Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

L'Erdogan nouveau est arrivé

Le 28 juillet 2023 à 17h13

Modifié 29 juillet 2023 à 21h45

En mai dernier, les élections présidentielles en Turquie ont donné une courte majorité de 52,14% au président Tayyip Erdoğan. Après deux décennies au pouvoir, il a péniblement arraché un dernier mandat de cinq ans à la tête de l’Etat turc. Conforté par cette réélection, qui s’est dénouée au deuxième tour, Erdogan a lâché du lest dans sa politique extérieure en invitant chez lui le chef de l’Autorité palestinienne et le Premier ministre israélien, tout en levant son véto à l’entrée de la Suède dans l’OTAN.

Netanyahou a reporté sa visite en Turquie pour des raisons de santé. Elle devait avoir lieu à la fin de ce mois de juillet, à trois jours d’intervalle de celle du chef de l’Autorité palestinienne. Lors du séjour de ce dernier, Erdogan lui a exprimé son inquiétude au sujet de la situation en Cisjordanie. Il a dénoncé le développement des colonies illégales et la violence des colons, et réitéré la position de son pays pour une solution à deux États.

Qu’aurait-il pu dire de plus à Netanyahou pour le convaincre de s’assoir avec les Palestiniens et ouvrir des voies à la négociation, si ce dernier avait effectué son voyage en Turquie ? A la tête d’un gouvernement fragile d’extrême droite, le Premier ministre israélien est loin d’être à l’écoute de ses alliés, et encore moins d’un pays comme la Turquie. Pourtant depuis la naissance d’Israël, les relations avec la Turquie ont été empreintes d’une grande compréhension.

La Turquie a été le premier pays musulman a reconnaître l’État hébreu en 1949. Dix ans après, les deux pays s’alliaient déjà pour coopérer contre le radicalisme au Moyen-Orient et l’influence soviétique dans la région. Cette coopération était tellement étroite que les dirigeants israéliens n’ont jamais franchi le pas pour reconnaître le génocide arménien comme l’ont fait certains pays occidentaux. Depuis, les deux pays entretiennent la coopération économique, militaire et technologique la plus dynamique de la région.

Chez Erdogan, la realpolitik et les raisons d’État priment sur tout le reste

L’arrivée d’Erdogan au pouvoir il y a vingt ans, à la tête d’un parti islamique, chamboula les relations bilatérales qui restaient malgré tout stratégiques pour l’un comme pour l’autre. A chaque irruption de révoltes, le traitement que réserve Tel-Aviv aux Palestiniens émeut les autorités turques comme l’ensemble des pays musulmans et au-delà. Erdogan, comme sa diplomatie du reste, n’a jamais cessé de décrier l’usage excessif de la force armée et le nombre des victimes civiles palestiniennes.

C’est l’attaque israélienne mortelle de la flottille turque pour Gaza en mai 2010 qui a constitué le moment le plus délicat dans les relations bilatérales. Un impair gravissime et impardonnable pour Ankara, qu’elle a porté devant la justice internationale. Erdogan a ordonné en son temps l’expulsion de l’ambassadeur israélien, la suspension des accords militaires et la saisie de la Cour internationale de justice. Quatre responsables militaires israéliens ont été jugés par contumace en Turquie, et une demande a été soumise à Interpol en vue de les arrêter.

Ce n’est qu’avec l’accord conclu en 2016, stipulant une indemnisation des familles turques, et l’abandon des poursuites judiciaires contre l’Etat d’Israël que les relations reprenaient, sans grandes convictions. La mort d’une cinquantaine de Palestiniens à Gaza en mai 2018 est venue rappeler à Ankara qu’Israël n’était pas encore prête à aller vers une paix juste avec les Palestiniens. C’était l’occasion pour Erdogan de rappeler, de nouveau, son ambassadeur à Tel-Aviv, et de renvoyer d’un seul coup l’ambassadeur israélien à Ankara et son consul général à Istanbul.

Il a fallu attendre août 2022 pour que les deux pays reprennent langue après quatre années de brouilles. Les difficultés économiques de la Turquie d’une part, et le besoin vital d’Israël de reconquérir l’amitié de ce pays musulman stratégique d’autre part, ont aidé a aller vers cette réconciliation. Contrairement aux autorités palestiniennes, ce rapprochement n’a pas été du goût de Hamas. "Nous attendons des pays arabes et musulmans d’isoler l’occupant et de lui mettre la pression pour répondre aux droits légitimes des Palestiniens", clamait Hamas.

Mais chez Erdogan, la realpolitik et les raisons d’État priment sur tout le reste. Ankara, tout en réitérant son soutien inébranlable à la question palestinienne, recevait en mars dernier le président israélien Isaac Herzog pour relancer le partenariat bilatéral et préparer l’autre visite du Premier ministre Netanyahou qui devait avoir lieu ce mois-ci, mais qui a été reportée à une date ultérieure.

C’est cette même volonté d’ouverture qui a animé récemment le président turc à l’égard de l’élargissement de l’OTAN. Le 10 juillet, Erdogan a lâché du lest en donnant son accord à l’adhésion de la Suède à l’Organisation Atlantique, non sans la conditionner à celle de son pays à l’Union européenne. Erdogan sait pertinemment que Bruxelles, qui a salué le geste, n’est disposé qu’à revoir l’accord d’union douanière de 1995 pour favoriser les échanges commerciaux, et à renégocier le régime des visas pour assouplir les conditions d’entrée des ressortissants turcs dans les pays de l’Union. Pas plus.

Réajuster le jeu diplomatique

Par ces approches ouvertes à l’égard de ses partenaires, Erdogan se rend à l’évidence qu’il est plus nécessaire que jamais de rééquilibrer sa politique étrangère en incluant les intérêts légitimes des autres nations. Il ne veut plus aller dans des confrontations tous azimuts d’autrefois avec ses proches alliés. Sans doute sent-il que ce mandat est son dernier, et qu’il lui faudrait léguer une Turquie avec moins de conflits à gérer avec ses voisins et ses alliés.

La recomposition en cours au Proche-Orient, l’ébauche d’une réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, la normalisation des relations entre certains pays arabes et Israël, sont sans doute des facteurs qui ont poussé Ankara à réajuster son jeu diplomatique régional. Même le régime syrien de Bachar El-Assad, qu’Erdogan qualifiait il y a peu de tyran sanguinaire, trouve désormais grâce à ses yeux. Pour le président turc, le temps est venu d’inaugurer une nouvelle étape avec Damas.

Erdogan n’a pas oublié le soutien que lui a apporté Poutine après le coup d’Etat des militaires en juillet 2016. Le silence assourdissant de certaines capitales occidentales à cette tentative de renversement l’a certainement affecté. Son rapprochement effectif de Moscou date de cette période, ce qui lui a permis plus tard de mener facilement ses interventions en Syrie contre les Kurdes. La récente mutinerie du groupe Wagner contre Poutine a été l’occasion pour Erdogan de lui exprimer, à son tour, la même empathie pendant ces moments de doute.

Les pays occidentaux observent bien cette complicité entre la Turquie et la Russie, sans pouvoir réellement la modifier. Ils sont au courant que les sanctions économiques qu’ils ont adoptées contre la Russie ont profité grandement aux entreprises turques. La Turquie est devenue une plateforme pour leurs entreprises désirant continuer à commercer avec la Russie et s’affranchir des sanctions. Si les exportations européennes vers la Turquie se sont envolées depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, c’est qu’il y a une raison.

Ce sont les intérêts géoéconomiques qui poussent Erdogan à réorienter l’action extérieure de son pays vers plus d’efficacité. Les besoins en investissements et en capitaux sont importants. Le déficit de la balance des paiements représente 10% du PIB depuis le début de cette année. On ne compte plus dans le pays les annonces d’avantages et des incitations pour attirer les investisseurs. Un achat d’un bien immobilier d’une valeur de 400.000 dollars, ou le placement de 500.000 dans une banque turque, donnent droit à l’obtention de la résidence ou de la nationalité.

Que ce soit le traitement du dossier migratoire avec l’Europe, ou l’accord permettant l’exportation des céréales ukrainiennes via la mer Rouge, Erdogan est passé maître à recourir à toute une palette d’initiatives pour servir les intérêts de son pays et se mettre lui-même en médiation. Ses succès sont, pour une part, dus aussi à la mollesse des Occidentaux. La relance de ses relations avec les pays qui comptent dans le monde, comme les Etats-Unis et la Russie, ou régionaux comme Israël, sont la preuve qu’Erdogan est toujours prêt à pousser les limites de ses actions là où personne ne l’attend.

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