Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Variations sur l’air du temps

Le 13 janvier 2023 à 10h40

Modifié 13 janvier 2023 à 10h40

Une mode vient généralement pour épouser l’air du temps. La mode. Cette manière de se comporter, de s’habiller ou de penser raconte les valeurs, les aspirations ou les idéaux d’une société et en compose le récit à un moment donné. Cependant, les modes vont et viennent, voyagent et se démodent. Mais, comme disait l’écrivain tchèque Milan Kundera, cité ici de mémoire, suivre "l’air du temps est une ambition de feuille morte."

Cette citation cadre bien avec une grande partie de ce qu’est devenu l’air du temps aujourd’hui, ici et ailleurs, à l’heure d’une humanité ouvertement connectée à haut débit, qui débat et qui se débat dans le bruit et la fureur. Cultivant l’oxymore jusqu’à l’absurde, disruptifs ou naviguant à vue, nous nous accommodons d’un air du temps intempestif et de ses innombrables divagations. Pour surenchérir et filer la métaphore, suivant celle de Kundera citée ci-dessus, disons que "les feuilles mortes se ramassent à la pelle", comme dit la belle chanson tirée d’un poème de Jacques Prévert. Et le poète, auteur de "Paroles" d’ajouter : "Tu vois, je n’ai pas oublié/ Les feuilles mortes se ramassent à la pelle/ Les souvenirs et les regrets aussi".

Non, ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit lorsqu’on se souvient de l’air du temps du monde d’hier tel qu’il était. Peut-être stagnant, sans doute moins bruyant et certainement pas toujours désespérément désenchanteur, comme s’en souviennent ceux qui voulaient le changer. Nombre d’entre eux, de par le monde, sont aujourd’hui en congé de convictions. Le cercle des idées, autant que le siècle qui les a enfantés, se sont refermés sur eux-mêmes. La gauche a glissé vers la droite et celle-ci vers la gauche. Le centre a disparu et la boucle est bouclée. Tous ceux qui sont restés à la marge sont eux également en vacances d’opinions. Un auteur de talent, Oscar Wild, qui a vécu à la marge bien avant, avait fait ce constat cynique et peu riant mais ouvert sur une probable espérance : "Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains regardent les étoiles." Mais qui regarde encore les étoiles?

En tout cas pas ceux qui ont fait parler (ou rire) d’eux ces derniers jours lors d’une actualité digne de l’air du temps qui prévaut de nos jours. D’abord ce ministre du commerce algérien qui a lancé une campagne pour l’interdiction de tous les "produits qui portent des couleurs et des symboles contraires à la morale." Prenant comme exemple "avisé" l’interdiction par le Qatar des drapeaux et autres signes de ralliement adoptés par la communauté LGTB, lors de la Coupe du monde, le responsable du commerce s’est transformé en imam en charge des âmes et dénoncé ce qu’il considère comme une "atteinte à la croyance religieuse et aux valeurs morales de la société algérienne." Son décret-fetwa a été mis en œuvre illico presto et voilà des fonctionnaires de son département qui investissent des écoles pour "sensibiliser" des enfants contre ces couleurs sataniques, qui sont en fait celles de l’arc-en-ciel. Cette décision a fait rire la toile en Algérie et au-delà, jusque dans les temples du Tibet où des bonzes hilares ont dû se fendre la pêche entre deux mantras. Bien sûr, les enfants victimes de ce détournement de couleurs n’auront jamais su à quoi ni à qui renvoyait cet arc-en-ciel soudainement honni. Encore une feuille morte rapporté par l’air d’un temps vicié…

Dans le même désordre d’idées de l’air du temps, l’affaire "Michel Houellebecq-Mosquée de Paris." Il fallait peut-être s’y attendre depuis que l’auteur du roman "Soumission" multiplie les sorties contre l’islam et les Musulmans lors de diverses et intempestives interventions dans les médias. La dernière en date est une longue discussion avec le compulsif et impulsif philosophe français, Michel Onfray retranscrite par la revue de ce dernier, "Front populaire". Michel et Michel, comme deux beaufs dans un café de commerce ,ont échangé devant une bouteille de vin et un plateau de fromage sur tous les sujets : sur l’air du temps, le déclin de la France et, par ricochet, sur l’Islam, devenu une sorte de "point Godwin" par les temps qui courent. Comme une suite à son roman dystopique, "Soumission",  où Houellebecq avait imaginé l’arrivé à la présidence en France d’un Musulman, le romancier pense (et ici ce n’est pas de la fiction) que "quand les territoires français entiers seront sous contrôle islamiques, des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les Musulmans, bref des Bataclan à ‘envers." Suites à ces vaticinations avinées, le recteur de la Mosquée de Paris a déposé une plainte devant le procureur de la République pour des propos considérés comme "étant une provocation à la haine contre les Musulmans." Mais après une médiation du Grand rabbin de Paris, le recteur de la Mosquée de Paris a retiré sa plainte et le romancier a reconnu que les "paragraphes concernés sont ambigus" et a promis de les rectifier "de manière à ne pas heurter les Musulmans". Fin donc de la première saison d’un feuilleton médiatico-judiciaire rapporté par cet air du temps dont les feuilles mortes se ramassent à la pelle ou à la peine…

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