Mohamed A. El-Erian

Conseiller économique en chef d’Allianz

N'extrapolons pas sur les tendances 2023 de l'économie mondiale

Le 16 janvier 2024 à 12h45

Modifié 16 janvier 2024 à 12h45

Les économistes comportementaux ont popularisé le terme de "biais de récence" pour décrire notre tendance à être disproportionnellement influencés par les événements les plus récents par rapport aux précédents. Ce phénomène cognitif pourrait-il expliquer pourquoi de nombreux analystes sont plutôt optimistes quant à l’économie mondiale en 2024 ? Ou existe-t-il réellement des tendances positives équilibrant les défis évidents et grandissants de la croissance mondiale ?

CAMBRIDGE – Un récent éditorial du Financial Times illustre cet optimisme généralisé, expliquant qu’"après la démonstration de résilience de l’année qui vient de s’écouler, tout porte à croire que la réalité en 2024 sera également meilleure que prévue". L’éditorial ajoute que les tendances qui ont soutenu la résilience inattendue de l’économie mondiale en 2023 "offrent également de nombreux motifs d’optimisme pour 2024".

Cet état d’esprit positif s’est étendu aux marchés financiers. De plus en plus de commentateurs prédisent que les marchés boursiers achèveront 2024 au-dessus des niveaux déjà élevés de 2023, qui ont reposé sur un remarquable rebond de fin d’année.

L’actuel sentiment optimiste s’inscrit en net contraste avec les sombres prévisions qui avaient dominé à l’approche de 2023, période à laquelle Bloomberg Economics affirmait qu’il était probable à 100% que les États-Unis entrent en récession. Contradiction également par rapport à toute une série d’événements économiques, financiers, géopolitiques et politiques. Cet optimisme semble animé par un facteur en particulier : la perspective d’une baisse agressive des taux d’intérêt par les banques centrales, sur fond d’atterrissage le plus en douceur qui soit pour l’économie américaine.

Les banques centrales exercent certes une influence considérable sur le sentiment des marchés financiers. Depuis la crise financière mondiale de 2008, les banquiers centraux ont fait office de principaux décideurs mondiaux – fixant les taux d’intérêt au plus bas, inondant les économies de liquidités, générant d’énormes gains dans pratiquement toutes les catégories d’actifs, et facilitant un changement notable dans la répartition des richesses, qui a largement bénéficié aux plus fortunés. Cette tendance s’est toutefois inversée en 2022, lorsque les banques centrales, conduites par la Réserve fédérale américaine, ont réagi tardivement à la hausse de l’inflation, en amorçant l’un des cycles de hausses des taux d’intérêt les plus agressifs jamais observés. Les pertes qui en ont résulté tant dans les actifs à haut risque que dans les actifs à faible risque semblaient vouées à se poursuivre en 2023, jusqu’à ce que les prévisions consensuelles évoluent vers des baisses de taux significatives, et vers la reprise des discussions autour d’un "put" de la Fed.

Bien que les banques centrales aient exercé un impact significatif sur la confiance des marchés, leur influence sur les résultats économiques réels est restée limité. Leurs politiques ultra-accommodantes au cours des années 2010 ont contribué à maintenir l’économie mondiale à flot, mais la croissance globale a déçu, demeurant faible, inégale et toujours déconnectée des réalités climatiques. Nous nous attendions à ce que le passage en 2022 à des politiques monétaires plus restrictives entraîne un chômage plus élevé et une croissance molle ; au contraire, la fin 2023 a été marquée par un taux de chômage remarquablement faible de 3,7%, de même que la croissance annualisée du troisième trimestre a accéléré jusqu’à atteindre 4,9%. Par ailleurs, la mesure dans laquelle les hausses agressives des taux d’intérêt ont contribué à réduire l’inflation fait l’objet de débats entre les économistes.

Ces évolutions suggèrent que les politiques des banques centrales à elles seules – les investisseurs s’attendent actuellement à ce que la Fed abaisse les taux d’intérêt d’environ 1,5 point de pourcentage – pourraient ne pas suffire à générer l’élan de croissance nécessaire pour résister aux vents contraires qui se profilent pour l’économie mondiale.

Difficile en effet de citer une économie d’importance systémique prête à voir sa croissance exploser en 2024. La Chine demeurant entravée par un modèle économique aux rendements décroissants, les autorités ont reconnu que son taux de croissance était limité par des inefficiences internes, des poches de dette excessive, une fragmentation mondiale accrue, ainsi que par la militarisation occidentale du commerce et de l’investissement. Quant à l’Europe, il est peu probable qu’elle reproduise les performances exceptionnellement élevées de l’année dernière, compte tenu notamment de la mollesse de la fabrication mondiale, ainsi que de la stagnation économique de l’Allemagne.

Une fois de plus, les commentateurs semblent fonder leurs espoirs sur l’exceptionnalisme économique américain. Or, les choses ont évolué au cours de l’année dernière. La baisse de l’épargne des ménages et les dettes plus élevées liées à la pandémie agissent comme des obstacles à une économie américaine remarquablement agile et résiliente. Il faut par ailleurs s’attendre à ce que les récentes hausses de taux d’intérêt continuent d’impacter les nouveaux prêts immobiliers pour les ménages, les sociétés confrontées à une montagne de dettes d’entreprise arrivant à échéance en 2025, ainsi que les institutions non bancaires fortement endettées et confrontées à des pertes.

Le climat géopolitique actuel n’est pas non plus propice à une croissance solide. Les conséquences dévastatrices de l’attaque brutale perpétrée le 7 octobre par le Hamas contre Israël, parmi lesquelles la destruction par Israël d’une grande partie de Gaza, ainsi que la mort de plus de 23.000 Palestiniens – principalement des civils, dont plusieurs milliers de femmes et d’enfants – mettent à rude épreuve les espoirs de contenir la crise. Israël et le Hezbollah, milice libanaise soutenue par l’Iran, semblent se diriger vers des hostilités croissantes, tandis que les attaques de navires commerciaux en mer Rouge par les Houthis yéménites perturbent d’ores et déjà le commerce mondial au point de raviver les pressions stagflationnistes sur l’économie mondiale.

Au-delà du Moyen-Orient, les démocraties occidentales et de nombreux pays en voie de développement connaîtront d’importantes élections en 2024.

Dans ces circonstances, les chances d’une croissance mondiale solide en 2024 semblent minces. Il est toutefois possible d’atténuer les menaces que soulève un environnement économique et géopolitique de plus en plus fragile, et cela de deux manières. Premièrement, il est nécessaire que les dirigeants politiques entreprennent plusieurs refontes majeures de la politique économique, en se concentrant sur des réformes structurelles visant à cultiver les moteurs de croissance et de productivité de demain. Deuxièmement, la communauté internationale doit accomplir davantage pour mettre fin aux atrocités au Moyen-Orient, avant que ce conflit ne se propage dans la région, et ne nourrisse des troubles géopolitiques au-delà de celle-ci. À défaut de telles interventions, les optimistes d’aujourd’hui connaîtront une cruelle déception d’ici la fin de l’année.

© Project Syndicate 1995–2024

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