monde!

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