Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Sénégal, élection présidentielle au pays de la terranga

Le 4 avril 2024 à 12h45

Modifié 4 avril 2024 à 13h03

Après trois années de tensions politiques, le Sénégal a pu enfin organiser les élections présidentielles qui ont porté au pouvoir un nouveau président en la personne de Bassirou Diomaye Faye. La passation des pouvoirs entre ce dernier et l’ancien président Macky Sall s’est déroulée sobrement mais d’une manière qui honore aussi bien le Sénégal que l’Afrique. Aussitôt, le président Faye a nommé le leader du parti Pastef, Ousmane Sonko, comme premier-ministre et qui a, à son tour, constitué son gouvernement.

Sonko est le chef du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, Pastef, parti politique créé en 2014, qui constitue l’ossature de l’opposition dans le pays. Au sein de ce parti, Sonko a su organiser, et avec persévérance, sa politique pour conquérir le pouvoir, et répondre aux exigences de la jeunesse sénégalaise qui a trouvé dans ses propositions de justice et d’équité, une raison pour se mobiliser contre la majorité en place.

Élu député en 2017, Sonko fût maire de la commune de Ziguinchor qui sera le lieu où il organisera, sa stratégie de conquête. Aux élections présidentielles de 2019, il obtient 15,67% des voix devenant ainsi la troisième force du pays derrière l’Alliance pour la République de Macky Sall et du parti Rewmi d’Idrissa Seck. Ce dernier trainait derrière lui une grande expérience comme chef de cabinet de l’ancien président Abdoulaye Wade, et président du conseil économique et social sous Macky Sall.

Cette montée en flèche du parti de Sonko commençait réellement à inquiéter ceux qui sont déjà aux commandes. En février 2021, Sonko est accusé de viols que lui et ses partisans voyaient comme une volonté du pouvoir de nuire à la réputation de leur chef. Sonko la qualifia lui-même de tentative de liquidation politique menée par le camp présidentiel. Son arrestation qui suivra créa des remous dans tout le pays et de violents affrontements, entre ses partisans et la police. En voulant le neutraliser, le pouvoir a commis ainsi l’impair de le rendre encore plus populaire aux yeux des Sénégalais.

Ce n’est qu’en juin dernier qu’il sera acquitté de ces accusations, mais Sonko reste condamné à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse selon les chefs d’accusation. En janvier de cette année, alors que les élections présidentielles pointaient à l’horizon, la Cour suprême confirme sa condamnation à six mois de prison ferme avec sursis pour diffamation. Le conseil constitutionnel viendra par la suite entériner cette décision en publiant la liste des candidats dont Sonko est définitivement exclue. Ce dernier qui a participé brillamment aux élections présidentielles de 2019 et obtenu un score honorable est maintenant hors-jeu.

L’année 2023 a été une année difficile pour Sonko et son parti politique Pastef qui sera dissout par les autorités. Le leader sera condamné en outre pour viol et menaces de mort. S’en suivra une grève de la faim en prison pour protester contre ces sanctions jugées injustes, non seulement au Sénégal mais aussi à l’étranger. Son arrestation provoquera des heurts et des pillages. Des signes de guérilla urbaine se multiplient à travers tout le pays. Lors de son procès, la ville de Dakar est quadrillée par les militaires pour empêcher les manifestations pro-Sonko.

Les responsables sénégalais commencent dès lors à comprendre que cette politique ne mène nulle part et qu’elle risque de déstabiliser le pays. Qu’elle est aussi sans issue car elle accentue inutilement l’instabilité du Sénégal, au moment où des pays de la région subissent les soubresauts des coups d’état. La décision prise par l’ancien président Macky Sall du report des élections fut donc annulée par le conseil constitutionnel, qui décréta la date du 24 mars pour les organiser et sortir enfin le pays de l’impasse politique.

Dix jours avant les élections présidentielles, le leader du Pastef Ousmane Sonko, comme son adjoint, Bassirou D. Faye l’actuel président élu, étaient encore en prison. Sonko, qui était condamné par la justice ne pouvait se présenter comme candidat, cède alors sa place à son adjoint Faye pour mener une campagne électorale sans doute la plus courte de l’histoire du pays. Ce dernier en sortira vainqueur dès le premier tour avec 54,28%, contre 35,79 pour le candidat du pouvoir Amadou Ba.

Toute la classe politique sénégalaise s’accordait à vouloir tourner définitivement la page de cette période délicate que le pays vient de traverser. Dès l’annonce des résultats, le président Macky Sall et le candidat perdant Amadou Ba félicitent B. Faye de la confiance portée en lui par le peuple sénégalais. De son côté, le président élu qui avait présenté sa candidature comme le choix de la rupture avec le système, a tenu à placer la réconciliation nationale parmi ses premières priorités.

Tout laisse donc à croire que le président Faye et son premier-ministre Sonko ne cherchent pas, maintenant qu’ils sont à la tête de l’État, à organiser la chasse aux sorcières. Ceci n’est pas dans les mœurs des Sénégalais. Ils penchent plutôt à composer avec les autres partis politiques pour constituer une coalition solide. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils peuvent apporter les réformes voulues pour gouverner dans de bonnes conditions et constituer un front uni en attendant l’organisation des prochaines élections législatives. À la lecture de leurs déclarations et de leur programme, l’essentiel des changements qu’ils voudraient mener concerne surtout les rapports avec l’extérieur, et notamment avec la France. Et pour les mener à bien, le front intérieur devrait être solide.

C’est le mot souveraineté qui revenait le plus souvent dans la bouche du nouveau président durant la campagne électorale, comme si le pays était sous protectorat. Faye avait averti à plusieurs reprises qu’il compte renégocier avec les partenaires du Sénégal, sans nommer particulièrement la France, mais tout en la visant. Il est décidé à instaurer des partenariats gagnant-gagnant et mettre fin à l’exploitation abusive des ressources sénégalaises.

A ce propos, deux sujets reviennent comme une rengaine et un leitmotiv au sein du parti Pastef. Le premier est relatif à la nécessité de renégocier les contrats gaziers et pétroliers avec les compagnies étrangères pour en maximiser les revenus au profit de l’État sénégalais afin de financer le développement. Le second, qui inquiète encore plus Paris, est le désir ardent de la nouvelle équipe sénégalaise de mettre fin au système monétaire anachronique du franc CFA qui handicape aussi bien la souveraineté du Sénégal que celle de l’ensemble des pays africains de l’UEMOA. Pour les nouveaux dirigeants sénégalais, la souveraineté monétaire est indispensable à la souveraineté économique.

Tout en reconnaissant que le franc CFA pénalise les exportations du pays en raison de son taux de change élevé arrimé à l’euro, certains responsables du Pastef reconnaissent cependant que tout changement brutal et non coordonné avec les autres pays de l’Uemoa déstabilisera encore plus l’économie nationale du Sénégal. Que ce soit le président Faye ou son premier-ministre Sonko, qui accumulent tous les deux une longue expérience dans le domaine des finances, savent qu’il est trop tôt pour initier une telle réforme tant que l’économie demeure fragile. En outre, s’ils veulent attirer plus d’investissements comme ils le préconisent, ils doivent disposer d’une monnaie stable et convertible.

La nouvelle équipe sénégalaise aura besoin de temps pour asseoir son pouvoir en dehors de toute précipitation. Macky Sall a tenté en vain de barrer la route à ses opposants qui l’ont combattu politiquement, sans porter les armes et sans s’allier à des forces étrangères pour prendre le pouvoir par la force. L’ancien président aimait brandir le danger de ce qu’ils présentaient pour le Sénégal, les traitant de panafricanistes de gauche. Maintenant qu’il est à la tête de l’État, le président Faye a tenu, dès le premier jour, à rassurer les partenaires étrangers du Sénégal du contraire de cette affirmation. Mais seul le temps et les actions qui seront prises prouveront ses réelles intentions.

C'est certainement pour dissiper ces doutes que le président Faye s’est adressé le jour de son investiture à la communauté internationale, ainsi qu’aux partenaires bilatéraux et multilatéraux. Il leur a signifié que le Sénégal tiendra toujours son rang, et restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engage dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive. Mais les pays européens, et plus particulièrement la France, qui demeurent coincés dans l’ancienne logique de domination coloniale, entendront-ils cet appel de raison à temps, et s’adapteront-ils à la nouvelle donne avant qu’il soit trop tard ?

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

A lire aussi


Communication financière

Aluminium du Maroc: COMPTES SOCIAUX au 31 Décembre 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.

1er séminaire de dialogue sur les élections et la démocratie en Afrique - Séance d'ouverture