Art : les faussaires frappent au Maroc

Les deux dernières affaires de faux touchant des œuvres de Hamri et Melehi mettent en lumière un phénomène en pleine expansion. Le préjudice est lourd pour les collectionneurs, pour les artistes et plus généralement pour le développement du marché de l’art.  

Art : les faussaires frappent au Maroc

Le 1 octobre 2013 à 12h12

Modifié 1 octobre 2013 à 12h12

Les deux dernières affaires de faux touchant des œuvres de Hamri et Melehi mettent en lumière un phénomène en pleine expansion. Le préjudice est lourd pour les collectionneurs, pour les artistes et plus généralement pour le développement du marché de l’art.  

Depuis le début de cet été 2013, au moins deux importantes affaires de faux tableaux de Mohamed Hamri (1932-2000) et de Mohamed Melehi sont venues perturber la perception du marché de l’art à Tanger.

A la fin de cet été, le propriétaire de la galerie Dar D’Art a reçu la visite d’un homme avec 2 faux tableaux de l’artiste sous le bras agrémentés d’une fausse signature (voir photo) de l’artiste Melehi apposée à l’arrière !

Or, là où une authentique toile de Melehi de 150 cm par 120 cm peut valoir 120 ou 130.000 DH, un faux vaut… 20, 25 ou 30.000 DH.

Dans le cas de Mohamed Hamri, alors que la galerie Lusko de Tanger préparait à la veille de l’été dernier une vente aux enchères avec un tableau de Hamri au catalogue, la veuve américaine du peintre qui réside à Tanger, Blanca Hamri a été avertie du fait. Mme Hamri contactera immédiatement le directeur de la galerie le décorateur Luciano Monti lui enjoignant de retirer le tableau de la vente, ce que celui-ci fait.

Interrogé sur cet épisode, Luciano Monti pense que ce tableau, « Les Gnaoua », n’était pas un faux, mais il a préféré le retirer de la vente et « éviter un malentendu ou un scandale ».

Des écarts de prix qui mettent la puce à l’oreille

La différence entre une toile authentique et fausse de Hamri (100 cm par 70 cm) peut aller de 100.000 DH à 15 ou 20.000 DH. Assez pour nourrir son faussaire, mais une vraie atteinte à l’intégrité de l’œuvre d’artistes renommés. Ainsi, estimé à 130-150.000 DH lors d’une vente aux enchères récente,  le tableau « Cavaliers de la fantasia » de Hamri s’est finalement vendu à 300.000 DH.

Selon l’artiste et président de l’Association marocaine des arts plastiques (AMAP) Mohamed Melehi et le directeur de la galerie tangéroise Dar D’Art Bentaouit Chokri, le faux touche large : les œuvres de Cherkaoui, Gharbaoui ou encoreEl Glaoui, Ben Cheffaj, Chaïbia, Drissi et Kacimi. Peu d’artistes marocains sont épargnés.

Même la petite Chaouen commence à se faire connaître pour ses fausses œuvres de Mohamed Drissi (1946-2003), peintre établi à Casablanca dans les années 80, puis à Tanger dans les années 90 et 2000.

Melehi rapporte ainsi l’histoire de l’épouse de Noureddine Saïl, Nadia Larguet, qui a acheté un tableau de Jilali Gharbaoui (1930-1971) à un prix si bas que son mari a préféré le faire vite expertiser. Il se révélera être un faux.

Gharbaoui dépasse le million de DH aux enchères

Selon des chiffres disponibles sur le site web de la maison de ventes aux enchères casablancaise la Compagnie marocaine des oeuvres et objets d’art (CMOOA), une toile de Jilali Gharbaoui s’est ainsi vendue à 1,1 MDH en 2012. Une composition de Mohamed Kacimi s’est vendue à 465.000 DH là où elle était estimée à 200-250.000 DH. Un tableau de la peintre naïve Fatima Hassan Farouj s’est vendu à 225.000 DH et une composition d’Abdelkebir Rabi à 550.000 DH contre une estimation inférieure à 400.000 DH. C’est dire l’ampleur des sommes en jeu dans ce secteur des affaires qui reste entouré de beaucoup d’opacité.

Selon Bentaouit Chokri de la Galerie Dar d’Art, « le marché annuel peut aujourd’hui être estimé à 400 MDH, ventes aux enchères et ventes en galeries inclus ».

Pour le galeriste italien Luciano Monti (galerie Lusko), « les héritiers tendent à toujours créer le doute sur les œuvres des artistes ». Pourtant, l’intérêt des héritiers d’un artiste, comme celui d’un artiste de son vivant, est de voir l’œuvre artistique authentique valorisé par une lutte sans complaisance contre le faux.

Une destruction de faux qui n’a rien changé

Mohamed Melehi, qui a vu un très grand nombre de faux depuis 25 ans, « même par centaines dans un bazar à Bab El Had à Rabat », est également désabusé « par les complicités autour du phénomène. » Il constate que rien n’a changé depuis 2 ans, depuis le fameux tableau détruit publiquement par la direction de la CMOOA à Casablanca en mars 2012. Pour le peintre zaïlachi aujourd’hui vivant entre Tanger et Marrakech, « les artistes ne sont pas organisés, les galeries non plus, ni la profession d’experts et aucune loi ne traite du sujet ».

La précédente fois remonte à avril 2012 lorsque la CMOOA se vit retourner un tableau de Melehi acheté par un de ses clients. Le tableau était un faux et il fut détruit en public. Un peu comme ce que l’on fait avec les saisies de drogue sans que cela n’arrête ni la production, ni le trafic.

Contactée par Médias 24, Blanca Hamri sait que « des faussaires imitent et tentent de revendre du faux  Hamri ». Peintre établi à Tanger depuis les années 1960, Hamri, originaire du Rif a développé un style figuratif et naïf très apprécié des amateurs de la peinture réaliste marocaine.

Etre copié : une forme de reconnaissance….

« Etre copié, m’indique un collectionneur, c’est aussi être flatté, être consacré quelque part », notamment pour des artistes avec du talent mais qui peinent à vendre leur art aussi bien qu’ils le voudraient. Mais pour Blanca Hamri « il y a heureusement très peu de faux Hamri et le prix n’en a pas été affecté ». Mais l’une des caractéristiques du faux, c’est qu’on ne sait pas toujours combien il y en a…

Quant à Mohamed Melehi, lorsque je l’interroge sur ses sentiments à la vue de 2 faux tableaux apportés en ce mois de septembre 2013 à la galerie Dar d’Art par un dealer en art local pour y être revendus, il répond de deux mots : « La rage ».

Exposer le faux pour reconnaître le vrai ?

Selon les galeristes et les collectionneurs contactés à Tanger, le problème de l’expertise des tableaux se pose puisque seuls deux experts sont reconnus, les peintres Karim Bennani et Abdellatif Zine, de fait juges et parties. Mais même eux sont contestés. Du coup, des professionnels font appel au peintre Fouad Bellamine ou à des héritiers connaisseurs de l’œuvre d’un artiste décédé. Il n’en reste pas moins qu’aucune formation à l’expertise en art n’existe au Maroc.

Selon Melehi, « le ministère de la Culture peut agir en suscitant un vrai débat sur le sujet et en interpelant le ministère de la Justice sur cette situation ». Par ailleurs, l’actuelle mise en place de la Fondation nationale des musées du Maroc (dirigée par l’artiste Mehdi Qotbi) devrait permettre la mise en place de ce que la profession appelle des « catalogues raisonnés », c’est-à-dire des catalogues de l’ensemble des œuvres de chaque artiste.

Autre idée qui trotte dans l’air : organiser une exposition du faux et saisir l’occasion pour mettre les sujets qui fâchent les faussaires, certains galeristes et certains experts sur la place publique. Enfin, il reste aussi certaines pratiques étrangères à imiter (sic) : on peut copier un tableau en n’oubliant pas d’ajouter la mention « d’après (nom de l’artiste) ». Ou bien comme cela se fait pour des tableaux exposés dans les grands musées européens, autoriser la copie de peintres amateurs sur des toiles de dimensions différentes de celles de l’œuvre originale. « Enfin, considère Melehi, on peut considérer le faux comme de l’underground et lui donner un statut à part, valorisant pour tout le monde ».


 

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