Najib Mouhtadi

Enseignant-chercheur, professeur en sciences politiques, université Hassan II, Casablanca

Plaidoyer pour une refondation du statut des médias publics

Le 10 juin 2014 à 16h38

Modifié 9 avril 2021 à 19h45

Depuis de nombreuses années, un débat houleux et souvent biaisé, agite la classe politique sur la réalité des médias publics au Maroc, leurs statuts et leurs objectifs. Ce débat, pour légitime qu’il est, sous-tend des visions contradictoires et conflictuelles reflétant le point de vue de différents acteurs.

Il préoccupe le ministère de la communication qui souhaite tout au plus exercer sa tutelle face aux tenants du statu quo, qui s’arcboutent à une gestion classique du service public ; ici une chasse gardée tirant sa force de la dépendance directe au pouvoir.

A l’origine donc, un imbroglio sans solution en dehors d’une révision approfondie du secteur tout entier, à la lumière des avancées démocratiques même limitées et un consensus national sur la manière dont les Marocains voudraient bien percevoir ce champ vital pour la démocratie, l’économie et la culture. Mais pourquoi réformer le secteur des médias publics, dans quelles perspectives et pour la réalisation de quels objectifs ? 

Par médias publics, il faut entendre les chaînes de télévision, les radios, nationales et régionales, placées juridiquement sous tutelle de l’Etat par le truchement du ministère de la communication, au même titre que l’Agence de presse MAP et le Centre Cinématographique Marocain (CCM).

La question de la révision du statut de ces établissements publics a constamment buté sur un état d’autisme, tant l’enjeu est stratégique; la gestion de l’image de l’Etat et donc du pouvoir symbolique de la royauté ainsi que la tradition de l’amplification du discours officiel, ayant constamment été une tâche autrement délicate pour en faire un simple adjuvant au mode de gouvernance dominant.

Le champ audiovisuel a connu une mutation depuis l’entrée en ligne du numérique, du satellitaire et de l’Internet.  Au beau milieu de la décennie 90, de profonds changements ont secoué la manière d’assurer la couverture des grands événements dans le monde, faisant que l’éditorial –autrefois limité à une ère géographique se confondant avec l’Etat-nation, est devenu continental, international. L’image est entrée de plain-pied dans l’instantanéité, la simultanéité et le direct ; une manière moderne de transcender le temps et l’espace pour vivre en communion virtuelle un fait quelconque dans une ambiance presque teintée de messianisme.

Les chaînes satellitaires ont vite estompé les frontières terrestres, trompé la vigilance des gardiens de temple et homogénéisé les discours, violé les intimités nationales et imposé de nouveaux mots d’ordre déstructurants des idéologies locales longtemps ramifiées dans un environnement confortable.

Le monde change, sa perception aussi. L’ordre international consécutif au second conflit mondial s’est élargi et affirmé depuis l’effondrement du bloc de l’Est. Le capitalisme triomphant ne tergiverse plus quant à l’ouverture des marchés et l’adoption résignée des règles spécieuses du commerce mondial, lequel a su mettre en place les instruments techniques de sa légitimation. 

Sur le plan politique, la démocratie et les droits de l’homme sont devenues de nouvelles valeurs universelles qui enrobent une idéologie transnationale donnant ticket d’accès même théoriquement, au club des démocraties trônant sur les économies les plus puissantes et dominantes, et en tous cas courtisées par les aspirants à partager tout ou partie de cette idéologie et de ses dividendes.

Le Maroc a bien saisi la leçondepuis qu’il a donné l’impression de s’aligner sur les principes universels des droits de l’homme, transformés en un standard minimum du droit des gens… La création de la deuxième chaîne a coïncidé en 1989, avec la création la même année de l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme, de la même manière que la première chaîne avait coïncidé en 1962, avec l’annonce de la première constitution du pays.

La création de 2M comme chaîne privée organiquement liée au pouvoir, cachait mal la volonté d’impliquer le capital international dans une opération faisant d’une pierre deux coups. Amarrer le Maroc virtuellement à l’Occident pour jouer un rôle leader régionalement et enfouir durablement les horreurs du passé consécutifs à une gestion autocratique et catastrophique du politique. 

Du reste, cette vision pour perspicace qu’elle puisse paraître n’était pas innocente d’une tentative de sublimation des revendications politiques internes. La légitimation à l’international soutenait l’embellie interne et ouvrait grande la porte de la réconciliation nationale et l’intégration programmée de l’opposition au jeu aléatoire de l’alternance politique.

Depuis plus d’une décennie à présent, à la faveur du nouveau règne, les traits saillants d’une politique publique de communication ont fini par prendre forme.

Cette politique se résume en l’élargissement du champ des médias (Radio, Télévision et CCM), en favorisant la diversité et la multiplicité des canaux sans pour autant lâcher la bride du conservatisme béat. Les médias publics au Maroc sont un outil essentiel du pouvoir et à ce titre, la TV nationale continue d’être frappée du sceau qui l’a vue naître.

La création du pôle SNRT, la publicisation du statut de 2M et la création de Medi 1 TV, sont des avancées sur la voie de la professionnalisation et de la mutualisation des moyens pour simplement exister dans un monde fait de mastodontes de l’image et du son. Ces petits pas pour prudents qu’ils sont, ont été accompagnés de l’institutionnalisation de la HACA qui avait pour mission la démonopolisation du secteur étatique des médias et la libéralisation du champ audiovisuel. Depuis, elle joue principalement le rôle de boîte à créer les radios privées, à défaut d’autoriser les chaînes de télévision privées! Des indices suffisamment parlants pour refléter un souci d’adaptation à une situation requérant un large programme de mise à niveau, mais aussi de refonte des structures devenues un frein plus qu’autre chose.

La pire des indigences est le véritable blocage à tout sursaut imaginatif et créatif

Si le principe de concurrence entre médias dans le secteur public existe sous d’autres cieux, il semble difficile de penser à des facteurs d’émulation entre chaînes dans le cadre marocain et dans la situation actuelle, en dépit de l’introduction des instruments de mesure de l’audimat. Du reste, les chaînes marocaines radio et télévision confondues (généralistes et thématiques) manquent terriblement de moyens humains et matériels. Leurs situations financières sont indigentes au point que chaque production s’apparente à un accouchement au forceps. Mais la pire des indigences est le véritable blocage à tout sursaut imaginatif et créatif, demeure la chape de plomb que constitue la tutelle de l’Etat, non  forcément du gouvernement.

Nous avons déjà souligné les liens inextricables entre le Pouvoir et production et gestion des composants culturels, intrants puissants de la promotion idéologique du système. Cette imbrication est d’abord d’ordre historique, et prend plusieurs formes dont la plus visible serait la nomination régalienne des hauts responsables chargés de la direction de ces médias, ce qui les soustrait de facto à toute tutelle réelle ou supposée et de toute reddition des comptes.

Cette situation est considérée comme une ingérence dans le fonctionnement libre et indépendant des médias, même si le système de «cooptation», cherchait à concilier des paramètres complexes en mettant à l’abri les médias publics des influences partisanes par trop sectaires…

Souvent même, il s’était agi d’un choix judicieux en fonction de la compétence et la prédilection des profils pressentis à diriger tel ou tel média, sur la base d’un projet dont les contours sont tracés tacitement et n’obéissant pas au suivi bureaucratique pesant et tatillon. Néanmoins, dans ce cas de figure, l’autonomie des médias et leur liberté sont foncièrement mis en cause, tout comme le principe d’égalité des chances quant à l’accès aux postes de responsabilité simplement jeté aux orties.

Aujourd’hui, la situation politique a bougé d’un degré et la nouvelle constitution ne permet plus le fonctionnement des médias publics sur une base anachronique pour un secteur aussi stratégique que la communication publique. Déjà, la loi instituant la HACA avait prévu pour celle-ci des compétences en matière d’expertise, de conseil et d’avis techniques et nomination aux postes de responsabilité, sans que suite soit donnée à ces dispositions juridiques passées en pertes et profits, dans l’indifférence générale.

Il semble que l’heure est à l’imagination d’un nouveau cadre de fonctionnement des institutions œuvrant dans le domaine des médias publics, et du protocole de recrutement des patrons de ces médias sur une base démocratique, transparente et visant la réalisation d’objectifs faisant consensus de l’ensemble des parties.

Il est  grand temps de revoir cette situationdevenue la cible privilégiée des critiques de la majorité comme de l’opposition. Il appartient désormais au parlement de se saisir de ce grand chantier pour formuler une loi fondatrice d’un nouvel ordre médiatique qui garantit l’indépendance et la neutralité des médias, indifféremment des gouvernements en place et abstraction faite des convictions des journalistes et responsables de ces médias.

Eléments d’une réforme des médias publics

Dans ce registre de propositions par définition partielles et donc limitées, nous souhaitons contribuer par quelques idées à un débat qui n’a pas fini d’agiter la classe politique sur l’avenir des médias publics et leur rôle effectif dans le développement économique et social, ainsi que leur impact certain sur la sphère culturelle et par là-même, sur la formalisation de l’opinion publique, laquelle traduit forcément le dynamisme de la société civile.

L’appellation de média «officiel» dominante à ce jour, est à l’origine de tous les malentendus. Dans les textes instituant les établissements publics chargés des médias publics, il est souligné expressément que ces médias doivent refléter fidèlement le point de vue du gouvernement, sans apporter de commentaire ou de compléter l’information par le recoupement avec d’autres acteurs concernés par la même donnée informationnelle, y compris ceux qui s’y opposent de manière tranchée.

Bien entendu les choses ont évolué mais seulement grâce à l’initiative bienveillante de certains journalistes qui prennent le risque d’innover en ce domaine.

Inutile de rappeler qu’en démocratie, un média public traite indifféremment de toutes les informations même s’il privilégie statutairement l’information publique. Il se garde traditionnellement de lui adjoindre d’autres vues et opinions pas forcément en accord avec la position gouvernementale. C’est toute la question de la diversité et du pluralisme politique.

Actuellement, tous les médias publics au Maroc sont considérés comme des porte-voix du pouvoir et son gouvernement du moment (ce qui n’est plus tout à fait le cas depuis le gouvernement d’alternance), cela est inscrit dans les textes de loi, accepté tacitement par les acteurs et considéré par l’opinion publique comme une donnée inéluctable !

 La situation juridique des médias publics marocains perdure au mépris des dispositions constitutionnelles, des règles évidentes de l’éthique communicationnelle et constitue une anomalie dans le paysage politique forcément divers et pluraliste. Cette situation prolonge subrepticement  l’ère de l’exclusion systématique de l’opposition jugée rebelle, déstabilisatrice, antipatriotique. A présent, elle est caduque et depuis 2011 inconstitutionnelle, elle doit cesser. La constitution de 2011 a réservé une place prépondérante à l’opposition au sein de la chambre des représentants et a reconnu le droit d’antenne à tous les partis politiques (plus encore que ce qui existait depuis 1996), soient-ils non représentés au parlement.

Une révision urgente des lois

Pour un décollage des médias publics, aujourd’hui sérieusement contrebalancés et ridiculisés par les chaînes étrangères et la presse digitale, il est donc vital de réviser les textes de loi pour une mise à jour urgente en ce domaine de la communication publique.

Cette refonte du système institutionnel dans le domaine des médias devrait désormais inclure dans toute politique publique la présence des voix même dissonantes, du moment qu’elles sont exprimées par des institutions légales et reconnues comme telles, et obéir à l’obligation d’intégration de la composante opposition soit-elle radicale, soit-elle marginale.

Par définition un média public est un média reflétant les aspirations du peuple, de la communauté  dans sa diversité, il devrait ainsi s’ouvrir sur toutes les tendances politiques et culturelles, dans un esprit d’équité qui laisserait le citoyen libre de choisir, au lieu de lui dicter ce qu’il doit penser. C’est à ce prix là, la démocratie.

Et, pour ce faire, il est souhaitable que la MAP et le CCM puissent ouvrir leurs Conseils d’administration, respectivement aux éditeurs des grands médias de la presse, radios privées et demain des chaînes de télévisions privées, et aux sociétés de production, de distribution et réalisation opérant dans le marché.

L’Etat garde la main, mais les opérateurs concernés au premier chef, se doivent d’être représentés aux instances décisionnaires.

Pour ce qui est de la radio et télévision publiques, faut il rappeler que les médias publics ont foncièrement une vocation nationale et non gouvernementale, c'est-à-dire représentant la nation dans sa diversité, et à ce titre il est impensable que leur direction soit monopolisée par des fonctionnaires coupés du choix des citoyens, leurs aspirations et préférences!

Pour le recrutement à proprement parler, il y a lieu de mettre en place un mécanisme qui répond à l’exigence des nouveaux aménagements institutionnels déjà évoqués ci-haut, nous proposons dans les lignes suivantes, l’esquisse d’un protocole aussi large que démocratique.

Il s’agit principalement du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (HACA) et du Parlement (chambre des représentants). Ces propositions ne sont ni définitives ni exclusives, mais constituent une base acceptable d’une vision novatrice et consensuelle, sachant que nous nous gardons de donner plus de détails sur le fonctionnement interne des organismes en question.

Un rôle prépondérant de la HACA en matière de candidature

Statutairement, la HACA est nommément désignée de faire des propositions pour pourvoir à chacun des postes de direction qui viendrait à se libérer dans l’un des domaines de l’audiovisuel. En effet, l’article 3, alinéa 2 du dahir instituant la HACA, dispose que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel propose au choix du roi «les personnalités» dont la nomination relève du domaine royal, et qui portent sur les organismes intervenant dans le domaine audiovisuel.

A ce titre, la HACA devrait suffire à mener à bien cette mission, si ce n’était la révision de la constitution de 2011 et le nouveau climat qui instaure plus de consultations, et plus de pratique de participation à la prise de décision. Réserver la fonction de présélection à la seule HACA, c’est considérer le secteur de l’audiovisuel comme un domaine purement technique, ce qu’il n’est pas en l’occurrence.

 Pour ce faire, la HACA se doit de s’occuper des candidatures aux postes de responsabilité, en étudiant l’aspect technique des dossiers et les profils professionnels des candidats, avant de retenir un certain nombre de candidats à transmettre à l’organe parlementaire (accompagnés de notes exhaustives sur chacun des candidats et en émettant des avis experts sur les dossiers) qui sera chargé de donner son avis sur les dossiers sur la foi de présentations des concernés et de les transmettre le résultat à l’échelon supérieur pour le choix définitif du roi ou du chef de gouvernement suivant leurs attributions constitutionnelles.

Par voie de conséquence, il nous semble que la HACA devrait continuer, à juste titre, de jouer un rôle essentiel en ce domaine, en partageant la responsabilité avec les représentants de la nation, et en épargnant à l’exécutif le risque de trop s’impliquer dans un domaine très sensible et qui intéresse la société entière, indifféremment des courants politiques et des affinités culturelles des uns et des autres.

Pour une commission parlementaire de présélection

La nouveauté dans cette réforme, c’est l’entrée remarquable de la Chambre des Représentants et des conseillers dans le processus décisionnel de recrutement des patrons des médias publics.

Même s’il ne s’agit pas de prendre la décision définitive, c’est un grand pas sur la voie de l’ouverture des médias publics sur la société. Les députés doivent convenir de la manière de désigner une commission mixte composée de représentants compétents et/ou ayant des trajectoires de carrière plus ou moins déclinés sur le monde des médias, de la création ou de la recherche. Le meilleur moyen serait de charger la Conférence des Présidents à poser les règles de sélection des membres de la commission sur une base professionnelle même s’il s’agit d’enfreindre quelque peu la règle de la représentativité. Cela est de nature à impliquer les représentants de la nation et par-là même couper court à tout ce débat stérile qui retarde le décollage du paysage médiatique et tout ce qui s’en suit comme liberté d’expression, responsabilité et créativité.

Les médias nationaux qui satisfont aux conditions requises, auront le droit d’accéder aux conseils d’administration au prorata de leur audience, leur chiffre d’affaires et dans la limite d’un pourcentage qui garde la majorité confortable entre les mains de l’Etat. Cela supprimera définitivement le charivari inutile autour de ce que doit être un média public.

Les députés qui auront supervisé les auditions des candidats lors de séances spéciales (retransmises à la télévision nationale en direct ou en différé), retiendront les trois candidats à proposer au chef de l’Etat ou au chef de gouvernement, selon les attributions et statuts.

Ainsi, cette ingénierie échafaudée sur un consensus national, garantirait une meilleure administration de la chose communicationnelle, et instaurerait un cycle transparent de rotation des élites et des compétences susceptibles d’enrichir le domaine audiovisuel en apportant des visions prospectives, capables d’imaginer des plans de développement à la hauteur des aspirations des Marocains.

Par Najib Mouhtadi (Enseignant chercheur, professeur en sciences politiques, Université Hassan II, Casablanca).

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