Yannos Papantoniou

Ancien ministre de l’Economie et des Finances de la Grèce (1994-2001)

L’Europe en crise perpétuelle

Le 17 avril 2013 à 15h59

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

ATHENES, 4 avril 2013 – Le plan de sauvetage de Chypre constitue un tournant décisif dans la crise de la zone euro, puisque la responsabilité de régler les problèmes des banques n’incombe désormais plus aux contribuables, mais aux investisseurs et aux déposants privés. Mais imposer des pertes majeures aux déposants des banques chypriotes enfreint la garantie assurance des dépôts qui fait partie intégrante de la proposition d’union bancaire européenne, tandis que l’imposition de contrôles des capitaux fragilise plus encore les fondations de l’union monétaire. L’Europe se mordrait-elle la queue ?  

L’Allemagne et le noyau dur des pays de la zone euro font valoir que toute mutualisation de la dette au sein de l’union monétaire est inenvisageable, et que le renflouement des pays ou des institutions financières sera compensé par une recapitalisation interne de leurs créanciers. Les incertitudes croissantes concernant la sécurité des dépôts feront monter les taux d’intérêt, aggravant plus encore la récession en Europe ; elles pourraient aussi provoquer une fuite des capitaux depuis les économies affaiblies de la périphérie vers le cœur de l’Europe.

Les implications de cette évolution pourraient avoir de profondes répercussions. Le modèle allemand de résolution de la crise de la dette et du retour à l’équilibre interne et externe repose sur une consolidation budgétaire et des réformes structurelles dans les pays déficitaires. Mais si tous les pays tentent simultanément d’améliorer leur équilibre budgétaire et leur solde extérieur en réduisant les dépenses et en augmentant les taxes, ils sont tous voués à l’échec, parce le plan d’austérité de chaque pays implique une baisse de la demande pour les produits étrangers, ce qui en retour prolonge les déséquilibres internes et externes. Une recapitalisation interne des créanciers ne ferait que renforcer ces tendances.

De plus, une récession profonde et prolongée implique un manque de soutien en faveur des réformes, puisque les gouvernements ne parviennent pas à convaincre leurs citoyens que le sacrifice à fournir aujourd’hui est la garantie d’un meilleur avenir. La privatisation, la libéralisation des marchés, la libéralisation des professions protégées, et les compressions gouvernementales impliquent des conflits avec les puissants groupes d’intérêts, comme les industries protégées, les syndicats du secteur public, ou les lobbys influents. Résoudre de tels conflits implique des alliances sociales qui sont invariablement source de malaise, de troubles civils et d’instabilité politique.  

La récente élection italienne a montré combien l’association entre politique d’austérité et poursuite des réformes peut être toxique. La colère anti-austérité a fait voler en éclat l’ordre du jour des réformes du précédent gouvernement technocratique de Mario Monti, laissant l’Italie, dont l’avenir est incertain, se débrouiller comme elle le peut. Le même scénario semble émerger en Grèce, où l’ampleur de la récession induite par l’austérité, avec une production en baisse de 25% depuis cinq ans et un chômage à 27%, paralyse un gouvernement réformateur de centre droit.

Les différences stratégiques sont claires. D’abord, les autorités de la zone euro ont mal évalué les causes réelles de la crise de la dette qui résultent principalement d’un écart de compétitivité grandissant entre les pays périphériques et ceux du centre. Les déséquilibres du secteur privé ont donc culminé avec les problèmes des banques, qui ont finalement été transférés sur les états souverains. La dilapidation du budget de la Grèce est l’exception plutôt que la règle.

En effet, contrairement aux Etats-Unis, les autorités de la zone euro ont tardé à consolider le système bancaire après l’éclatement de la crise financière globale de 2008, et ne sont pas parvenues à couper les liens entre les bilans souverains et bancaires. Elles n’ont pas non plus suffisamment encouragé les réformes. Elles ont préféré mettre l’accent sur une austérité sévère, dont le principe s’est généralisé.

Deuxièmement, les effets de l’austérité ont été accentués par le choix de poursuivre des objectifs de déficit budgétaire nominal plutôt que structurel. Les pays dont la situation budgétaire est meilleure (en d’autres termes, dont les déficits structurels sont moindres) devraient être encouragés à adopter des politiques plus expansionnistes de manière à contribuer à relancer la demande globale. En outre, la capacité de prêt de la Banque Européenne d’Investissement pourrait être substantiellement élargie et les Fonds structurels de l’Union Européenne mobilisés pour financer des projets d’investissements dans les économies périphériques.

Troisièmement, l’annonce en août dernier par la Banque Centrale Européenne de son programme « d’opérations monétaires fermes » (OMT) – au travers duquel elle garantit la dette souveraine des membres de la zone euro, et soumis à conditions  – a contribué de manière significative à minimiser les turbulences financières de la zone euro. Mais ce programme d’OMT n’a pas été renforcé par une réduction des principaux taux d’intérêt, qui permettrait de relancer l’inflation dans les pays du centre dont le solde extérieur est positif, et donc de contribuer à réduire les écarts de compétitivité avec la périphérie. Et surtout, les mesures de politique monétaire adoptées ne répondent pas au problème sous-jacent d’une demande apathique.

Enfin, dernier point, mais pas le moindre, les autorités de la zone euro ont mal évalué le facteur de confiance. En théorie, la simultanéité d’une consolidation budgétaire associée à  une réforme axée sur l’offre facilite la reprise économique, parce qu’elle restaure la confiance des consommateurs et des investisseurs, entrainant une augmentation des dépenses et de la production. Mais cela n’est pas nécessairement le cas dans une union monétaire au fonctionnement imparfait, comme la zone euro, où l’apparition systématique de défauts systémiques fragilise la confiance ; en de telles circonstances, il peut en résulter une thésaurisation et une fuite des capitaux plutôt qu’une augmentation des dépenses.

Les défauts de la zone euro reflètent une différence conceptuelle avec les Etats-Unis, le seul modèle d’union monétaire fonctionnant correctement. L’histoire de l’Europe élimine toute possibilité d’adoption du système américain. Mais, pour que la zone euro fonctionne correctement, l’unification monétaire devrait inclure les domaines budgétaires et financiers pour permettre ainsi une union économique intégrée.

Plus les autorités européennes retarderont l’introduction des Euro-obligations, d’une union bancaire et budgétaire efficace, et d’un statut de prêteur de dernier ressort pour la BCE, plus la crise durera. En ne respectant pas la garantie assurance des dépôts à Chypre, la zone euro a fait marche arrière sur son projet d’union bancaire.

Poursuivre une stratégie qui dans le même temps aggrave la récession et affaiblit la confiance ne résoudra pas la crise de la dette. Au gré de la récurrence des problèmes de financement dans les économies frappées par la récession, les gouvernements pourraient renoncer à la recapitalisation interne et aux pertes qui y sont associées. Les troubles civils et la déstabilisation politique pourraient évoluer en crises sociales et financières, menaçant à terme la survie même de l’union monétaire.

En résumé, la « solution » trouvée à la crise chypriote n’est pas du tout une solution pour l’ensemble de la zone euro. A moins que les autorités n’adoptent – et rapidement –  une stratégie de croissance, les perspectives de la zone euro seront de plus en plus sombres.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

© Project Syndicate


 

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