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L'Occident surmené

Le 29 août 2014 à 12h49

Modifié 10 avril 2021 à 4h21

Le débat sur un futur ordre mondial a lieu principalement en Occident, en particulier en Amérique du Nord et en Europe. Mais si l'Occident assume à lui seul la responsabilité de maintenir l'ordre mondial, ne risque-t-il pas d'être surmené, vu le nombre et la nature des crises auxquelles il sera confronté ?  

Les conséquences chaotiques de la désintégration progressive de la Pax Americana deviennent de plus en plus évidentes. Sept décennies durant, les États-Unis ont préservé un cadre mondial, qui en dépit des imperfections et des erreurs que peut commettre une superpuissance, a su garantir un niveau minimal de stabilité. Pour le moins, la Pax Americana était une composante essentielle de la sécurité de l'Occident. Mais les États-Unis ne sont plus en mesure ni capables d'être le gendarme du monde.

L'énorme accumulation des crises et de conflits que connaît le monde aujourd'hui, (en Ukraine, en Irak, en Syrie, à Gaza et en Libye) dépend de la nouvelle position des États-Unis. Si des événements devaient se produire dans une autre zone sismique de la politique mondiale, à savoir en Extrême-Orient, le monde devrait faire face à une catastrophe mondiale découlant de la synchronicité de nombreuses crises régionales. Évidemment, il s'agirait d'une crise que personne ne pourrait contrôler ni contenir.

Le monde bipolaire de la Guerre froide fait partie de l'histoire ancienne : George W. Bush a dilapidé le court épisode où États-Unis jouaient encore un rôle de véritable superpuissance unique. La mondialisation économique n'a pour l'instant pas donné lieu à un cadre mondial de gouvernance. Nous sommes peut-être au milieu d'un processus chaotique d'où va surgir un nouvel ordre international. Ou bien, et c'est ce qui paraît le plus probable, nous ne sommes qu'au début de ce processus.

Le débat sur un futur ordre mondial a lieu principalement en Occident, en particulier en Amérique du Nord et en Europe. Comme les puissances émergentes tentent pour la plupart d'adapter leurs positions stratégiques à leurs aspirations et à leurs intérêts nationaux, elles refusent ou sont incapables d'articuler les idées et les règles contraignantes qui doivent sous-tendre un nouvel ordre international.

A quoi ressemble par exemple la formule chinoise ou indienne d'un nouvel ordre mondial ? (À la lumière des événements dans l'Est de l'Ukraine, il est peut-être préférable de ne pas examiner de trop près sur le point de vue de la Russie.) L'ancien bloc Ouest transatlantique semble être unique à cet égard et reste donc indispensable à la préservation de la stabilité mondiale.

Et pourtant, la fréquence des crises a également relancé dans les pays occidentaux un vieux conflit normatif fondamental entre idéalisme et réalisme, soit en d'autres termes sur une politique étrangère fondée sur des valeurs et des intérêts communs. Bien qu'il soit évident depuis longtemps que systèmes politiques occidentaux s'appuient sur ces deux tendances, le contraste, bien qu'artificiel, est de nouveau placé sur devant de la scène.

La crise en Irak et la violence terrible de l'État islamique (EI) En Irak et en Syrie, est en grande partie le résultat de la non-intervention de l'Occident dans la guerre civile syrienne. Les politiques étrangères « réalistes » sont opposées à une intervention « humanitaire » taxée d'idéalisme. Les conséquences en sont maintenant claires. Une catastrophe humanitaire et un important défi à l'encontre du Moyen-Orient arabe tel qu'il s'est établi lors du siècle dernier.

La controverse en Europe sur l'armement des Kurdes paraît bizarre, étant donné la situation en Irak. Sous nos yeux, l'EI menace de tuer ou d'asservir tous les membres des minorités religieuses et ethniques, à moins qu'ils ne convertissent immédiatement à l'islam ou qu'ils ne fuient. Au moment où le monde assiste aux menaces de génocide de l'EI, prendre des mesures est un devoir moral. Les questions, à propos par exemple de ce qui se passe après la fin des hostilités quant aux armes fournies aux Kurdes, sont secondaires.

En termes de Realpolitik, cette thèse est étayée par le fait que l'armée nationale d'Irak est tout simplement incapable de vaincre l'EI, contrairement aux milices kurdes, mais seulement si elles sont dotées d'un armement moderne. Une victoire de l'EI dans le Nord de l'Irak, ou même simplement la prise d'Erbil, la capitale du gouvernement régional kurde, causerait non seulement une catastrophe humanitaire sans précédent, mais ferait peser en outre une énorme menace politique sur le grand Moyen-Orient et sur la paix mondiale.

Ainsi, le lien entre les valeurs et les intérêts va de soi, et met hors sujet le conflit sur les principes fondamentaux de politique étrangère. Cela est particulièrement vrai pour l'Union européenne. Un Moyen-Orient ayant à sa tête un État terroriste brutal et sans entraves, constituerait une menace directe envers la sécurité de l'Europe voisine. Alors pourquoi ne pas aider ceux en Irak qui sont désireux et capables de faire face à ce péril ?

Mais si l'Occident assume à lui seul la responsabilité de maintenir l'ordre mondial, ne risque-t-il pas d'être surmené, étant donné le nombre et la nature des crises auxquelles il sera confronté ? La plupart de ces luttes ne sont pas des affrontements entre États. Elles sont des conflits asymétriques, pour lesquels les sociétés occidentales, y compris les États-Unis, ne sont pas équipées. Ces conflits sont exacerbés par la brutalité qui caractérise les guerres de religion, comparables à celles que l'Europe a connues aux XVIème et au XVIIème siècle. Donc, oui, l'Occident fait bien face à un risque élevé de surmenage.

Mais y a-t-il un autre choix, sinon l'accélération du chaos, la multiplication des risques de sécurité et les catastrophes humanitaires en série ? Pour l'Occident, et pour l'Europe d'abord et avant tout, ce dilemme est inévitable.

Les crises qui s'accumulent d'aujourd'hui, accompagnées de la fatigue stratégique de l'Amérique, obligent l'Europe à définir le rôle qu'elle doit jouer pour l'avenir de la stabilité de l'Occident et du monde. Si les États-Unis ne peuvent plus supporter le fardeau de la Pax Americana, l'Europe doit faire davantage pour la sécurité collective. Mais l'Europe ne peut pas assumer une plus grande responsabilité dans l'ordre et la stabilité mondiale sans unification politique. Malheureusement, trop de dirigeants européens ne peuvent pas (ou ne veulent pas) le comprendre.

Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne et vice-chancelier de 1998 à 2005, a été leader du Parti Vert allemand pendant près de 20 ans.

© Project Syndicate 1995–2014

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