Banques participatives au Maroc : ce qui va changer

Que prévoit le projet de loi bancaire pour les banques "islamiques" ? Quels sont les produits prévus ? Quel est le rôle du Conseil supérieur des Oulémas et de Bank Al Maghrib… Entretien avec Abderrahmane Belbachir, consultant en finance islamique, partner à Al Maali Consulting Group.    

Banques participatives au Maroc : ce qui va changer

Le 3 juillet 2014 à 15h42

Modifié 3 juillet 2014 à 15h42

Que prévoit le projet de loi bancaire pour les banques "islamiques" ? Quels sont les produits prévus ? Quel est le rôle du Conseil supérieur des Oulémas et de Bank Al Maghrib… Entretien avec Abderrahmane Belbachir, consultant en finance islamique, partner à Al Maali Consulting Group.    

Le projet de loi bancaire vient d'être adopté par la première chambre. Qu'apporte-t-il concrètement en matière de finance participative? 

Le nouveau projet de loi bancaire inclut à côté des banques conventionnelles une nouvelle catégorie de banques dites participatives dont l'activité et l'offre de produits doivent être conformes aux préceptes de la charia islamique.
C'est le premier cadre législatif pour la finance participative au Maroc. C’est une sécurité juridique importante pour les différents acteurs : les banques, les clients et les investisseurs notamment. Ce cadre juridique, une fois promulgué, permettra au Maroc d’octroyer des licences à des banques participatives à part entière, ce qui n’était pas le cas avec la circulaire de 2007 sur les produits alternatifs.

Quelles sont vos remarques sur ce projet de loi ?

Le Maroc a choisi, à l'instar de pays comme la Jordanie, le Koweït ou la Turquie, d'avoir une seule loi bancaire incluant un chapitre sur les banques participatives, plutôt que deux lois séparées dans un souci de cohérence et d'harmonisation de l'offre du secteur bancaire.

Notons qu’il s’agit, nous dit-on, d’un des textes qui a été des plus commenté de notre histoire parlementaire. Ce qui indique que les attentes sont grandes. Certains amendements ont été apportés au premier texte. Certes on peut regretter qu’il s’agisse d’un texte minimaliste - 17 articles dédiés - mais qui doit à notre sens rapidement être complété par des circulaires d’application de Bank Al Maghrib. C’est en tout cas l’engagement pris par celle-ci.

Il faudra cependant observer l’efficacité de sa  complémentarité et même sa duplicité avec le Conseil supérieur des Oulémas avant de pouvoir se prononcer.

Quid des six produits prévus par ce même projet ?

Les 6 produits mentionnés dans le texte, à savoir mourabaha, ijara, mousharaka, moudaraba, salam et istisnâa, sont les produits les plus couramment utilisés par la finance islamique, mais il faut préciser qu'ils ne sont mentionnés qu'à titre indicatif, ce qui veut dire que les banques ont la possibilité de proposer bien d'autres produits à condition toutefois d'être validées par Bank Al Maghrib après avis conforme du Conseil supérieur des Oulémas. Là seront testées l’ingéniosité et la créativité de ces nouvelles banques participatives (ou guichets).

Permettra-t-il de donner l'élan souhaité aux produits dits alternatifs?

Essayons de tourner la page des produits alternatifs qui ne peut être prise comme  référence suite aux nombreuses hésitations et au manque de clarté et de vision.  

Tirons les conclusions de cette étape et gageons que nous ne ferons plus les mêmes erreurs. Le plus difficile sera de rétablir la confiance avec les clients.  Certes, les enquêtes ont démontré que très peu de Marocains étaient au courant de l’existence de ces produits dits alternatifs. Mais avec la nouvelle loi, nous nous inscrivons dans une autre perspective et certainement une autre dynamique. Nous passons de l’alternatif au participatif. Les mêmes enquêtes ont démontré un intérêt certain de nos concitoyens pour la finance islamique.

En outre, les analystes internationaux considèrent le marché marocain comme des plus prometteurs. On peut dès lors s’attendre à un élan favorable tout en restant prudent, il reste encore des inconnues auxquelles devront répondre rapidement les principaux acteurs concernés à savoir les banques participatives, la Banque du Maroc et bien sûr le Conseil supérieur des Oulémas.

Qu'est ce qui va changer pour les clients ?

Nous sommes dans une nouvelle vision avec cette fois-ci un texte de loi qui ne peut que rassurer le client. Ensuite, certainement une plus grande transparence qui a largement fait défaut durant le lancement des produits alternatifs et la confusion engendrée pour le client. Avec l’adoption de la nouvelle loi, nous aurons des produits certifiés conformes à la charia par la plus haute instance religieuse du pays, le Conseil supérieur des Oulémas. Il y a là un signe clair pour une catégorie de clients cibles.

En termes de produits alternatifs, le client était en fait limité à un seul produit, la mourabaha. La loi donne l’occasion aux nouvelles banques participatives d’innover autour des six produits proposés et même au-delà puisque la liste n’est pas limitative. Une gamme complète et diversifiée ne pourra que stimuler l’appétit du client.

Enfin soulignons, qu’avec la possibilité d’ouvrir des comptes d’investissement, le client aura une nouvelle relation avec sa banque. Il ne sera plus le l’emprunteur mais le partenaire de sa banque. Ce qui induit un autre type de relation… c’est la nature même de la finance islamique qui  ne se limite pas à la seule interdiction de l’intérêt. Le banquier et le client seront-ils prêts à sortir de la logique « conventionnelle » pour s’inscrire dans la  nouvelle vision participative ? C’est notre légère crainte pour la phase de lancement. Pour un public largement non initié, le succès passera par une clarté de l’information et un accompagnement pédagogique.

Comment se fera le contrôle par Bank Al Maghrib? Quel sera son pouvoir réel?

Bank Al Maghrib, qui est l'organe de supervision, participe naturellement à l'élaboration de ce nouveau cadre réglementaire (projet de loi et textes d'application). Son rôle sera l'octroi des agréments des banques participatives mais aussi leur supervision, à l'instar des banques conventionnelles. Cependant, étant donné la nature des banques participatives, il y aura également un contrôle plus approprié pour certaines questions prudentielles liées à la gestion du risque spécifique. Bank Al Maghrib devra également mettre en place les mesures d'accompagnement pour le développement de la finance participative au Maroc.

Idem pour le Conseil supérieur des Oulémas. Quel sera exactement son pouvoir? Et quelle différence avec le système du sharia board ?

Il s’agit là d’une spécificité pour les institutions participatives. La loi stipule  clairement que le Conseil supérieur des Oulémas sera l’instance en charge de la conformité des produits commercialisés par les banques participatives. Concrètement, tout produit devra être avalisé quant à sa conformité par l’instance avant de pouvoir être commercialisé. Une garantie importante pour le client.

Nous pensons que le Maroc a fait le bon choix en concentrant la conformité au sein d’une instance unique et nationale et non le choix d’un sharia board par banque. Ce choix ne manquera pas d’apporter une certaine harmonie dans la pratique du secteur et évitera les divergences. Nous ne savons que très peu de choses pour le moment en ce qui concerne son mode de fonctionnement, si ce n’est l’appel à des experts des métiers de la finance en appui à leur travail purement religieux. 

La loi autorise les banques participatives à émettre des produits d'assurance ou d'assistance. Quelles seront les caractéristiques de ces produits? Quelles différences par rapport aux produits classiques?  

L’offre de produits d’assurance takaful est indispensable pour compléter l’offre de produits bancaires conformes à la charia. Il s'agit d'une forme de produits d'assurance ou d'assistance qui revêt la forme de garantie mutuelle et dont les fonds sont investis conformément au droit islamique.

Au Maroc, l’amendement de la loi n° 17-99 portant Code des assurances devrait permettre d’inclure des dispositions relatives à la réglementation du takaful.

Qu’en est-il des règles prudentielles propres aux banques participatives? 

Le Maroc adhère à une série de réglementations internationales qui encadrent l’activité des institutions de crédit, notamment le Comité de Bâle. Les banques participatives entrant dans le cadre de la supervision bancaire devront par conséquent aussi répondre à ces exigences.

Etant donné certaines spécificités des banques participatives, principalement au niveau de la gestion des risques, une instance particulière, l’IFSB (Islamic Financial Service Board) a déjà promulgué une série de normes spécifiques. Notre pays étant membre de cette instance dont le siège est en Malaisie, il devrait normalement tenir compte de ces normes spécifiques.

Un fonds de garantie des dépôts sera mise en place. Quel sera son statut, son autorité, son fonctionnement et sa composition? 

Ici également et du fait de la spécificité des banques participatives, le texte de loi stipule la mise sur pieds d’un fonds de garantie des dépôts des banques participatives, un fonds distinct de celui des banques classiques qui sera conforme aux normes  de la charia.

Il est destiné à indemniser les déposants des banques participatives en cas d’indisponibilité de leurs dépôts et de tous autres fonds remboursables. Ce fonds peut également, à titre préventif et exceptionnel, accorder à une banque participative en difficulté et dans la limite de ses ressources, des concours remboursables ou prendre une participation dans son capital. Ce type de fonds de garantie existe déjà dans d’autres pays comme la Malaisie.

Quelles sont les conclusions du rapport élaboré récemment par Al Maali Consulting Group sur la finance islamique?

Le rapport consacré à l'état des lieux et aux perspectives de la finance islamique au Maroc a été élaboré par Thomson Reuters, avec un partenariat stratégique de Al Maali Consulting Group. Il a estimé que le développement de cette industrie  permettra d’atteindre à court terme - d'ici 2018 - entre 3 et 5% du total des actifs bancaires au Maroc, soit un potentiel total d’environ 70 milliards de dirhams.

Pour ce faire, on insiste sur la nécessité de développer un plan stratégique sur 5 à 10 ans fondé sur la base d’une vision claire  afin de donner un signal fort au marché et aux investisseurs.

Il attire par ailleurs l’attention sur le fait que le Maroc est bien positionné pour attirer les investissements étrangers et les flux de capitaux bancaires des investisseurs islamiques du Moyen Orient et de Malaisie.

Le Maroc dispose aussi de conditions idoines pour se positionner en tant que Hub Africain de la finance islamique et d'attirer une partie des liquidités.

De nombreux secteurs économiques en particulier l’industrie financière ont adopté une stratégie régionale et sont devenus des acteurs clés en Afrique. 
Il s'agit donc bien d'une opportunité historique à saisir pour le Maroc.


 

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