Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Taïwan, l’île des puces

Le 19 août 2022 à 10h37

Modifié 19 août 2022 à 10h40

la Chine peut-elle encore être tentée de prendre le contrôle de Taïwan par la force, au risque de déclencher une confrontation avec les Américains qui suivent de près l’évolution de la situation? Une analyse d'Ahmed Faouzi.

"Si les États-Unis insistent à conduire à son terme la visite de la démocrate Nancy Pelosi à Taïwan, la Chine répondra résolument, et prendra des contre-mesures, nous pesons nos mots", a prévenu le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères le 22 juillet dernier. La visite a eu quand-même lieu le 3 aout, et la présidente de la Chambre des Représentants américaine n’y est restée que vingt-quatre heures qui ont donné la sueur froide à la planète entière. Fallait-il aux Américains de mener à terme cette visite et fâcher la Chine, alors que la guerre fait toujours rage en Ukraine avec l’autre adversaire, non moins virulent, la Russie ?

C’est la deuxième visite d’un président de la Chambre des Représentants américaine à Taïwan, après celle effectuée en 1997 par le républicain Newt Gingrich en mars 1997, trois mois avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine par le Royaume-Uni. A l’époque, cette visite s’était déroulée en coordination avec Pékin, et la délégation américaine a tenu à ne pas froisser les autorités chinoises. En lui rappelant cet antécédent, l’ambassadeur de Chine à Washington a répondu qu’on ne répare pas une erreur par une autre.

Depuis l’avènement du gouvernement communiste sous la houlette de Mao en 1949, et la fuite des nationalistes vaincus vers Taïwan, les relations entre États-Unis et Chine ont été émaillées de tensions plus ou moins graves. L’inventaire de ces confrontations serait long à énumérer. On peut cependant le résumer dans les points suivants :  guerre idéologique, confrontation géostratégique en Asie comme en Indopacifique, et rivalités économiques.

Durant son bref passage, et au milieu de cette tempête médiatique, Pelosi a trouvé le temps de visiter une entreprise de semi-conducteurs sur l’île, ce qui démontre l’intérêt que porte son pays au secteur. Cette industrie est devenue si stratégique que les Américains mènent une lutte sans merci pour contrer les ambitions chinoises de la dominer. Comme le reste de la planète, Pékin demeure dépendant du savoir-faire taïwanais dans le domaine des puces électroniques et autres semi-conducteurs.

C’est Taïwan qui a introduit en Chine cette industrie dès son ouverture économique sur le monde durant l’ère Deng Xiaoping. Après le choc pétrolier de 1973 le ministre taïwanais de l’économie, Sun Yun-Suan, décide de développer cette industrie. Il crée à cette fin l’institut de technologie, Industrial Technology Research Institute, ITRI, avec des hommes d’affaires travaillant aux États-Unis. Devenu Premier-ministre, il ramène un des directeurs, Morris Chang, qui a travaillé chez l’entreprise Texas instruments pour diriger le centre. Le développement de cette science aboutira à la naissance de grandes entreprises, dont la plus connue est Taiwan Semiconducteur Manufacturing Company, connue sous le sigle TSMC.

Avec les réformes économiques adoptées par Pékin durant les années 90, les investissements taïwanais se ruent sur la Chine et jouent un rôle prépondérant dans la modernisation économique du pays et son ouverture sur l’extérieur. Ce mouvement a été favorisé par les aides apportées par l’Etat, par l’étendue du marché chinois, et enfin par les grands besoins du marché international en produits à bas coûts. L’esprit d’entreprendre des taïwanais a permis à la Chine d’enregistrer une croissance rapide, contrairement à l’autre puissance régionale, l’Inde, qui peine toujours à l’égaler.

Les hommes d’affaires taiwanais sont donc devenus de grands investisseurs en Chine. Malgré cette proximité, l’île a su garder ses avantages dans l’innovation des semiconducteurs. Taiwan demeure le premier fabricant des puces, avec 52% de la production mondiale. La Chine est bien loin, ne produisant qu’un sixième de ses besoins et importe le reste principalement de l’île. Les États-Unis et l’Europe produisent à eux deux 10% quand les 90% restant sont produits en Asie : Taïwan en premier, puis Japon et Corée du Sud.  Ces composantes électroniques, de plus en minuscules, font de Taïwan le cœur incontesté du secteur dans le monde.

Les États-Unis comme la Chine s’activent pour développer leurs filières, et rattraper le retard enregistré par rapport aux industries taiwanaises de semi-conducteurs. Taipei de son côté, aidé par l’implication totale de l’État, cherche, à travers une politique volontariste, à creuser l’écart, et garder le leadership. Ce n’est pas un hasard si le président américain a signé le 9 août dernier la loi Chips and Science Act, dotée d’une enveloppe de 280 milliards de dollars pour parer aux dangers qui guettent le pays en cas de conflit avec la Chine.

Joe Biden a tenu, à cette occasion, à signer cette loi entouré de grands patrons américains de ce domaine dont le directeur général d’Intel. La Maison Blanche n’a pas hésité à mettre en valeur l’événement, avec un relent nationaliste, qui sied au moment.  Dans un communiqué, elle a déclaré que cette initiative réduira les coûts de cette industrie, créera des emplois, renforcera la chaîne d’approvisionnement et contrera la Chine. Comme réplique, l’ambassadeur de ce pays à Washington a vu dans cette déclaration une réminiscence de la guerre froide.

Tous les scénarios ont été envisagés au cas où la Chine prenait possession de l’île par la force militaire. L’institut US Army war college a préconisé, en cas d’invasion, le sabotage de l’entreprise TSMC qui produit les semi-conducteurs pour la rendre inexploitable. D’autres, au contraire, pensent que par ses avancées technologiques, Taïwan détient, par cette industrie, une arme de dissuasion massive à l’égard du géant chinois, et que ces installations deviendront, de facto, inopérantes en cas d’invasion.

En réalité, les technologies taïwanaises développées dans le secteur des puces électroniques jouissent d’un écosystème sophistiqué, difficilement gérable par une bureaucratie, ou transposable dans un autre environnement. Il est le résultat d’une confiance établie entre chercheurs, jouissant d’une liberté totale au niveau de la réflexion, de l’exécution, et dont les droits de propriété intellectuelle sont protégés. Ce système, lié en temps réel au reste du monde, ne peut s’épanouir que dans un État de droit, jamais sous la contrainte.

Malgré ses avancées technologiques, la Chine est consciente qu’elle restera longtemps encore dépendante de l’industrie taiwanaise des semi-conducteurs, à l’instar des autres pays. Pour être totalement indépendante, et déclasser l’Amérique comme première puissance, elle aspire désespérément à disposer de ce savoir-faire. Or Taiwan, qui a développé le secteur avec les Américains, est réticente  au transfert de ses secrets et autres brevets pour conserver ses avancées dans ce domaine, au grand dam des chinois.

En raison de sa proximité aussi bien géographique qu’humaine et culturelle avec la Chine, Taïwan reste aussi dépendant du marché chinois qui représente le quart de son commerce avec l’extérieur. Chaque gouvernement taïwanais tend à réduire cette dépendance, relocaliser certains investissements, et diversifier ses approvisionnements. Mais souvent l’île est prise dans les conflits qui l’opposent, d’un côté à la Chine continentale, et de l’autre aux tensions inhérentes à la confrontation entre Washington et Pékin.

Alors face à ces enjeux, la Chine peut-elle encore être tentée de prendre le contrôle de Taïwan par la force, au risque de déclencher une confrontation avec les Américains qui suivent de près l’évolution de la situation ? Bien que défendant légitimement son intégrité territoriale, la mainmise de la Chine sur le leadership mondial des semi-conducteurs ne serait-elle pas une aventure à hauts risques ? Ce qui est sûr, c’est que l’Occident est loin de permettre à Pékin de conquérir l’ile par la force, et encore moins de mettre la main sur ce secteur stratégique.

Les pays occidentaux, et à leur tête les États-Unis, voient dans la réussite fulgurante de Taïwan l’antithèse du modèle chinois. A leurs yeux, l’exemple taïwanais prouve que les principes démocratiques apportent le bien-être et la prospérité, tout en garantissant les libertés fondamentales. Tant qu’elle reste vivace, la rivalité entre Pékin et Taipei rend bien service à l’Occident, qui cherche à pérenniser ses acquis, et à renforcer ses intérêts dans cette région devenue l’épicentre du monde.

Dans les innovations du 21e siècle, la Chine est certes une grande économie qui dispose de moyens colossaux aussi bien économiques qu’humains. Taïwan a joué un rôle conséquent dans cette évolution quand le pays de Mao s’ouvrait timidement sur le monde. Dans ce secteur spécifique des semi-conducteurs, Taipei garde en mains un atout considérable face à la Chine, mais pour combien de temps encore ? Nul ne le sait.

Si Pékin maintient sa volonté légitime de réunifier son territoire en réintégrant Taïwan, à l’instar de Macao et Hong-Kong, Washington n’apparaît pas, pour le moment, prêt à lâcher son île aux trésors au profit d’un adversaire coriace, la Chine, qui ne cache pas non plus sa ferme volonté à vouloir prendre rapidement sa revanche sur l’histoire.

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