Lemine Ould Salem

Journaliste spécialiste des questions africaines

Œil d’Afrique. Rwanda-France: Ce génocide qui pèse encore lourdement

Le 12 avril 2024 à 10h14

Modifié 12 avril 2024 à 10h33

A l’occasion du trentième anniversaire du génocide au Rwanda, notre chroniqueur Lemine Ould M. Salem explique pourquoi le président Kagamé en veut toujours à la France pour son attitude durant les massacres dans son pays.

Ce dimanche 7 avril ont  débuté au Rwanda les commémorations officielles du trentième anniversaire du génocide des Tutsi. La tragédie du genre la plus rapide de l’histoire. Un million de personnes ont y été massacrées, en seulement trois mois, sous les yeux silencieux du monde entier.

Cette cécité collective devant des tueries de masse rapportées pourtant, au jour le jour à l’époque, par un grand nombre de journalistes présents, traumatise encore les survivants. À leur tête Paul Kagamé, dont la victoire militaire en juillet 1994 sur les troupes du régime génocidaire, avait mis un terme aux massacres.

Comme chaque année depuis trente ans, lorsqu’il rallume la flamme du Mémorial de Gisozi à Kigali, où reposent les restes de 250.000 victimes - étape inaugurale des commémorations annuelles du genocide -, Kagamé rappelle à la communauté internationale son attitude durant les tueries déclenchées le 7 avril 1994 dans son pays.

"C'est la communauté internationale qui nous a tous laissé tomber, que ce soit par mépris ou par lâcheté", a encore dénoncé le chef de l’Etat rwandais, le weekend dernier, devant près de 5.000 personnes réunies à la  BK Arena de Kigali, dont plusieurs personnalités politiques étrangères. Parmi elles, l’ex président américain, Bill Clinton, en fonction au moment du génocide et Stéphane Séjourné, le chef de la diplomatie française. Les deux hommes n’ont pas dû sentir les propos du Rwandais avec la même gêne.

L’ancien locataire de la Maison Blanche est un de premier dirigeants occidentaux à avoir reconnu le génocide rwandais. C’était 1998, lors d’une brève escale, à Kigali où il était spécialement venu admettre qu'il n'avait pas fait tout ce qu'il aurait pu et dû en 1994 pour prévenir ces massacres de masse ou pour y mettre fin. Clinton, qui s’exprimait alors devant des rescapés de la tragédie et leurs familles, avait surtout regretté qu’à l’instar du reste de la communauté internationale, les Etats-Unis n’avaient  pas "immédiatement appelé ces crimes par leur véritable nom : génocide".

Un geste pareil de la part du ministre des affaires étrangères français, dépêché par l'Elysée au nom du président Emmanuel Macron qu’il est venu représenter, aurait sans doute inspiré à Paul Kagamé un discours différent que celui prononcé dimanche.

Trente ans après, l’homme fort de Kigali peine à oublier les errements de la politique de François Mitterrand au profit du régime génocidaire de Juvénal Habyarimana, considéré alors à Paris comme un allié vital pour l’influence française en Afrique centrale à l’époque menacée par des visées anglo-saxonnes.

Depuis le départ de l’Elysée du socialiste, puis de son successeur immédiat, Jacques Chirac, tous les présidents français ont, chacun, essayé de se réconcilier avec l'homme fort de Kigali.

Lors de sa visite au Rwanda en 2010, la première d’un chef d’Etat français depuis la fin du génocide, Nicolas Sarkozy a dénoncé les massacres de 1994 en évoquant une "défaite pour l’humanité", "des erreurs politiques" et une "forme d’aveuglement" qui ont eu "des conséquences absolument dramatiques".

Trois ans après son arrivée au pouvoir, François Hollande a, lui, ordonné la déclassification des archives de la présidence sur le Rwanda pour la période 1990 à 1995.

Son remplaçant, Emmanuel Macron, est allé plus loin. Dès 2018, soit un an après son élection à la présidence de la république, l’actuel résident de l’Elysée a soutenu la candidature l’ancienne ministre rwandaise des affaires étrangères Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), poste qu’elle occupe encore après avoir obtenu un second mandat en 2022.

Un an plus tard, il a chargé une commission d’experts présidée par l’historien Vincent Duclert, avec un accès inédit aux archives de l’Etat, d’élucider le rôle de la France au Rwanda durant la période allant de 1990 à 1994. "Je tiens à ce que le génocide des Tutsi prenne toute sa place dans la mémoire collective", a alors insisté Macron dans la lettre de mission envoyée à cette commission.

En juillet 2020, la cour d’appel de Paris a ordonné un non-lieu dans l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière et dénoncé une enquête riche en "mensonges, revirements et manipulations". Cette affaire, qui a longtemps pollué les relations entre les deux pays, remonte à la décision de l’ex patron du pôle antiterroriste au Parquet de Paris de lancer en novembre 2006 neuf mandats d’arrêt contre des membres du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion tutsie que dirigeait Kagamé à la veille du déclenchement du génocide et durant celui-ci.

Le juge français a justifié sa décision en accusant ces proches du président Kagamé d’avoir abattu délibérément l’avion du président Habyarimana dans le but de provoquer les massacres des leurs pour justifier le lancement d’une offensive militaire et prendre définitivement le pouvoir. En réaction, Kagamé a rompu les relations diplomatiques avec la France avant de les rétablir sous la présidence de Sarkozy. Mais entre-temps, un rapport d’enquête qu’il a commandé est venu accabler l’Etat français. Celui-ci y est présenté comme ayant "joué une part active dans la préparation et la réalisation du génocide".

Remis au président Macron le 26 mars de 2021, le rapport de la commission Duclert admet "un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes", au sein de l’Etat français. Ce document, de 1.200 pages, insiste sur la responsabilité du président François Mitterrand qui, à l’époque du génocide, entretenait "une relation forte, personnelle et directe" avec Juvénal Habyarimana, soulignent les auteurs. "Aucun document n'atteste que le président rwandais ait été désavoué par son homologue français", s’indigne la commission qui dénonce une  "faillite" de la France qui "a contribué aux conditions d'un génocide qui pouvait être arrêté à chaque moment".

S’appuyant sur près de 8.000 documents, dont des notes manuscrites, des télégrammes diplomatiques, des analyses de conseillers et des synthèses des conseils de défense, le rapport affirme, cependant, que rien ne vient démontrer que Paris s'est rendu "complice" du génocide. "Un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France", se sont alors contentées de réagir les autorités de Kigali, cachant mal leur déception de ne pas voir le document recommander aux autorités françaises, à défaut de présenter des excuses, d'admettre une part de "responsabilité" dans la tragédie rwandaise.

En milieu de semaine dernière, une furtive lueur venue de l'Elysée a créé le mirage à Kigali. Elle y a laissé penser, momentanément, que la France est désormais prête à prendre une telle direction. Dans une annonce à la presse, la présidence française a assuré qu’à l’occasion du trentième anniversaire du génocide rwandais, Macron devait officiellement reconnaître que "la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté".

"L’aveu" prédit n’a pas eu lieu. "Sur ce génocide, ce moment si important, cruel de votre histoire, oserais-je dire de notre histoire, je crois avoir tout dit le 27 mai 2021 quand j’étais parmi vous", s’est limité à direMacron, reprenant les éléments de son discours, au trébuchet, prononcé lors de sa dernière visite à Kigali. Admettant une "responsabilité politique", le chef de l’Etat français s’était alors refusé à faire la moindre allusion à une quelconque complicité de son pays dans la tragédie rwandaise.

Pour un président qui revendique une politique de vérité sur le passé colonial et postcolonial de son pays, en Afrique notamment, l’heure pour assumer ce que nombre d’historiens respectés considèrent comme une évidence n’a manifestement pas encore sonné.

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