La cérémonie d'allégeance samedi soir à Derna et en bas, la parade militaire.

Vendredi après-midi, 3 octobre, à l’issue de la grande prière hebdomadaire, une colonne de 4x4 armés et transportant des jihadistes, effectue une parade dans les rues de la jolie ville méditerranéenne de la Libye orientale, Derna.

Les hommes armés appartiennent au  “Majless choura shabab al islam“, un conseil autoproclamé qui dirige la ville depuis deux ans et qui est composé de quelques groupes ou groupuscules jihadistes.

Les infos qui circulent sur le web convergent vers l’annonce de l’allégeance du Conseil et de la ville à Da'ech. En fait, il faudra attendre le lendemain pour qu ecela soit officialisé.

Samedi matin, des affichettes en noir et blanc sont placardées dans la ville et circulent sur le net: les habitants sont appelés à se réunir sur la place des “sahaba“ (compagnons du Prophète) après la prière du Icha, pour différentes questions, dont une conférence sur l’Islam.

En réalité, il est demandé aux habitants réunis, et venus massivement, de s’inscrire dans un acte d’allégeance écrit, dont copie se trouve au tribunal islamique de la ville. Ce tribunal a été créé par le Conseil. Il prononce ses sentences selon ce qu’il croit être la sharia, la loi islamique.

D’après des sources crédibles dans la ville et en Libye, les inscriptions ne sont pas négligeables. Peur? Adhésion? Instinct grégaire? Il est trop tôt pour le dire.

Avant la ville de Derna, les deux allégeances crédibles et signifiantes, furent celles de Jound Al Khilafa, un groupe terroriste algérien de quelques dizaines de membre implanté en Kabylie et qui a commis la décapitation d’un touriste français; et celle de Katibat Oqba Ibnou Nafii, un groupe terroriste très cruel, dirigé par des Algériens et implanté dans la montagne tunisienne, coupable de plusieurs attentats atroces contre des militaires tunisiens.

Avec Derna, c’est la première fois qu’un territoire, aussi limité soit-il, fait allégeance et annonce qu’il fait désormais partie de ce qu’on appelle l’Etat islamique.

Ci-dessous, la vidéo du vendredi 3 octobre, montrant la parade dus forces du Conseil. Nous la diffusons car elle montre que les jihadistes, tout en contrôlant la ville, ne disposent que de moyens très limités.

Samedi en fin d’après-midi, peu avant la réunion publique convoquée par le Conseil, l’aviation militaire libyenne a bombardé des positions du Conseil jihadiste, comme pour livrer un message de détermination avant la réunion d’allégeance.

La Libye comporte de solides bastions jihadistes : Derna, Benghazi contrôlée par Ansar Sharia (présents en Libye, en Tunisie et au Yémen), Misrata, Tripoli ainsi que le sud, livré à divers groupes dont celui de Mokhtar Belmokhtar.

L’allégeance de Derna n’est pas grave en soi, c’est la dynamique qui l’est. La Libye vit déjà une situation de chaos, cela peut s’aggraver avec l’arrivée de Daesh.

Le public du Raja: légèreté ou intox?

Dans le Maghreb dit central, Tunisie, Algérie, Maroc, Daesh ne semble pas avoir de réelle implantation populaire ni de grandes sympathies. Quant à l’implantation de mouvements armés, elle n’existe qu’en Tunisie et Algérie.

On a beau chercher sur le web, les manifestations de sympathie, fut-ce sur Facebook ou Twitter, sont rarissimes. C’est comme si les sympathisants ont préféré rejoindre les rangs de Daesh, plutôt que de rester inactifs.

Les voix les plus connues au Maroc sont celles de Fathia Mejjati qui vit actuellement à Raqqa, capitale de Daesh. Son compte Twitter est régulièrement supprimé. Les quelques posts qu’on lui connaît consistent à contribuer à semer la haine et attiser les violences.

Le second compte qui vient d’être fermé est celui d’un prédicateur à la recherche de la gloire, Abderrazaq Ajaha, installé dans le nord du Maroc.

Une vidéo mise en ligne il y a une semaine a toutefois fait le buzz. Elle montre une partie du public du Raja criant “Da'ech, Da'ech“, et appelant au jihad. La séquence dure une quarantaine de secondes. Médias 24 n’a pas pu s’assurer de son authenticité et n’exclut pas un montage avec de vraies images et une fausse bande son car les supporters censés crier en faveur de Daesh ne sont filmés que de dos.

Cette vidéo a été exploitée sur les forums jihadistes, comme nous avons pu le constater, pour laisser croire que Da'ech a des sympathies populaires au Maroc.

Quoi qu’il en soit, si cette vidéo est authentique, elle témoignerait uniquement d’un sentiment de colère à l’issue d’un match perdu. Quelques médias populaires aidant, le mot Da'ech s’est banalisé et on voit bien que les choses sont prises avec légèreté alors que le sujet est sérieux et vital. Le monde arabo musulman vit une sorte de troisième guerre mondiale. Le Maroc est épargné. Faisons en sorte qu’il le reste.