Nezha Lahrichi

Administratrice indépendante BOA Group BMCE, ex-présidente du Conseil national du commerce extérieur, ex-conseillère du Premier ministre

Une nouvelle crise bancaire : quelles spécificités ?

Le 20 mars 2023 à 13h17

Modifié 20 mars 2023 à 13h17

Les marchés financiers tremblent après un point de départ inédit : une banque riche, 212 milliards de dollars d’actifs, qui s’effondre ! Que s’est-il passé ?

La Silicon Valley Bank (SVB), championne du financement des start-up, a fait le pari risqué d’une transformation outrancière des liquidités, inspirée par la faiblesse des rendements dans un climat de taux faibles, sinon négatifs ; d’où le choix de placer ses dépôts à vue, dont l’augmentation a été fulgurante : 86% en 2021, en bons du Trésor à 10 ans et autres obligations à long terme pour trouver du rendement.

Le changement de politique monétaire impliquant une hausse des taux d’intérêts directeurs de la Fed pour lutter contre l’inflation a produit ses effets pervers, en l’occurrence la baisse de la valeur du portefeuille obligataire des banques. Il faut préciser que les moins-values latentes ne posent problème que si l’institution concernée est contrainte de vendre ses obligations. Tel a été le cas de SVB, qui a matérialisé subitement 1,8 milliard de dollars de pertes, enclenchant le processus de la crise, soit le retrait de 42 milliards de dollars en un jour, la plus grande faillite bancaire de l’histoire nourrie par le rythme effréné des nouvelles technologies : il suffit d’un clic pour virer ses fonds ailleurs dans de grandes banques plus sûres et plus régulées.

Certes, SVB a fait le pari de la non-diversification en plaçant tous ses dépôts à vue à long terme, mais au-delà de cette question classique d’incompatibilité entre l’actif et le passif, l’élément nouveau et surprenant, c’est la rapidité de son effondrement. Il s’explique par la spécificité de sa clientèle complètement rompue aux technologies de l’information, un monde des start-up symbiotique et ultra-connecté : il a suffi que des investisseurs avertis et inquiets demandent aux start-up qu’ils financent de retirer leurs fonds pour que la nouvelle se répande comme une trainée de poudre.

Les difficultés du Crédit Suisse sont d’une autre nature

A l’ère de la banque en ligne et des réseaux sociaux, la débâcle de SVB nous enseigne la nature des crashs de demain : les Swipe Crash ! Au-delà, une question cardinale se pose : comment la Fed peut-elle concilier deux objectifs contradictoires ? Lutter contre l’inflation toujours élevée et préserver la stabilité financière. La première appréciation laisse apparaître un changement de paradigme économique, celui de la fin de l’argent facile à cause de l’inflation qui a conduit les BC à relever leurs taux directeurs. Avec la crise actuelle des banques régionales américaines, cette appréciation est remise en cause.

En effet, le sauvetage de SVB s’appuie sur une ligne de liquidité pour les banques dont les conditions sont particulièrement avantageuses et spécifiques : des taux très bas, mais surtout les titres apportés en garantie à la Fed, les bons du Trésor américains, seront acceptés à leur valeur faciale et non à leur valeur du marché contrairement à l’usage habituel, ce qui va leur permettre de ne pas vendre à perte les obligations d’Etat inscrites dans leur bilan, puisque la Fed efface ces pertes ; un quantitative easing nouvelle manière !

Un assouplissement quantitatif qui rappelle celui mis en place après la crise de 2008. Dès lors, comment concilier la grande souplesse de ce système avec la poursuite du resserrement monétaire engagé par la Fed depuis mars 2022 pour contrer l’inflation ; un tour de vis de 450 points de base le plus rapide et le plus fort depuis plusieurs années, considéré comme l’un des responsables de la crise de SVB. Le voile sur cette contradiction sera levé lors de la réunion de la Fed du 22 mars. Mais surtout, la trajectoire de la politique monétaire américaine devient incertaine. En outre, les autorités américaines ont déployé de grands moyens pour enrayer la panique en garantissant intégralement tous les déposants dépassant les 250.000 dollars protégés par le régulateur bancaire FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation).

Les difficultés du Crédit Suisse sont d’une autre nature, outre la similitude des tempêtes boursières. La seconde banque suisse a tenté de se relever d’une série de scandales qui ont terni sa réputation, en vain ! Début mars, le fonds Harris Associates, qui détient 10% du capital, a cédé l’intégralité de ses titres, illustrant son désaveu du redressement du Crédit Suisse. S’en est suivi des retraits des clients qui se chiffrent par dizaines de milliards de francs.

Mi-mars, le déclenchement de la crise, la chute du cours jusqu’à 30%, est provoqué par la déclaration de son premier actionnaire, la Saudi National Bank, qui a catégoriquement exclu de lui apporter une aide supplémentaire après l’augmentation du capital de 4 milliards de francs suisses fin 2022. La réaction des autorités bancaires a été rapide et importante : 50 milliards de francs et plus en cas de besoin. La question qui reste posée est celle de la propagation aux autres banques européennes suite aux réactions épidermiques des marchés à la crise du Crédit Suisse ; le risque de contagion semble écarté compte tenu de la solidité des banques européennes, une supervision unifiée pour la zone euro et l’application de la réglementation à partir de 30 milliards d’euros de bilan contre 250 milliards de dollars pour les Etats Unis.

A cela s’ajoute la diversification de leurs sources de financement hormis les dépôts bancaires, et le niveau record des résultats en 2022. Cependant, à tort ou à raison, les marchés croient percevoir de possibles mécanismes de transmission, Crédit Suisse étant interconnectée. Le pari est que la confiance ne soit pas rompue pour éviter les comportements irrationnels des marchés. La BCE, en poursuivant la hausse des taux directeurs, envoie un message sur la solidité du système financier européen : pas de compromis entre stabilité des prix et stabilité financière. Quid du risque de récession en 2024 ?

L’agilité préventive s’impose davantage

De nombreux observateurs s’interrogent sur le fait qu’aussi bien les experts financiers, commissaires au compte, agences de notation, etc., que les autorités de contrôle, FED et régulateur de l’Etat de Californie, n’aient pas attiré l’attention sur les risques inhérents à la situation de SVB. Les 15 milliards de pertes potentielles de son portefeuille obligataire représentaient 93% des fonds propres. L’alerte aurait dû être faite même si cette perte n’est pas comptabilisée dans le compte de résultat.

L’ensemble des éléments décrits appelle des leçons de crise : le rôle des pouvoirs publics est-il de prévenir ou de guérir ? La politique conjoncturelle doit-elle être remise en cause comme facteur de crise et/ou d’aggravation de la crise ? Prévenir passe par davantage de régulation et de supervision ; cela a été fait après la crise des subprimes en 2008, qui a failli provoquer l’effondrement total du système. Tel était l’objectif après cette crise de la Loi américaine de réforme financière Dodd Frank, mais reformée par l’équipe de régulation de Donald Trump à laquelle participait Jerome Powell, l’actuel président de la Fed.

Cette réforme s’est faite dans le sens d’un assouplissement des règles appliquées aux petites banques en matière de capitaux, de liquidités et de stress test. Le cas de SVB est venu rappeler que l’agilité préventive s’impose davantage avec la révolution numérique où les phénomènes sont exponentiels.

Quant au rachat de Crédit Suisse par UBS, qui commence à peine à récolter les fruits de ses efforts après des années de restructuration suite à la crise de 2008, il vient illustrer, s’il besoin était, le rôle décisif des Etats dans toute débâcle financière. Une responsabilité qui va au-delà des frontières tant le système financier reste globalisé, interconnecté et toujours sensible à l’irrationalité des anticipations.

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