Othmane Benmoussa

Enseignant-chercheur en Systems Thinking et directeur de l’Euromed Polytechnic School -Université Euromed de Fès

Sur l’apport de l’IA générative : entre avantages réels, récits sublimés et risques latents

Le 27 juin 2023 à 14h51

Modifié 27 juin 2023 à 14h51

Le champ de l’intelligence artificielle (IA) et de l’apprentissage automatique, en développement rapide, rappelant la fameuse loi de Moore, soulève un défi particulier aux décideurs lorsque l’on considère que les dépenses en IA, se chiffrant en milliards de dollars, vont doubler durant la période 2021-2025, et ce, sans tenir compte de l’impact de l’IA générative, actuellement à l’origine de nombreuses spéculations.

Les bulles technologiques sont à même de poser des dilemmes aux chefs d’entreprise dans la mesure où ils peuvent ressentir la pression de devoir investir tôt dans une technique émergente en vue d’un positionnement mercatique et d’un avantage concurrentiel, tout en souhaitant éviter les pièges d’un battage médiatique sans valeur ajoutée palpable. Alors que nous évoluons dans une période de réelle incertitude économique caractérisée par une vague de licenciements dans divers secteurs, les dirigeants, investiguant simultanément les différentes possibilités de réduction soutenable des coûts, cherchent à identifier les domaines où il conviendrait le plus d’investir.

Le champ de l’intelligence artificielle (IA) et de l’apprentissage automatique, en développement rapide, rappelant la fameuse loi de Moore, pose un défi particulier aux décideurs lorsque l’on considère que les dépenses en IA, se chiffrant en milliards de dollars, vont doubler durant la période 2021-2025, et ce, sans tenir compte de l’impact de l’IA générative à la source actuellement d’énormément de spéculations.

L’IA générative fait référence à des modèles d’apprentissage automatique tels que ChatGPT, Bing AI, DALL-E et Midjourney qui exploitent des bases de données massives de textes et d’images afin de générer de nouveaux extrants en réponse à une question posée.

Les dirigeants d’entreprise qui ne veulent pas passer à côté d’une opportunité prometteuse, mais qui ne désirent pas en même temps dilapider de l’argent pour mettre en œuvre des technologies survendues, doivent garder à l’esprit certaines réalités fondamentales relatives aux bulles technologiques.

L’essence même des bulles technologiques repose sur des narrations que les gens racontent sur la façon avec laquelle les nouvelles technologies vont se développer et affecter les sociétés et les économies. En général, ces premiers récits qui émergent autour des nouvelles technologies sont presque toujours fausses. En effet, surestimer les promesses et les pouvoirs des nouveaux systèmes est au cœur même des bulles.

Les futuristes et autres spécialistes de prospective ont un bilan mitigé lorsqu’il s’agit de prédire avec précision le devenir du développement technologique, car il demeure difficile d’envisager la myriade de façons opportunistes et les nombreux moyens avec lesquels l’être humain adoptera et mettra en œuvre des outils au fil du temps en vue de prendre un quelconque pouvoir. Cette complexité est illustrée par la loi d’Amara, postulant que "Nous avons tendance à surestimer l’effet de la technologie à court terme et à sous-estimer son impact à long terme".

Les récits irréalistes qui alimentent les bulles technologiques sont déjà en œuvre dans le cas de l’IA générative. Certains affirment que ChatGPT n’est plus qu’à quelques encablures de l’intelligence artificielle générale, soit d’une entité indépendante capable d’une cognition égale ou supérieure à celle des humains. Sam Altman, CEO de ChatGPT, a quant à lui affirmé que l’IA "éclipsera à la fois la révolution agricole, celle industrielle et le changement de paradigme introduit par Internet".

Une vision plus sombre supposant un impact démesuré est venu du Future of Life Institute qui a publié une lettre ouverte appelant à un moratoire de six mois interdisant d’entraîner des systèmes d’IA plus puissants que GPT-4, le langage sous-jacent à ChatGPT en raison d’une menace envers l’humanité.

Bien que ces interventions aient des objectifs distincts, elles demeurent unies pour promouvoir des visions fébriles de l’avenir, déconnectées de la réalité de ce que les entreprises peuvent accomplir de manière fiable avec les outils de l’IA générative et n’aident pas les dirigeants à comprendre le fonctionnement de ces technologies, les risques et limites qu’elles présentent et leur capacité à réformer les routines de fonctionnement des organismes en vue de l’amélioration durable de leurs résultats.

Divers milieux, alimentés par le syndrome de la "peur de passer à côté" (FOMO – Fear Of Missing Out), concourent à gonfler davantage l’actuelle bulle avec des récits annonçant des changements drastiques dans notre quotidien professionnel tel que nous le connaissons, et ce, sans preuve réelle, se contentant d’étaler les spéculations de chefs d’entreprise sur l’impact potentiel de l’IA générative. D’autres rapports, prédisant un cataclysme du marché mondial de l’emploi, envoient vers un résumé d’un article rédigé par des chercheurs d’OpenAI et de l’Université de Pennsylvanie, dont le seul mérite est de tenter de déterminer la proportion des emplois à même d’être affectés par l’IA générative. Soulignons que cette étude a utilisé la même base de données qu’une analyse antérieure de 2016 de l’Université d’Oxford et de Deloitte qui affirmait l’automatisation très probable de nombreux emplois d’ici 2030.

Les deux études ont tenté de quantifier le pourcentage d’emplois basés sur des tâches répétitives, puis ont projeté combien de ces emplois seraient perdus en raison du changement technologique en cours. Etant donné que les tendances des sept dernières années ne semblent pas confirmer les prédictions faites par l’étude de 2016, il y a peu de raisons de s’inquiéter outre mesure et croire que ces simples communications seraient désormais exactes.

La prudence est donc de mise avec le bilan négatif des prévisions passées ; les dirigeants se devant d’appliquer un raisonnement sobre lorsqu’ils sont confrontés au battage médiatique relatif aux impacts futurs des technologies en privilégiant une évaluation et un raisonnement rigoureux et scientifique. Les affirmations concernant l’efficacité des nouvelles technologies doivent être examinées sous l’angle factuel plutôt que de se laisser prendre à des questions qui invitent à la spéculation comme "Comment cela pourrait-il évoluer ?" ou "Quelles sont les implications ?". Il convient plutôt de poser des questions qui établissent une base tangible, à l’instar de "Que savons-nous de telle ou telle technologie ?", "Quelles sont les preuves à notre disposition ?", "Comment fonctionne la technologie visée ?", "Quelle est la fiabilité avancée des prédictions et autres résultats annoncés ?".

Les dirigeants d’entreprise doivent donc être particulièrement attentifs à engager une réflexion critique lorsque les informations proviennent de vecteurs connus du battage technologique.

Bien que l’expérimentation d’outils de l’IA générative accessibles au public puisse être bon marché et instructive, les entreprises doivent évaluer soigneusement les risques potentiels liés à l’utilisation des nouvelles technologies. ChatGPT, par exemple, est réputé pour générer des inexactitudes, notamment en répertoriant des références à des textes qui n’existent tout simplement pas. L’utilisation de cette technologie nécessite une grande vigilance, en particulier lorsque les résultats de l’IA générative peuvent faire fuir les clients, porter atteinte à la réputation de l’entreprise ou lui faire courir le risque de perdre le contrôle de la propriété intellectuelle ou d’informations sensibles en utilisant des systèmes sans surveillance, à l’instar de Samsung qui a découvert que ses employés ont divulgué par inadvertance des données d’entreprise en les saisissant sur ChatGPT qui utilise les intrants soumis pour alimenter les modèles sous-jacents à la base de son fonctionnement.

Compte tenu de ces risques, les entreprises qui expérimentent l’IA générative doivent établir des règles de base quant à son utilisation. Une première étape consiste à exiger de tout collaborateur faisant appel à ces technologies dans le cadre de son travail de le déclarer. Les politiques à mettre en place peuvent également définir des exigences de base comme insister sur le fait que le recours à l’IA générative ne doit pas enfreindre les codes éthiques et juridiques existants ; les organisations devant aussi envisager de limiter les types de données commerciales saisies dans ces systèmes.

Il existe également d’autres risques envers lesquels les entreprises doivent être conscientes, notamment en ce qui a trait à la qualité de vie professionnelle de leurs collaborateurs qui doit être renforcée en promouvant les utilisations saines de l’IA générative.

In fine, le syndrome de la "peur de passer à côté" et les pressions concurrentielles peuvent être utiles s’ils gardent les managers attentifs aux changements qui les entourent, mais ne doivent en aucun cas laisser ces angoisses les orienter vers des décisions irrationnelles et imprudentes. L’engouement pour l’IA générative suivra très probablement celui pour les autres technologies numériques décrites dans le livre de Nicholas Carr en 2004, Does IT Matter ? Information Technology and the Corrosion of Competitive Advantage.

En effet, l’adoption des technologies numériques crée souvent des supériorités à court terme au sein de segments industriels, mais ces avantages disparaissent au fur et à mesure que les technologies deviennent la norme, faisant partie du paysage commercial comme les éditeurs de texte, les tableurs et les systèmes de gestion de la relation client.

En d’autres termes, il n’y a actuellement aucune preuve qu’une entreprise prendra du retard stratégique ou même sera perturbée si une pause est faite pour développer un plan d’actions réfléchi, plutôt que de se lancer tête première dans l’IA générative… pour faire comme ses concurrents.

Dans ce contexte, les dirigeants seraient bien avisés de se concentrer sur les objectifs fondamentaux de leur entreprise et de se demander si l’IA générative les aidera véritablement et de façon prouvée à atteindre leurs objectifs.

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