Khadija Rouissi menacée de mort pour ses positions en faveur de la liberté

Quatre grandes figures de la société civile et des médias ont reçu depuis une dizaine de jours, des menaces explicites, en raison de leurs positions sur l’affaire Charlie Hebdo.

Khadija Rouissi menacée de mort pour ses positions en faveur de la liberté

Le 25 janvier 2015 à 16h26

Modifié 11 avril 2021 à 2h36

Quatre grandes figures de la société civile et des médias ont reçu depuis une dizaine de jours, des menaces explicites, en raison de leurs positions sur l’affaire Charlie Hebdo.

C’est une première et un signal qu’il faut prendre au sérieux.

Les quatre victimes de menaces de morts sont Khadija Rouissi, célèbre militante des droits humains, Najwa Koukous qui a eu le tort de la soutenir et qui l’accompagne dans différentes actions, Zineb Ghazoui (journaliste marocaine à Charlie Hebdo) et Jawad Benaissi.

Khadija Rouissi qui s’est au départ inquiétée, s’est rapidement ressaisie, raconte-t-elle à Médias 24. “Nous ne devons pas avoir peur. Nous devons unir nos forces et continuer le combat“, déclare-t-elle sur un ton tranquille qui traduit sa détermination intacte.

Probablement en raison de son soutien exprimé à Zineb Ghazoui, à Jawad Benaissi et de sa solidarité avec les victimes des attentats de Paris, Khadija Rouissi a été la cible de menaces continues provenant d’une cinquantaine de comptes Twitter. La simultanéité des assauts, le nombre élevé d’auteurs de menaces, montre qu’il y a coordination et concertation.

Les menaces à l’encontre de Khadija Rouissi ont commencé lundi 19 janvier. La veille, elle avait tweeté : “les menaces contre Zineb Ghazoui et Jawad Benaissi sont des actes terroristes“. Elle avait également et à plusieurs reprises exprimé des positions en faveur de la liberté d’expression, “non négociable“, et en solidarité avec les victimes des terroristes.

“Es-tu athée?“ lui demande un correspondant anonyme. “Avoue“, ajoute-t-il. Elle reçoit en messagerie privée, des photos de têtes décapitées. On lui promet le même sort.

Un autre correspondant : “Je te connais bien et nos routes se sont croisées plusieurs fois. C’est moi qui suis chargé de te tuer. Tu seras égorgée“.

Jeudi, elle a déposé plainte et a été écoutée par la BNPJ, brigade nationale de la police judiciaire.

Médias 24 exprime sa solidarité inconditionnelle aux quatre victimes de menaces.

Le Maroc peut mieux faire

Le Maroc est unanimement cité comme un exemple en matière de lutte contre le terrorisme. A raison, mais cette réputation il la doit à la qualité de son dispositif sécuritaire et de la gestion du champ religieux. En dehors de ces deux éléments, certes décisifs, c’est un peu le désert.

Il faut en effet comprendre que la radicalisation est un processus, et que ce processus comprend plusieurs maillons, comme une chaîne. Ou plutôt comme un escalier: chaque étape est une marche, un palier.

Dans cette chaîne, tous les maillons sont importants. Pour reprendre un concept à la mode, cette chaîne est un écosystème. Diffuser la haine de l’Autre (celui qui deviendra une cible), le déshumaniser,  émettre une fatwa d’apostasie, fournir un soutien logistique, ou passer soi même à l’acte c’est un peu la même chose. Sans diffusion de la haine, sans soutien logistique, sans fatwa, il n’y a jamais de passage à l’acte.  L’acte terroriste est un aboutissement. Il faut remonter toute la chaîne.

-On ne connaît pas réellement le “pourquoi“ de la radicalisation: on a pensé à l’exclusion sociale et à la pauvreté, mais la majorité écrasante des jihadistes viennent de couches moyennes. Par contre, les chercheurs ont fourni d’intéressantes observations sur le “comment“ du passage à l’acte.

-Il existe des prédispositions disons culturelles, mais elles ne sont pas suffisantes: absence de spiritualité, nécessité ou souhait d’un engagement, exclusions diverses, sentiment d’humiliation attisé par le conflit en Palestine, problèmes identitaires non résolus, absence d’esprit critique et de culture des droits humains.

-La première étape se déroule dans le milieu proche, quartier, amis, camarades, famille, mosquée. Et, parallèlement, sur les réseaux sociaux et plus généralement sur le web et sur les chaînes de télévision religieuses. Elle consiste à attiser la haine de la future cible: l’Occident, l’impie, l’apostat, ainsi que tous les musulmans non-radicaux, qualifiés de complices de l’Occident.

L’Occident assiège un monde musulman pacifique et agressé. Les photos des victimes, réelles ou maquillées, de préférence civiles, circulent à grande échelle. Progressivement, s’imposera l’idée qu’il faut leur venir en aide. Et cette idée finira par s’imposer comme une obligation religieuse.

-Cette haine crée une forte tension. Mais le lien social est là, fort et l’idéologie salafiste, ainsi que l’exaltation des “victoires“ remportées (comme celles de Da’ech). Jusqu’à ce stade, on est seulement sympathisant. La violence est glorifiée, qu’elle aboutisse à des victoires ou à des défaites, car la défaite c’est le martyre. L’ennemi est déshumanisé : sur les réseaux de propagande, il n’est jamais désigné par son nom, les noms sont déformés, on recourt plus volontiers à des noms d’animaux ou des invocations du diable. La déshumanisation facilite l’acceptation du meurtre.

-Commence alors l’endoctrinement. Il sera suivi par l’engagement. L’engagement ne signifie pas obligatoirement théâtre de combats, violences ou attentats. Il peut aboutir au recrutement, au soutien logistique ou à la propagande, maillons indispensables de l’ensemble.

-L’engagement est généralement suivi par un serment d’allégeance. Il s’agit d’un lien indissoluble, par lequel le chef obtient une obéissance aveugle.

-Dans les dernières étapes, la fatwa jouera un rôle décisif pour enlever toute inhibition, car l’être humain n’est pas capable de tuer de sang froid. L’emprise est telle sur les recrues, que l’on va au-delà du meurtre de masse: sont mis en scène et exaltés, la cruauté, le raffinement dans le meurtre, l’usage du couteau plutôt que des balles et tout ce qui est susceptible de terroriser l’ennemi.

Les lacunes de la loi anti-terroriste

Au Maroc, ces différentes étapes sont-elles toutes suffisamment contrées? La période qui a été inaugurée par l’avènement de Da’ech est bien plus dangereuse que celle qui est née des attentats du 11 septembre. Le gouvernement a-t-il pris toute la mesure de la situation?

Sur le plan sécuritaire et sur le plan de la gestion du champ religieux, le Maroc mérite les lauriers qui lui sont tressés. Mais dans le domaine de l’enseignement? Les programmes véhiculent-ils réellement une vision moderne du monde? Sont-ils exempts de tout substrat qui prédispose à la radicalisation?

De même, sur le plan judiciaire, l’arsenal répressif est-il efficace? Est-il complet?

Mercredi 21 janvier, la Chambre des Représentants a adopté en première lecture le projet de loi anti-terroriste. Ce texte élargit le champ des sanctions aux camps d’entraînement, au fait de rejoindre des groupes terroristes à l’étranger, et enfin à l’apologie d’entités ou de groupes terroristes. Le Maroc s’est même doté avec ce texte de la compétence universelle dans le domaine des actes terroriustes même s’ils ont été commis à l’étranger par des non Marocains et qu’ils ne visaient pas des citoyens ou des intérêts marocains.

Mais, ce projet de loi a apporté deux grosses déceptions :

-l’extension du champ de la loi reste limitée et ne tient pas compte de la totalité des maillons de la chaîne décrits ci-dessus. Par exemple, l’usage de la religion à des fins violentes n’est nulle part considéré comme un acte terroriste. Ni le fait d’apostasier, de condamner à mort, d’émettre des fatwas au profit de groupes terroristes ou encore d’émettre des menaces en les justifiant par des versets du Coran.

-les représentants ont cru bon –et à l’unanimité au sein de la commission parlementaire- de réduire les sanctions: 5 à 10 ans de réclusion au lieu de 5 à 15 ans dans un cas et de 30 ans à la mort dans d’autres cas. Par les temps qui courent, est-ce la bonne réponse?


 

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