Othmane Benmoussa

Enseignant-chercheur en Systems Thinking et directeur de l’Euromed Polytechnic School -Université Euromed de Fès

Repenser la hiérarchie dans les organisations

Le 2 mars 2023 à 16h55

Modifié 2 mars 2023 à 16h55

Pour mieux gérer la tension entre contrôle hiérarchique et autonomie individuelle, l’autorité managériale doit immanquablement être repensée. Tour d’horizon de quelques suggestions.

Malgré tout le battage médiatique et les promesses entourant l’idée de promouvoir systématiquement la création d’organisations agiles et horizontales, les structures organisationnelles hiérarchiques sont restées extrêmement résilientes. Sous réserve de conditions saines et équilibrées, l’opérationnalisation de telles hiérarchies demeure le meilleur moyen de gérer les problèmes de coordination et de coopération qui assaillent les interactions humaines. Elles permettent l’épanouissement de la créativité à une plus grande échelle et fournissent prévisibilité et responsabilisation, permettant aux professionnels de livrer les extrants attendus.

Cela ne signifie pas pour autant que les organisations traditionnelles de commandement et de contrôle soient nécessairement adaptées à l’environnement actuel.

Nous relevons une confluence de tendances socio-professionnelles influençant le développement de nouveaux types de hiérarchies. Le progrès technologique rapide, la communication instantanée, la création de valeur basée sur les connaissances plutôt que sur les ressources physiques, la mondialisation et des ressources humaines plus qualifiées obligent à repenser la manière dont l’autorité managériale est exercée.

De façon concourante, les opinions individuelles sur la politique, la religion, l’influence de l’histoire et la culture impactent nos attitudes envers les hiérarchies et tendent à positionner le curseur tantôt du côté de l’autonomie des équipes, tantôt de celui de l’autorité, voire de l’autoritarisme. Tous ces facteurs préfigurent une reconfiguration du principe de la hiérarchie afin de relever les nombreux défis de notre ère.

Le principal challenge pour concevoir et faire fonctionner les configurations hiérarchiques idoines consiste à équilibrer deux forces opposées. La première, commune à nous tous, quasi-universelle, est le désir de responsabilisation et d’autonomie qui aide les entreprises à mobiliser la créativité des employés et à exploiter leurs connaissances et capacités uniques. L’autre est la nécessité, en particulier dans des environnements caractérisés par des changements rapides et des activités interdépendantes au sein d’une même structure, d’exercer une autorité managériale à grande échelle.

Les entreprises ont besoin de politiques et de procédures claires et équitablement appliquées qui assurent la coordination et la coopération, tout en respectant les désirs d’autonomisation et d’autonomie relative des employés. Les managers doivent ainsi déterminer le moment où ils doivent intervenir et celui où il faudra laisser les collaborateurs gérer eux-mêmes les problèmes.

Face à ce choix cornélien, il s’agit de déterminer quelles décisions devraient être décentralisées. Par la suite, quel pouvoir discrétionnaire les employés devraient-ils avoir sur les domaines de décision qui leur sont délégués ? Comment ces collaborateurs sont-ils motivés et évalués ? Comment les dirigeants s’assurent-ils que toutes les décisions décentralisées s’imbriquent parfaitement les unes avec les autres ?

Une revue des théories existantes en lien avec les différentes structures organisationnelles, notamment répertoriées par Henry Mintzberg, montre qu’il n’y a pas de "meilleures" réponses universelles à ces questions, mais seulement des compromis qui dépendent des conjonctures auxquelles l’entreprise est confrontée. Identifier et agir sur ces compromis - ne pas tout décentraliser et partout - demeure la clé d’un leadership réussi.

Certains partisans de la soi-disant "entreprise sans patron" prétendent que ces compromis n’existent pas. Ils soutiennent que seule une décentralisation ou une délégation complète - faire de chacun un patron - rend les entreprises innovantes et adaptables.

Lorsque le Covid-19 a été déclaré en tant que pandémie en mars 2020 et que les blocages ont commencé, peu de gourous du leadership ont proposé de faire de chacun un patron pour relever les défis auxquels les entreprises étaient soudainement confrontées. Au lieu de cela, les dirigeants devaient déterminer comment leurs entreprises pouvaient survivre, ce qui signifiait changer leurs modèles commerciaux, permettre le travail à distance pour les employés et s’adapter aux changements massifs de la demande et aux perturbations des supply chains. La nécessité pour de nombreuses entreprises de passer à un modèle de travail à distance était certes évidente, mais requérait la délégation de nombreuses tâches et décisions. Le fait est que ces changements devaient être coordonnés, avec des décisions-clés prises par le upper management.

En ce sens, pour mieux gérer la tension entre contrôle hiérarchique et autonomie individuelle, l’autorité managériale doit immanquablement être repensée.

  1. Repenser l’autorité

Il existe des preuves irréfutables que de nombreuses entreprises suppriment des niveaux de gestion et que davantage de décisions sont déléguées aux employés.

Les organisations demeurent néanmoins d’essence hiérarchique, mais cette dernière change de forme. Il est également prouvé que l’exercice de l’autorité est en cours de métamorphose et revêt plusieurs visages. En plus des fonctions classiques comme le droit d’embaucher, de licencier, d’instruire, de superviser, d’intervenir et de sanctionner, d’autres comportements se manifestent à l’instar de diriger, créer des structures et des processus, forger des consensus, aligner des comportements autour d’objectifs partagés et favoriser le changement.

Dans ce cadre, il est à rappeler les deux types d’autorité Mark I et Mark II qui correspondent à la distinction entre management et leadership. De toute évidence, un même gestionnaire peut exercer les deux types d’autorité, mais il est crucial de comprendre en quoi ils diffèrent et quand chacun est le plus approprié, car utiliser l’un lorsque la situation exige l’autre peut être désastreux.

La vision traditionnelle de l’autorité, basée notamment sur les travaux de Ronald Coase et Oliver Williamson, suppose que le patron est en mesure de sélectionner la tâche appropriée, connaît toutes les alternatives possibles pour l’exécuter et peut évaluer avec rigueur le résultat de sorte que les récompenses et les sanctions puissent être administrées de manière appropriée. En d’autres termes, le patron ne va pas exécuter la tâche directement (peut-être parce qu’il est trop occupé par d’autres activités), mais il en sait autant sur la tâche que le collaborateur et peut contrôler exactement ses agissements.

A contrario, au sein de l’économie moderne bâtie autour de la connaissance, il est de plus en plus improbable que les patrons sachent parfaitement tout ce que leurs employés maîtrisent. Un président d’une structure opérant dans les technologies de l’information peut par exemple être doué en finances et en marketing ou exceller en planification stratégique et en relations humaines, mais peut ne pas savoir coder. Un directeur commercial peut comprendre le produit, mais ne pas connaître un territoire de vente spécifique.

Herbert Simon, dans ses travaux avancés sur la systémique et la rationalité limitée, s’est davantage focalisé sur la deuxième notion d’autorité, peut-être plus conforme à l’environnement actuel, consistant dans le fait que le rôle d’un dirigeant est de déterminer quelles décisions doivent être déléguées, d’identifier un résultat cible, de choisir les collaborateurs les plus à même d’atteindre l’objectif fixé, faisant abstraction de toute autre considération, de décider du degré de discrétion à accorder à ces travailleurs, puis de se retirer.

L’autorité, conçue de cette façon, ne consiste pas à choisir des tâches spécifiques et à s’assurer que ces dernières soient exécutées, mais à fixer des objectifs, à rédiger des descriptions de poste, à sélectionner des personnes et à évaluer les résultats, ce qui correspond au type d’autorité Mark II, davantage versé autour du macro-management que du micro-management, à bannir d’ailleurs.

En ce sens, les normes organisationnelles contemporaines exigent que les dirigeants se tournent vers le type d’autorité Mark II et s’éloignent de Mark I, car la plupart des travailleurs ne veulent pas ou n’ont pas besoin d’un responsable leur disant quoi faire et quand le faire. Les managers doivent plutôt concevoir le système dans lequel des travailleurs autonomes et affranchis de toute dépendance d’ordre social, moral ou intellectuel peuvent s’épanouir.

En somme, l’exercice de l’autorité via la délégation peut ajouter de nouveaux défis. Certains collaborateurs préféreraient moins de députations parce qu’ils ont éventuellement une aversion au risque. Un autre inconvénient concerne les interdépendances. Une structure organisationnelle avec beaucoup de délégations est plus compliquée à manager qu’une structure basée sur le commandement et le contrôle ; les managers devant s’assurer que les employés exercent le pouvoir discrétionnaire qui leur est accordé sous Mark II, et ce, de manière coordonnée et alignée avec les objectifs de l’entreprise.

De plus, les prises de décision peuvent être plus lentes sous le mécanisme Mark II, en particulier lorsque les employés doivent découvrir des solutions de manière indépendante. Ainsi, bien que cette marque d’autorité aboutisse à un système généralement plus gratifiant pour les travailleurs et plus motivant que la forme traditionnelle de l’autorité, ce n’est peut-être pas le meilleur choix dans toutes les situations.

  1. Ne pas faire appel à l’autorité

Il est difficile de concevoir adéquatement une hiérarchie, en particulier lorsque les employés sont dûment responsables et responsabilisés.

Par exemple, l’étude de la mise en œuvre des méthodes agiles de développement de logiciels dans une grande entreprise de télécommunications répartie sur plusieurs sites a montré ses limites en entravant l’apprentissage efficace et l’innovation, malgré des efforts continus pour moins de bureaucratie, visant à répondre plus rapidement aux besoins du marché, à réduire le temps et les coûts de développement et de maintenance, et à soutenir l’apprentissage organisationnel tout en mettant l’accent sur le respect des délais ; les professionnels de l’entreprise ayant déclaré avoir moins de temps pour réfléchir, échanger des idées et partager leurs connaissances.

De ce fait, malgré l’intention implicite de libérer les employés de la bureaucratie régnante, la méthode agile a donné aux chefs de projet le pouvoir de suivre de trop près les performances, laissant de nombreux développeurs se sentir étouffés par une hiérarchie managériale omniprésente et autoritaire, plutôt qu’autogérée, qui se trouve, de son côté, extrêmement occupée au détriment généralement de la productivité et de l’efficience, tel que mis en évidence par Adam Waytz, professeur en management et organisation de la Kellogg School of Management.

  1. Habiliter l’autorité

L’une des manières les plus importantes et concrètes avec laquelle les gestionnaires exercent leur autorité est la façon dont ils la délèguent. Afin de responsabiliser ses subordonnés et de renforcer leur capacitation, les managers doivent d’abord les convaincre qu’ils ont une réelle autonomie sur certaines décisions et actions, et gagner leur confiance, les assurant que leur autorité ne sera pas remise en cause et retirée arbitrairement. De plus, lorsque les gestionnaires doivent, à l’occasion, passer outre la décision d’un employé, ils doivent procéder avec prudence pour éviter de briser cette confiance. Placer les collaborateurs dans des situations où le leadership est partagé (distributed leadership, selon la terminologie consacrée par Deborah Ancona, Thomas Malone, Wanda Orlikowski et Peter Senge, de la Sloan School of Management du MIT), peut être un bon moyen de maintenir cette confiance. Une autre façon de favoriser la confiance est de définir et mettre en place des règles et des procédures explicites et transparentes qui peuvent rassurer les employés sur le fait que leur autorité est réelle et ne sera pas compromise par des superviseurs et des micro-gestionnaires.

En effet, si nous venons à considérer des équipes d’actions extrêmes, composées de spécialistes qui effectuent des tâches urgentes et interdépendantes avec des résultats importants, mais souvent imprévisibles, effectuant des opérations spéciales comme les unités anti-terrorisme, ou encore des équipes médicales dans un hôpital recevant un afflux de patients lors d’une catastrophe naturelle, ces dernières fonctionnent selon un mode de délégation dynamique, c’est-à-dire font usage d’une structure organisationnelle dans laquelle les rôles et les responsabilités sont naturellement redéfinis sur le moment, selon les besoins, et où l’on peut être amené à constater que les décisions standards de certains employés sont annulées in extremis sans pour autant briser une confiance installée, et ce, en raison de l’existence et de l’application courante de règles et procédures explicites et transparentes gouvernant le fonctionnement général d’une entité ou sous-entité.

Une étude publiée dans la revue académique Administrative Science Quarterly de la Cornell University a révélé que la délégation dynamique aide les équipes d’actions extrêmes à fonctionner de manière plus fiable tout en offrant une formation et une expérience probante aux membres les moins expérimentés. Une implication plus large est que ce type de processus d’improvisation livre des résultats intéressants, mais uniquement parce qu’il se produit au sein d’une structure hiérarchique bien établie, avec des règles et des procédures claires.

De plus, l’invalidation d’une décision peut ne pas être considérée comme un acte négatif lorsque les membres de l’équipe pensent que la personne derrière ladite annulation est en réalité celle la mieux habilitée à le faire. Si vous êtes un interne en médecine traitant un malade grave et que le médecin-chef annule votre diagnostic et les mesures subséquentes, sauvant ainsi la vie du patient, vous serez probablement très heureux d’en avoir fait l’expérience.

Malgré de telles situations, il demeure courant que les contrats "psychologiques" sont souvent rompus par des managers se livrant à une micro-gestion et à des annulations de décisions inutiles et intrusives. Les employés peuvent également considérer leur position et les ressources à disposition comme des droits. Les changements organisationnels, tels que les restructurations, sont amenés à être saisis comme des ruptures de contrat psychologique lorsque mal présentés aux collaborateurs, alors que les managers ne le percevraient pas forcément de la même manière. En analysant des données d’entreprises de production, divers auteurs ont mis en exergue que de telles violations nuisaient à la productivité des employés ; le moral et la créativité déclinant et les départs de collaborateurs, souvent expérimentés et compétents, augmentant.

En conséquence, la capacité d’établir et de maintenir de solides contrats psychologiques constitue une partie importante de l’exercice d’habilitation de l’autorité.

  1. Formalisation et transparence dans les prises de décisions

Lorsque les descriptions de poste sont bien comprises, claires et avec peu de chevauchement fonctionnel, les problèmes de coordination au travail ou de prise de décision sont moins susceptibles de survenir entre employés. Dans les structures aux processus complexes et interdépendants, où deux ou plusieurs fonctions peuvent avoir un intérêt par rapport à un point décisionnel, il devient essentiel de clarifier de manière proactive les rôles, les droits et les priorités sous-tendant les choix organisationnels.

Par exemple, dans de nombreuses entreprises technologiques, l’autonomie des développeurs se heurte aux exigences de l’équipe de cybersécurité qui s’attend systématiquement à vérifier tout logiciel avant qu’il n’entre en production. Afin d’éviter les problèmes de coordination qui peuvent nuire aux relations internes et être difficiles à résoudre, les managers doivent peser la nécessité d’agir rapidement et d’innover par rapport à l’impératif de maintenir un certain niveau de sécurité tout en attribuant des droits décisionnels aux développeurs.

De nombreux problèmes de coordination sont néanmoins plus ardus que l’exemple décrit ci-dessus et là réside tout l’intérêt de l’outil de gestion classique consistant à définir clairement les rôles pour éviter les querelles de chapelle. Les descriptions de poste hautement formalisées peuvent certes être contraignantes et constituer des droits perçus entravant tout changement organisationnel ou conduisant des individus ou des unités à exagérer leur droit de contrôler des décisions particulières, mais ces risques sont gérables et ne doivent aucunement occulter la nécessité de définir précisément les rôles et fonctions des collaborateurs et de formaliser les processus et procédures en vigueur.

Des problèmes certains surgissent lorsqu’il y a des conflits entre les rôles remplis. Plus une organisation est grande et complexe, plus la probabilité d’occurrence de conflits est importante puisqu’il devient difficile de déterminer qui fait quoi, dans quelle mesure les tâches sont exécutées et si des changements doivent être apportés. La transparence totale au sein d’une grande organisation peut entraîner une surcharge d’informations et c’est en partie pourquoi les structures importantes sont généralement divisées en départements, divisions, succursales, équipes de projet ou autres sous-unités qui peuvent toutes être gérées à l’image des entités performantes de plus petites tailles.

Dans ce cadre, les activités d’une sous-unité doivent-elles être transparentes pour une autre ? D’un côté, il peut sembler préférable que chaque groupe se concentre sur ses propres tâches et ne soit pas distrait par ce qui se passe dans les autres unités. D’un autre côté, une certaine connaissance de la stratégie et des performances globales de l’entreprise est nécessaire pour qu’un groupe soit performant. Trouver le juste niveau de transparence entre entités demeure un défi de gestion fondamental.

  1. Exercer l’autorité de façon intelligente

Chaque modèle d’entreprise, chaque stratégie, structure organisationnelle ou style de gestion a ses forces et faiblesses. Exercer intelligemment l’autorité signifie déterminer quelles décisions déléguer, qui placer à des postes clés et quand intervenir, ainsi que décider si le système doit être révisé en réponse à des conditions changeantes.

Les avantages de la délégation d’une décision ou d’une action peuvent l’emporter sur les coûts dans certaines conditions, mais pas dans d’autres. Les bons managers le savent intuitivement et déterminer la bonne délégation demeure un défi de gestion permanent. De plus, outre les aspects "durs" de la conception organisationnelle tels que les règles formelles, les incentives et le contrôle, il y a des côtés "plus soft", ayant trait à la psychologie et à l’éthique, à prendre en compte : les employés s’attendent à ce que les règles soient justes, ils sont fiers d’être responsabilisés, ils veulent que leur travail et leur rôle soient dûment reconnus à sa juste valeur et sont sujets aux préjugés et erreurs de jugement (jalousie, sur-confiance, argumentation et raisonnement intéressés…) auxquels tout un chacun est exposé, y compris les managers. Prendre tout cela en compte est difficile, mais essentiel.

La délégation n’est pas réduite à la question de mise en capacitation des collaborateurs pour faire de leur mieux. Des entreprises où peu de besoins de coordination est nécessaire peuvent laisser des décisions comme la taille et la composition de l’équipe, voire les exigences des projets et même certains budgets à la discrétion des managers de proximité. Une organisation plate, parfaitement flexible, a du sens pour ces entreprises. Toutefois, cela pourrait ne pas être le cas pour les grandes structures manufacturières qui possèdent un portefeuille de produits hautement interdépendants avec des conceptions, des composants communs et commercialisant des lots de produits complémentaires. Pour de telles organisations, un contrôle centralisé est nécessaire.

In fine, pour décider quoi, quand et comment déléguer, les responsables peuvent commencer par se poser quelques questions simples afin de déterminer ce qui fonctionnerait le mieux dans leur organisation.

Est-il plus important de prendre la meilleure décision ou une décision plus rapide serait-elle suffisamment bonne ?

S’il y a un degré élevé d’urgence autour de la prise de décision, il est souvent préférable que les gestionnaires de niveau supérieur les prennent en l’absence de dialogue et de consensus, et ce, selon plusieurs chercheurs et rapports dont celui de McKinsey & Co. en 2019 intitulé Decision Making in the Age of Urgency: A Survey. Des décisions rapides peuvent certes s’avérer erronées, mais si les coûts de retard imputables sont élevés, elles valent souvent le risque.

Ce besoin de décisions rapides générerait-il un effet démotivant sur les employés ? Cela dépend en réalité du motif pour lequel le caractère d’urgence a été déclenché.

Des décisions rapides sont souvent prises en réponse à des menaces, généralement une baisse soudaine et inattendue des performances de l’entreprise. Face à des pressions critiques, les décisions d’une entreprise deviennent hautement conséquentes et, dans ces conditions, une approche décentralisée est susceptible d’être moins performante car les subordonnés sont moins disposés à assumer leurs responsabilités face à un tel risque et peuvent prendre des décisions médiocres et lentes dues à une hésitation certaine. Dans de tels cas, les cadres supérieurs sont susceptibles de se focaliser sur les décisions-clés et d’en garder le contrôle.

Quelles sont les connaissances nécessaires et quels sont les employés qui en disposent ?

La connaissance la plus critique pour une décision donnée est-elle détenue par les cadres supérieurs au fait de la stratégie globale de l’entreprise, par les cadres intermédiaires qui ont une vue d’ensemble de leur service ou division ou par les employés, notamment du front office qui connaissent parfaitement leurs meilleurs clients ? Les connaissances à disposition des échelons inférieurs de l’entreprise sont-elles de nature tacite ou explicite ? Peuvent-elles être soigneusement compilées par exemple dans une base de données de gestion de la relation client (CRM) et mises à la disposition des managers des niveaux intermédiaire et supérieur ? Qu’en est-il de la même approche, mais dans le sens top down ? Les priorités stratégiques peuvent-elles être communiquées aux employés des niveaux inférieurs pour éclairer explicitement certaines décisions ou actions ? Il est crucial que les managers se posent ces questions.

La tâche fondamentale des principaux décideurs d’une entreprise est de synthétiser toutes les informations susceptibles d’avoir un effet significatif sur les performances actuelles et futures de leur structure et de prendre les décisions majeures sur cette base. Ils peuvent compter sur des conseillers, des experts, des consultants et sur les membres des équipes d’actions extrêmes. En fin de compte, la responsabilité revient au président exécutif. Alors que certaines décisions doivent être déléguées à des employés ayant une connaissance précise des conditions locales, l’autorité globale - y compris les décisions de délégation - ne peut pas être transmise à toute la ligne.

Qu’est-ce que les employés pensent posséder ou contrôler ?

De nombreux collaborateurs ressentent naturellement un sentiment de propriété sur ce qui est actuellement sous leur contrôle comme les droits de décision et les budgets alloués. Apporter des modifications à ces droits pose des défis particuliers où la perte ne serait-ce que d’une partie de l’autonomie antérieurement concédée est à même d’entraîner beaucoup de frustration et de ressentiment.

Le concept d’aversion aux pertes propre à l’économie comportementale entre en jeu ici : les personnes ont tendance à accorder plus de valeur aux choses dont ils disposaient et qu’ils ont perdues qu’aux choses qu’ils n’ont jamais eues. Tout choix qui centralise des décisions auparavant décentralisées va causer de la douleur et les gestionnaires se doivent d’expliquer de manière convaincante la justification du changement aux employés concernés.

Quid de l’équité ?

Les organisations doivent appliquer systématiquement des principes impartiaux et transparents lors du règlement de différends, c’est-à-dire qu’elles doivent faire preuve de justice procédurale. Si les employés pensent que les processus sont équitables, ils sont davantage susceptibles d’accepter l’intervention de la direction, qu’il s’agisse d’annuler occasionnellement la décision d’un employé ou même de recentraliser l’autorité. Les managers peuvent-ils expliquer quand et pourquoi l’autonomie doit être réduite ? Les employés ont-ils le sentiment que leurs préoccupations concernant leur capacitation sont entendues et prises au sérieux ? Si tel est le cas, choisir de ne pas déléguer certaines décisions ou d’intervenir si nécessaire est susceptible de fonctionner. Sinon, les employés pourraient devenir insatisfaits et désengagés.

En conclusion, le besoin de hiérarchie ne disparaît pas, mais la forme qu’elle prend change : décider comment les choses seront faites plutôt que de dire aux gens quoi faire, concevoir et faire respecter les règles du jeu plutôt que de faire jouer chacun sur un terrain préalablement délimité sont les principes faîtiers des nouvelles formes hiérarchiques.

Paraphrasant Zhang Ruimin, fondateur du groupe Haier : "Les dirigeants d’autres entreprises se définissent souvent comme les capitaines du navire, mais je pense que je suis plus l’architecte ou le concepteur du navire. C’est différent du rôle d’un capitaine pour lequel l’itinéraire est souvent fixé et la destination définie."

En repensant l’autorité et la hiérarchie managériale, les dirigeants doivent donc réaliser qu’ils n’ont pas besoin de tout savoir, mais juste assez, et qu’ils doivent tenir compte de ce que leurs employés veulent et pensent être juste dans la conception des structures et des systèmes pour notamment plus d’initiatives porteuses, de créativité et d’efforts d’innovation déclinés de manière ostensible ou "sous les radars" pour les projets dits missionnaires, orientés usagers ou d’exploration selon la taxonomie mise en place par de Jong, Mulhuijzen et Venkatesh Prasad.

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